Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La coopérative Isigny Sainte-Mère a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à la direction départementale de la protection des populations du Calvados lui a enjoint de mettre en conformité, avec les dispositions du règlement (UE) n°1151/2012 du 21 novembre 2012, l'étiquetage des fromages qu'elle commercialise et qui ne bénéficient pas de l'AOP " Camembert de Normandie " ainsi que la décision du 28 décembre 2021 rejetant son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 2200298 du 12 février 2024, le tribunal administratif de Caen, après avoir admis l'intervention de l'Institut national de l'origine et de la qualité (article 1er), a annulé la décision du 6 octobre 2021 (article 2) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 avril 2024, et un mémoire en réplique enregistré le 7 juin 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Caen n° 2200298 du 12 février 2024.
Il soutient que les conditions posées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies :
- l'article 13 du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 n'a pas été méconnu ; la DDPP du Calvados a procédé à un examen au cas par cas de l'ensemble des étiquetages des camemberts non AOP commercialisés par la coopérative Isigny Sainte-Mère, conformément à la méthode présentée dans l'avis aux opérateurs économiques de la Direction général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes publié le 9 juillet 2020 au bulletin officiel de la CCRF ;
- la mesure d'injonction a pour objet d'obliger le professionnel à se conformer à ses obligations conformément à l'article L. 521-1 du code de la consommation ; elle ne porte que sur la mise en conformité des étiquetages des produits cités limitativement dans le procès-verbal et ne pose aucune interdiction générale et absolue ;
- l'ensemble des moyens de légalité externe soulevés en première instance par la coopérative ne sont pas fondés ;
- la mesure d'injonction n'a pas créé de rupture d'égalité entre les fabricants de camemberts.
Par une intervention, enregistrée le 17 mai 2024, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) demande à cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 2200298 du
12 février 2024.
Elle soutient que :
- les conditions d'une méconnaissance de l'article 13 du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 n'étaient pas réunies ; le moyen tiré de l'illégalité de la méthode suivie par la DDPP pour apprécier la conformité des étiquettes aux prescriptions du règlement était inopérant et le juge administratif devait seulement apprécier pour chacune des étiquettes contrôlées si les éléments relevés par la DDPP étaient de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l'esprit le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine " Camembert de Normandie " ;
- en tout état de cause, le tableau figurant au procès-verbal joint à la décision attaquée recense les éléments caractérisant, au cas par cas, une méconnaissance des prescriptions du droit de l'Union ;
- l'injonction ne porte que sur la mise en conformité des étiquetages des produits cités dans le procès-verbal et ne pose aucune interdiction générale et absolue ;
- les autres moyens soulevés en première instance par la coopérative Isigny Sainte-Mère ne sont pas fondés, y compris celui tiré de la rupture d'égalité entre les fabricants de camemberts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2024, la société coopérative agricole Isigny Sainte-Mère demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie tendant au sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024 et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas sérieux et de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, et que l'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie que la demande de sursis à exécution soit rejetée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-le règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil en date du
21 novembre 2012 ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lainé,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;
- et les observations de Mme B... et Mme A..., inspectrices représentant le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (DGCCRF), de Me Pinet, représentant l'institut national de l'origine et de la qualité, et de Me Bombardier, représentant la coopérative Isigny Sainte-Mère.
Considérant ce qui suit :
1. La coopérative Isigny Sainte-Mère produits notamment les camemberts " Camembert d'Isigny moulé à la louche bio", " Camembert d'Isigny moulé à la louche au lait de fermes sélectionnées " et " Camembert 3/4 affiné ", lesquels ne bénéficient pas de l'appellation d'origine protégée (AOP) " Camembert de Normandie ". La société a fait l'objet d'un contrôle de la direction départementale chargée de la protection des populations (DDPP) du Calvados le 19 mai 2021. A la suite de cette opération de contrôle, elle a été rendue destinataire d'un courrier de pré-injonction en date du 12 juillet 2021. Par décision du
6 octobre 2021, l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la DDPP du Calvados lui a enjoint de mettre en conformité avec les prescriptions de l'article 13 du règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012, dans un délai de quatre mois, l'étiquetage des fromages précités. Par un jugement du 12 février 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision du 6 octobre 2021. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement.
Sur l'intervention de l'INAO :
2. L'Institut national de l'origine et de la qualité justifie d'un intérêt suffisant au sursis à exécution du jugement attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
3. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. ".
4. Le moyen tiré de ce que l'administration n'a pas méconnu les dispositions de l'article 13 du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 dès lors, d'une part, qu'elle a procédé à un examen au cas par cas des étiquetages des différentes marques de camembert pour apprécier si les mentions faisant référence à la Normandie sont, compte-tenu de leur agencement ou de leurs modalités concrètes d'apposition, de nature à induire le consommateur en erreur et, d'autre part, qu'elle n'a pas prononcé une interdiction générale et absolue, paraît en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. Dans ces conditions, il y a lieu d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de l'Institut national de l'origine et de la qualité est admise.
Article 2 : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête formée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique contre le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 12 février 2024, il sera sursis à l'exécution de ce jugement.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à l'Institut national de l'origine et de la qualité et à la coopérative d'Isigny Sainte-Mère.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.
Le président de chambre, rapporteur,
L. LAINÉ
L'assesseur le plus ancien
dans le grade le plus élevé,
S. DERLANGE
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01098