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02/07/2024 | FRANCE | N°23NT02510

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 02 juillet 2024, 23NT02510


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 6 décembre 2019 par laquelle le préfet de ... a décidé de procéder au retrait de son habilitation " secret défense " ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux présenté le 16 janvier 2020.



Par un jugement du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a, avant dire droit, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de verser au

dossier les motifs de la décision litigieuse, si besoin en saisissant la commission consultative ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 6 décembre 2019 par laquelle le préfet de ... a décidé de procéder au retrait de son habilitation " secret défense " ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux présenté le 16 janvier 2020.

Par un jugement du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a, avant dire droit, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de verser au dossier les motifs de la décision litigieuse, si besoin en saisissant la commission consultative du secret de la défense nationale, ou à défaut, tous éléments d'information sur les raisons de ceux-ci. Le ministre n'a pas produit les documents demandés.

Par un jugement n° 2001181 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 6 décembre 2019 ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté le 16 janvier 2020 par M. B... à l'encontre de cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 juin 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que les décisions litigieuses ne sont pas entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et s'en rapporte aux écritures présentées en défense par le préfet ... pour ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 et 20 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Douard, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il invite le juge à demander à l'administration de produire l'intégralité de l'enquête administrative au vu de laquelle la décision du 6 décembre 2019 a été prise et soutient que le moyen soulevé par le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Douard, représentant M. B....

Une note en délibéré, enregistrée le 19 juin 2024, a été produite pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... est entré dans la police nationale le 4 janvier 1988 en qualité de gardien de la paix, avant d'être nommé major exceptionnel en 2018. Il a travaillé de 1996 à 2006 au sein du service des Renseignements généraux à Paris, avant de rejoindre l'office de lutte contre le crime organisé. A compter du 1er septembre 2015, il a été nommé chef des groupes opérationnels de la section de recherche et d'appui de la direction départementale de la sécurité publique .... Le 18 octobre 2019, M. B..., qui bénéficiait d'une habilitation " secret défense " depuis environ 20 ans, a été reçu en entretien en vue du renouvellement de cette habilitation. Par une décision du 6 décembre 2019, qui lui a été notifiée le 10 janvier 2020, la ... a refusé le renouvellement de son habilitation " secret défense ". Le 16 janvier 2020, l'intéressé a présenté un recours gracieux contre cette décision, lequel est resté sans réponse. Il a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de ces deux décisions. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 15 juin 2023, par lequel le tribunal administratif a annulé la décision du 6 décembre 2019 ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté le 10 janvier 2020 par M. B....

Sur la légalité des décisions litigieuses :

2. Aux termes de l'article 413-9 du code pénal : " Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès./ Peuvent faire l'objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l'accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale (...)". Aux termes de l'article R. 2311-7 du code de la défense, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions contestées : " (...) Nul n'est qualifié pour connaître d'informations et supports classifiés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation (...)".

3. Aux termes de l'article 24 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, approuvée par un arrêté NOR : PRMD1132480A du 30 novembre 2011 pris pour le Premier ministre et par délégation par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, alors en vigueur : " (...) L L'enquête de sécurité menée dans le cadre de la procédure d'habilitation est une enquête administrative permettant de déceler chez le candidat d'éventuelles vulnérabilités. (...) L'enquête administrative est fondée sur des critères objectifs permettant de déterminer si l'intéressé, par son comportement ou par son environnement proche, présente une vulnérabilité, soit parce qu'il constitue lui-même une menace pour le secret, soit parce qu'il se trouve exposé à un risque de chantage ou de pressions pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat, chantage ou pressions exercés par un service étranger de renseignement, un groupe terroriste, une organisation ou une personne se livrant à des activités subversives (...) ".

4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il statue sur une demande d'annulation d'une décision portant non renouvellement ou retrait d'une habilitation " secret défense ", de contrôler, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, la légalité des motifs sur lesquels l'administration s'est fondée. Il lui est loisible de prendre, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de l'instruction, toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, sans porter atteinte au secret de la défense nationale. Il lui revient, au vu des pièces du dossier, de s'assurer que la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

5. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer se prévaut, pour la première fois en appel, d'une note des services de renseignement se référant à l'entretien qui s'est tenu le 18 octobre 2019, et au cours duquel M. B... se serait montré " sur la défensive " et aurait apporté des réponses " souvent approximatives ". L'intéressé justifie toutefois sa posture réservée par le fait qu'il n'avait pas apprécié que son épouse, d'origine chinoise, avait fait l'objet d'une audition de trois heures lorsqu'elle avait sollicité la nationalité française en 2018, alors qu'ils sont mariés depuis plus de dix ans. Le ministre reprend également un autre grief des services de renseignement tenant au fait que l'intéressé utilise l'application chinoise Wechat, laquelle l'exposerait à une surveillance des services de renseignements chinois. M. B... indique toutefois qu'il n'utilise cette application que sur son téléphone portable personnel pour échanger des photos de ses trois enfants avec son beau-père chinois, ce que ne conteste pas le ministre. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'à l'occasion de l'utilisation de cette application par l'intéressé, les autorités chinoises seraient en mesure de s'introduire dans les autres fonctionnalités du téléphone portable de M. B..., exposant ainsi ce dernier à un risque de pression ou de chantage qui le rendrait vulnérable ou pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat. La note dont se prévaut le ministre précise ensuite que M. B... aurait conservé des liens " indirects " avec un ressortissant chinois connu de la DGSI " pour avoir été directement et personnellement impliqué dans l'approche, le recrutement et le traitement de plusieurs fonctionnaires appartenant à la communauté française du renseignement et aux forces de sécurité françaises pour le compte de services de renseignement chinois ". M. B... ne conteste pas le fait d'être resté en contact avec d'anciens collègues des renseignements généraux mais précise qu'il a connu ce ressortissant chinois, qui était alors interprète, dans le cadre de ses fonctions et qu'il n'est plus en contact avec ce dernier depuis son départ de ce service en 2006. Le ministre n'apporte aucun élément de nature à démentir ces informations. Enfin, si le ministre indique que l'intéressé n'aurait pas pris la mesure de l'enjeu de ses fonctions et que son " environnement relationnel " l'exposerait à des risques importants de pression ou de chantage de la part d'un service étranger de renseignement, cette allégation est contredite tant par les éléments rappelés ci-dessus, que par les appréciations portées au cours de la carrière de ce policier par ses supérieurs hiérarchiques. Ainsi dans un courrier 4 septembre 2020, le commissaire divisionnaire, chef du service zonal du renseignement territorial ..., indiquait que cet " excellent fonctionnaire motivé et volontaire " conservait toute sa confiance. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'en refusant le renouvellement de l'habilitation " secret défense " de M. B..., à raison de ces motifs, la ... avait entachée sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

6. Il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions litigieuses.

Sur les frais liés au litige :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02510


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02510
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : PENAUD & DOUARD AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;23nt02510 ?
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