Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... G..., Mme H... A... B... épouse G... et Mme C... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite, née le 7 juillet 2021, par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme H... A... B... épouse G..., à Mme C... G..., à l'enfant D... G... et à l'enfant F... G... des visas de long séjour au titre du regroupement familial.
Par un jugement n° 2111826 du 16 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juin 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... G..., Mme H... A... B... épouse G... et Mme C... G... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- les liens de filiation des enfants C..., D... et F... avec M. G... ne sont pas établis par les actes d'état-civil produits en raison de l'incohérence de leurs mentions ;
- il existe un risque de détournement de l'objet des visas sollicités ;
- l'intérêt supérieur des enfants D... et F... commande que Mme H... A... B... demeure en Algérie avec eux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2022, M. B... G..., Mme H... A... B... épouse G... et Mme C... G..., représentés par Me Pecaud, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils font valoir que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... G..., ressortissant algérien né le 30 octobre 1976, a obtenu du préfet de la Haute-Vienne une autorisation de regroupement familial au profit de Mme A... B..., son épouse alléguée, et des enfants allégués du couple, les jeunes C..., D... et F.... Par des décisions du 24 mars 2021, les autorités consulaires à Alger ont refusé de délivrer les visas d'entrée et de long séjour qu'ils sollicitaient. M. B... G..., Mme A... B... et Mme C... G... ont formé devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France un recours à l'encontre de ces refus de visa, implicitement rejeté le 7 juillet 2021. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 16 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B... G... et autres, cette décision de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; / 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Il ressort des écritures en défense du ministre devant le tribunal administratif que, pour rejeter les demandes de visa de long séjour, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que le lien de filiation de M. G... avec ses enfants allégués n'est pas établi.
6. Le ministre de l'intérieur fait valoir que les actes de naissance produits pour les enfants C..., D... et F... ne mentionnent pas de reconnaissance de paternité par M. G..., laquelle est nécessaire à l'établissement de la filiation lorsque les parents ne sont pas mariés, en application de l'article 40 du code de la famille algérien.
7. D'une part, M. et Mme G... produisent une copie de l'acte de naissance n° 00450, dressé par l'officier d'état-civil de la commune de Khadra (Algérie) le 3 décembre 1975, qui mentionne que Mme H... A... B... est née le 2 décembre 1975 et qu'elle s'est mariée avec M. G... le 6 janvier 1997, puis s'est remariée avec lui le 19 mai 2019 après un divorce prononcé le 20 novembre 2014. Ils produisent également un jugement du tribunal de Sidi Ali (Algérie) n° 666 du 6 janvier 1997, portant transcription à l'état-civil du mariage coutumier contracté par les intéressés en 1996, ainsi que l'acte de mariage n° 00022 dressé le 6 janvier 1997 par l'officier d'état-civil de la commune de Nekmaria (Algérie), transcrivant le mariage des intéressés célébré le 1er juillet 1997 et portant mention du divorce du 20 novembre 2014. Ils produisent, en outre, le jugement du tribunal de Mostaganem (Algérie) du 20 novembre 2014, prononçant le divorce de ce mariage, lequel indique que le mariage date du 1er juillet 1997 et a fait l'objet de l'acte transcrit sous le n° 22 devant l'officier d'état-civil de la commune de Nekmaria. Ils produisent, encore, une copie de l'acte de mariage n° 00030, dressé par l'officier d'état-civil de la commune de Nekmaria le 19 mai 2019, qui atteste du nouveau mariage de M. G... et Mme A... B... à cette date. Ils produisent, enfin, une fiche familiale d'état civil établie par l'officier de l'état civil de Nekmaria le 21 août 2022, qui mentionne les enfants du couple, le mariage conclu en 1996 et retranscrit le 6 janvier 1997, ainsi que le divorce du 20 novembre 2014. Alors même que, d'une part, Mme G... a, dans un courrier adressé au consulat général de France dans le cadre de sa demande de visa, indiqué que son premier mariage datait de 1995 et non 1996 et que, d'autre part, l'acte de mariage dressé le 6 janvier 1997 indique, de façon erronée, que le mariage a été célébré le 1er juillet 1997, date reprise par le jugement de divorce du 20 novembre 2014, M. et Mme G... justifient ainsi avoir été mariés entre 1997 et 2014 puis, à nouveau, à compter de 2019.
8. D'autre part, M. et Mme G... produisent les actes de naissance des enfants C... G..., D... G... et F... G..., dressés les 17 juin 2002, 13 juin 2007, 1er février 2009, qui mentionnent que ceux-ci sont respectivement nés le 16 juin 2002, le 11 juin 2007 et le 29 janvier 2009 de M. G... et de Mme A... B....
9. Ainsi, contrairement à ce que fait valoir le ministre de l'intérieur, les actes de naissance des enfants, nés alors que M. et Mme G... étaient mariés, n'avaient pas à mentionner une reconnaissance de paternité. Ces actes ne sont donc pas irréguliers au regard de l'article 40 du code de la famille algérien. Par ailleurs, la seule circonstance que M. G... n'a introduit une demande de regroupement familial qu'en 2019 n'est pas de nature à établir qu'il n'est pas le père des enfants, ni, par suite, le caractère irrégulier des actes de naissance produits.
10. Enfin, si les deux enfants aînés de M. et Mme G... se sont maintenus sur le territoire français en détournant l'objet de visas de court séjour qui leur avaient été délivrés, cette circonstance, qui concerne d'autres enfants que ceux pour lesquels ont été formées les demandes de visa rejetées par la décision contestée, n'est pas, en tout état de cause, de nature à établir un risque de détournement, à des fins migratoires, de l'objet des visas sollicités en vue d'un établissement en France.
11. Il résulte de ce qui précède qu'en refusant, pour les motifs énoncés au point 5, de délivrer les visas sollicités, la commission de recours a méconnu les dispositions précitées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B... G... et autres, la décision implicite née le 7 juillet 2021 de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le tribunal administratif de Nantes a fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées devant lui par M. et Mme G.... Les conclusions présentées, de nouveau, à ces mêmes fins par les intéressés devant la cour sont donc sans objet. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. G... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. et Mme G... sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à M. G... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... G..., à Mme H... A... B... épouse G... et à Mme C... G....
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01968