Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 juin 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint de français.
Par un jugement n° 2206189 du 30 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2023 M. A... C..., représenté par Me Sebbane, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 janvier 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 24 juin 2022 du ministre de l'intérieur refusant de lui délivrer un visa de long séjour ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C... soutient que :
- le tribunal a fondé son appréciation sur un mémoire du ministre enregistré au greffe postérieurement à la date de la clôture d'instruction ;
- son droit à être entendu garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a été méconnu ;
- la décision contestée méconnait les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision contestée est entachée d'un défaut d'examen particulier ;
- la décision contestée méconnait les dispositions de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il ne présente aucune menace à l'ordre public ; la demande ne présente pas de caractère frauduleux ;
- la décision contestée est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant tunisien né le 20 juillet 1996, a déposé une demande de visa de long séjour en qualité de conjoint de français auprès de l'autorité consulaire française à Tunis, laquelle a été rejetée le 24 décembre 2021. Le 9 juin 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a recommandé au ministre de l'intérieur de délivrer un visa à M. C.... Par une décision du 24 juin 2022, le ministre de l'intérieur a refusé de délivrer le visa sollicité. M. C... a alors saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande d'annulation de cette décision. Il relève appel du jugement de ce tribunal du 30 janvier 2023 rejetant sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur s'est fondé, pour rejeter la demande de M. C..., sur la circonstance que celle-ci présente un caractère frauduleux.
3. Aux termes de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de ressortissant français. Il ne peut être refusé qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. ".
4. Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, de l'établir, la seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée n'y faisant pas obstacle.
5. M. C..., ressortissant tunisien, a épousé le 2 octobre 2020 Mme B..., ressortissante française. Pour établir l'intention frauduleuse de M. C..., le ministre de l'intérieur a considéré que ce mariage a été contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, en se fondant sur l'état de vulnérabilité de Mme B..., l'absence de preuve de vie commune et sur le parcours migratoire du demandeur de visa. Toutefois, les documents médicaux qui font état d'un suivi médical de Mme B... ne révèlent pas un état particulier de vulnérabilité physique et psychologique préexistant dont M. C... aurait abusé. Un certificat médical produit par le requérant fait ainsi état de symptômes anxieux dont souffre Mme B..., imputables selon lui aux difficultés rencontrées par son mari afin d'obtenir un visa. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. C... et Mme B... ont commencé à cohabiter en octobre 2020 et produisent quelques attestations de proches témoignant de leur relation, une attestation d'un fournisseur d'énergie établie à leurs deux noms ainsi qu'un contrat de bail pour la location d'un appartement, à compter du 28 octobre 2020. Si le ministre fait valoir que les époux ne résident plus ensemble depuis le départ de M. C... en Tunisie, il ressort toutefois des pièces produites que Mme B... s'est rendue en Tunisie au cours de l'année 2021 pour y rejoindre son époux. Par ailleurs, si le ministre indique que M. C... a séjourné irrégulièrement en Italie, sous une fausse identité, puis en France, cette seule circonstance ne suffit pas à établir le caractère complaisant du mariage alors que l'obligation de quitter le territoire dont il a fait l'objet, le 18 janvier 2021, est postérieure au mariage de M. C... célébré en octobre 2020. Il ne ressort ainsi pas des pièces du dossier que ce mariage aurait été célébré dans le seul but de faire obstacle à une décision portant obligation de quitter le territoire français. Au surplus, il ressort de l'acte de naissance produit qu'un enfant est né de cette union le 7 janvier 2023. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'administration ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère frauduleux du mariage de M. C.... Dans ces conditions, en se fondant sur le caractère frauduleux de la demande de M. C..., le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué ni sur les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. A... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2206189 du 30 janvier 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 24 juin 2022 du ministre de l'intérieur refusant de délivrer à M. C... un visa d'entrée et de long séjour en France est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. A... C... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFETLe greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00963