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02/07/2024 | FRANCE | N°23NT01827

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 02 juillet 2024, 23NT01827


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... D... épouse A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de C... E..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises au Cameroun refusant de délivrer à l'enfant Arthur E... un visa d'entrée et de long séjour.



Par un jugement n° 2212232 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... épouse A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de C... E..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises au Cameroun refusant de délivrer à l'enfant Arthur E... un visa d'entrée et de long séjour.

Par un jugement n° 2212232 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à l'enfant C... E... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juin 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 avril 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la commission n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en refusant de délivrer le visa sollicité eu égard aux ressources de Mme A... et aux conditions d'accueil prévues ;

- la décision ne méconnait pas les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juillet 2023, Mme B... A..., représentée par Me Rodrigues Devesas, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... D... épouse A..., ressortissante camerounaise née en 1965, a déposé une demande de visa d'entrée et de long séjour auprès de l'ambassade de France au Cameroun pour l'enfant C... E..., ressortissant camerounais né le 19 juillet 2013, pour lequel elle a reçu délégation de l'autorité parentale. Cette demande a été rejetée. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a également été rejeté par une décision du 24 mai 2022. Par un jugement du 27 avril 2023, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision à la demande de Mme A..., et lui a enjoint de faire délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait qu'il existe un risque de détournement de l'objet du visa à des fins de maintien sur le territoire français du jeune C... E... alors que Mme A... ne dispose pas des ressources suffisantes pour l'accueillir et subvenir à ses besoins et qu'elle ne produit pas de justificatifs des liens affectifs les unissant.

3. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

4. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale dans les conditions qui viennent d'être indiquées, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par un jugement du 24 avril 2020 du tribunal de première instance de Mfou (Cameroun), dont l'exequatur a été prononcée par un jugement du 16 juin 2021 du tribunal judiciaire de Montbéliard (Doubs), Mme A... s'est vu confier l'autorité parentale sur son petit-fils, le jeune C... E... né en 2013. Par ailleurs, il ressort des mêmes pièces que Mme A... a travaillé à temps complet en qualité d'agent de service dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à Montbéliard de 2016 à 2020, sous contrat à durée déterminée suivi d'un contrat à durée indéterminée. De septembre 2020 à juin 2021 elle a suivi avec succès une formation diplômante d'aide-soignante, financée par Pôle emploi. Dès juillet 2021, et jusqu'en avril 2022, elle a occupé un emploi d'aide-soignante en contrat à durée déterminée dès lors qu'elle avait alors le projet de vivre dans le Var avec son petit-fils. Sa rémunération, variable selon les mois, s'élevait alors à une moyenne de l'ordre de 1 600 euros par mois. Du 8 au 31 mai 2022 elle a perçu une allocation de retour à l'emploi, alors qu'elle quittait Montbéliard pour Toulon, où elle a été recrutée le 1er juin 2022 comme aide-soignante au bénéfice d'un contrat à durée indéterminée pour une rémunération brute de 1 645 euros, sans compter les primes et indemnités afférentes à cet emploi. Si, alors qu'elle habitait Montbéliard, elle occupait un T1 de petite taille, elle avait demandé, dès qu'elle avait acquis l'autorité parentale sur son petit-fils, à bénéficier d'un logement social plus grand. Il est par ailleurs établi qu'après avoir été hébergée gracieusement à compter de mai 2022 dans le Var par son conjoint, dont elle vit séparée depuis 2018, elle a loué en octobre suivant un logement de 52 m² disposant de 2 chambres à Toulon, pour un loyer mensuel de 525 euros. Par ailleurs, la justification du maintien de liens affectifs entre le délégataire de l'autorité parentale sur un enfant et ce dernier ne constitue pas un motif régulier de rejet d'une demande de visa présentée à ce titre. En conséquence, eu égard aux revenus de Mme A... et à ses conditions de logement, la décision contestée est intervenue en violation de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

6. En second lieu, lorsque, comme en l'espèce, la délivrance d'un visa de séjour répond à l'intérêt supérieur de l'enfant, la circonstance, à la supposer établie, que la délégation d'autorité parentale aurait pour motivation de permettre à l'enfant de s'installer durablement en France ne saurait caractériser un détournement de l'objet de ce visa, qui répond au contraire à un projet de cette nature.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 24 mai 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

8. Le présent arrêt n'implique pas le prononcé d'une injonction sous astreinte autre que l'injonction déjà prononcée par les premiers juges, dès lors qu'il appartient au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre les mesures nécessaires pour délivrer le visa sollicité.

Sur les frais d'instance :

9. Il convient, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme A....

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte présentées par Mme A... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... D... épouse A....

Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01827


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01827
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : RODRIGUES DEVESAS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;23nt01827 ?
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