Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision du 19 juillet 2022 par laquelle l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie) a refusé de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de travailleur salarié et la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre cette décision consulaire, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité sans délai à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard , enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au profit de Me Lassort, qui renoncera, dans cette hypothèse, à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2217094 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours née le 5 novembre 2022 contre la décision de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à M. B... le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 février 2024, et un mémoire du 13 mai 2024, non communiqué, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- il n'a pas commis d'erreur d'appréciation eu égard à l'absence d'expérience professionnelle de M. B... dans le domaine de l'emploi envisagé et aux incertitudes concernant l'entreprise qui souhaite le recruter ; il y a lieu, en effet, de retenir l'inadéquation du profil professionnel du demandeur de visa avec le poste proposé ; la circonstance que M. B... a déposé un dossier complet visa n'impose pas à elle-seule la délivrance du visa sollicité ; la circonstance qu'il dispose d'un contrat de travail visé par l'administration du travail ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse son entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur tout motif d'intérêt général ; aucun élément n'a été déposé par le demandeur permettant d'étayer la réalité du recrutement et de l'activité de l'entreprise qui ne justifie pas avoir rencontré des difficultés à recruter un profil en France et n'établit pas qu'elle puisse rémunérer M. B... au montant retenu dans l'autorisation de travail ;
La requête a été communiquée le 8 février 2024 à M. B... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien, né le 3 juin 1973, a, le 30 juin 2022, déposé une demande de visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de travailleur salarié auprès de l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie). Par une décision du 19 juillet 2022, cette autorité a refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision implicite née le 5 novembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire.
2. M. B... a, le 28 décembre 2022, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande qui a été regardée comme tendant à l'annulation de la décision née le 5 novembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par un jugement du 19 décembre 2023, cette juridiction a annulé la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de de faire délivrer à M. B... le visa de séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les motifs fondant la décision portant refus de délivrance du visa sollicité :
3. Il résulte des mentions de l'accusé de réception transmis au requérant par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, lui indiquant expressément qu'en l'absence de réponse expresse à son recours dans un délai de deux mois à compter de la date de sa réception, le recours serait réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux opposés par la décision consulaire, que la commission, dont la décision se substitue à celle de l'autorité consulaire, doit être regardée comme s'étant approprié le motif retenu par cette autorité, tiré en l'espèce de ce que " les informations communiquées pour justifier les conditions du séjour sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables ".
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" d'une durée maximale d'un an. La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail ".
5. La circonstance qu'un travailleur étranger dispose d'un contrat de travail visé par la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) ou d'une autorisation de travail, ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente refuse de lui délivrer un visa d'entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur tout motif d'intérêt général. Constitue un tel motif l'inadéquation entre l'expérience professionnelle et l'emploi saisonnier sollicité, de nature à révéler que l'intéressé demande ce visa à d'autres fins que son projet d'emploi.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment celles produites à l'appui de la demande de visa, que M. B..., qui souhaite travailler en France pour la société BGB Transport en qualité de chauffeur-livreur, a obtenu à ce titre une autorisation de travail d'une durée de 6 mois à compter d'une date prévisionnelle fixée au 1er avril 2022 et a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec l'entreprise BGB transport. Il a également produit une attestation d'hébergement. Ainsi, comme l'ont justement estimé les premiers juges, il ne ressort pas des éléments du dossier que les informations communiquées par le requérant à l'appui de sa demande de visa auraient été " incomplètes ou peu fiables " comme l'a retenu la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France pour motiver la décision de refus contestée.
7. D'autre part, l'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Le ministre de l'intérieur peut être regardé comme demandant à la cour de substituer au motif manquant en fait celui tiré, tant de l'inadéquation du profil professionnel de M. B... avec le poste proposé que des incertitudes concernant l'entreprise qui souhaite le recruter. Toutefois, eu égard aux compétences que requiert l'emploi de chauffeur livreur alors qu'il n'est pas avancé ni même démontré que l'intéressé, susceptible d'être embauché, comme il a été rappelé au point précédent, sur la base d'un contrat à durée indéterminée par une entreprise spécialisée dans le secteur d'activité en cause, serait inapte à la conduite et aux tâches qu'exige l'emploi en question, l'inadéquation professionnelle invoquée en appel n'est pas établie et l'appelant ne saurait davantage pour les mêmes motifs mettre en cause la réalité du recrutement de M. B.... Par ailleurs, en se bornant à citer le montant du capital social et le faible nombre des effectifs de l'entreprise BGB Transport, il n'établit pas plus que cette société ne pourrait pas rémunérer ce salarié au montant retenu dans l'autorisation de travail. Enfin, le ministre de l'intérieur ne saurait valablement opposer à M. B... la circonstance que l'entreprise en question ne justifierait pas avoir rencontré des difficultés à recruter un profil équivalent au sien en France.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision implicite de la commission de recours née le 5 novembre 2022 contre la décision de refus de visa d'entrée en France.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°24NT00296 2