Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Rousseau à lui verser la somme de 122 686,34 euros au titre des travaux de remplacement de groupes frigorifiques défectueux ainsi qu'une somme de 92 456,34 euros en remboursement de ses dépenses de location et d'installation de groupes de remplacement, avec intérêts au taux légal et capitalisation.
Par un jugement n° 1702323 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 février 2021, 19 mars 2021 et 15 septembre 2021, le service hydrographique et océanographique de la marine, représenté par la SELARL Cabinet Coudray, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Rennes rejetant ses demandes indemnitaires présentées à l'encontre de la société Rousseau ;
2°) de condamner la société Rousseau à lui verser la somme de 122 686,34 euros au titre des travaux de remplacement de l'ouvrage défectueux ainsi qu'une somme de
92 456,34 euros en remboursement de ses dépenses de location et d'installation de groupes frigorifiques de remplacement, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de cette requête et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la société Rousseau la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité décennale est engagée dès lors que la centrale à eau glacée défectueuse du système de climatisation rend l'ouvrage impropre à sa destination puisque ses dysfonctionnements conduisent à une mise hors service de la climatisation des locaux informatique, imprimerie et façonnage ; les premières pannes ont justifié le recours à du matériel de location ; les groupes de production d'eau glacée, constitutifs de la centrale à eau glacée, constituent des éléments d'équipement de l'ouvrage et rendent celui-ci impropre à sa destination ;
- la société Rousseau, entrepreneur titulaire du marché, est responsable des dommages identifiés alors que les groupes de production d'eau glacée sont défectueux et que les installations réceptionnées ne sont pas conformes aux exigences du cahier des clauses techniques particulières ;
- les préjudices indemnisables comprennent les frais de remplacement des deux groupes de production d'eau glacée pour 122 686,34 euros et les frais de location et d'installation de groupes de production supplémentaires pour 92 456,34 euros ;
- l'absence de déclaration de créance par la société Rousseau, placée en redressement judiciaire par jugement du 11 juillet 2012, est sans incidence sur la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur le présent litige ;
- les groupes de production d'eau glacée ne peuvent se voir appliquer une prescription biennale alors que la garantie décennale trouve à s'appliquer en l'espèce eu égard à la nature des désordres ;
- la prescription quinquennale ne s'applique pas dès lors que les groupes de production d'eau glacée ne sont pas des éléments destinés de manière exclusive à l'exercice d'une activité professionnelle au sens de l'article 1792-7 du code civil et qu'en tout état de cause ils sont un élément indispensable au fonctionnement de l'ouvrage.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juin 2021, 10 juin 2021 et 16 septembre 2021, la société Rousseau, représentée par Me Hallouet, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du service hydrographique et océanographique de la marine ;
2°) subsidiairement, à être garantie solidairement de toute condamnation par les sociétés Airwell et BET Xavier Pichereau ;
3°) de mettre à la charge du service hydrographique et océanographique de la marine, ou de toute autre partie succombante, une somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le service hydrographique et océanographique de la marine ne sont pas fondés ;
- en tout état de cause, au regard des articles L. 622-21 et L. 622-24 du code de commerce, la créance dont se prévaut ce service est inopposable à la société Rousseau dès lors qu'elle a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Brest du 11 juillet 2012 et que la créance en litige n'a pas été déclarée ;
- l'action du SHOM est forclose au regard de l'article 1792-3 du code civil dès lors que le groupe frigorifique est un élément d'équipement dissociable de l'ouvrage auquel s'applique la garantie biennale ;
- l'action du SHOM est en tout état de cause prescrite après cinq ans s'agissant d'éléments d'équipement destinés de manière exclusive à l'exercice d'une activité professionnelle.
Par des mémoires enregistrés les 18 mai et 6 juillet 2021, la SELARL ML Conseils, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Airwell France, représentée par Me Tabet, demande à la cour :
1°) de rejeter les demandes présentées par la société Rousseau à son encontre ;
2°) de mettre à la charge de la société Rousseau une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- eu égard au principe d'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'accord transactionnel du 17 mai 2010 signé par les sociétés Airwell France et Rousseau, les conclusions présentées par cette dernière à son encontre sont irrecevables ;
- en tout état de cause aucune condamnation ne peut être prononcée en l'absence de toute argumentation de la société Rousseau à son encontre et alors que la société Airwell France a été placée en liquidation judiciaire en 2014.
Par un arrêt n° 21NT00417 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du SHOM, annulé ce jugement et condamné la société Rousseau à verser au SHOM la somme de 201 116,79 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du
16 février 2021 et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par une décision n° 461341 du 5 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 21NT00417 du 17 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Rousseau tendant à ce que la société BET Xavier Pichereau soit appelée en garantie et a, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23NT01660.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire, enregistré le 7 juillet 2023, la société Rousseau, représentée par Me Hallouet, demande à la cour :
1°) de condamner la société BET Xavier Pichereau à la garantir de tout ou partie des condamnations prononcées à son encontre ;
2°) de mettre à la charge de la société BET Xavier Pichereau une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les ballons prévus au cahier des charges pour pallier le faible volume d'eau du réseau hydraulique n'ont jamais été installés et ce défaut est imputable à la société BET Xavier Pichereau ; cela a généré une usure prématurée des deux groupes d'eau glacée ; le SHOM a d'ailleurs reproché à la société BET Xavier Pichereau un manquement aux missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'exécution des travaux d'assistance aux opération de réception ; la responsabilité du BET Xavier Pichereau pour les désordres de nature décennale est présumée en application des articles 1792 et suivants du code civil et il lui incombe de rapporter la preuve d'une cause étrangère ; il lui appartenait de vérifier que les installations étaient conformes et propres à satisfaire les besoins du maître de l'ouvrage lors de l'exécution des missions VISA et AOR ;
- la société Airwell France SAS est en cours de liquidation judiciaire et la société BET Xavier Pichereau est radiée du registre du commerce et des sociétés (RCS) à la suite de la clôture de la liquidation judiciaire dont elle fait l'objet ; les juridictions administratives peuvent prononcer une condamnation à l'encontre d'une société faisant l'objet d'une procédure collective.
Par un courrier du 6 juillet 2023, le liquidateur de la société Airwell France a informé la cour qu'il n'entendait pas présenter de nouvelles observations.
Par des courriers du 8 mars et du 17 avril 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la société Rousseau tendant à condamner la société BET Xavier Pichereau à la garantir de tout ou partie des condamnations prononcées à son encontre au motif que cette société a été radiée du registre du commerce et des sociétés de Brest le 22 juin 2015, avant la saisine du tribunal administratif de Rennes, et n'a plus d'existence légale ni aucun représentant qui puisse agir en son nom.
Un mémoire présenté pour la société Rousseau, en réponse au moyen d'ordre public, a été enregistré le 22 mars 2024.
La société Rousseau soutient qu'elle a droit de poursuivre la société BET Xavier Pichereau pour pouvoir recouvrer ses créances et que, même liquidée, une société conserve sa personnalité morale tant qu'elle a des créances ou des dettes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Berkane, substituant Me Hallouet, représentant la société Rousseau.
Considérant ce qui suit :
1. Le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Rousseau à lui verser la somme de 122 686,34 euros au titre de la mauvaise exécution d'un marché conclu en 2010 pour des travaux de remplacement de groupes frigorifiques, ainsi qu'une somme de 92 456,34 euros en remboursement de ses dépenses de location et d'installation de groupes de remplacement des groupes frigorifiques défectueux, avec intérêts au taux légal et capitalisation. Par un arrêt n° 21NT00417 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du SHOM, annulé le jugement du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté sa demande et condamné la société Rousseau à verser au SHOM la somme de 201116,79 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 février 2021 et rejeté le surplus des conclusions des parties. Par une décision n° 461341 du 5 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 17 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Rousseau tendant à ce que la société BET Xavier Pichereau, maître d'oeuvre, soit appelée en garantie et a renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour.
2. Les sociétés Rousseau et BET Xavier Pichereau, bien que participantes à l'opération de travaux publics en litige, n'avaient aucun rapport contractuel. Par suite, il appartient à la société Rousseau, pour engager la responsabilité de la société BET Xavier Pichereau, sur le fondement quasi-délictuel, d'établir l'existence d'une faute commise par celle-ci.
3. Deux groupes frigorifiques à condensation par air, mis en place pour la production d'eau glacée par la société Rousseau, ont successivement connu des dysfonctionnements puis un arrêt affectant la climatisation des locaux du SHOM. La responsabilité décennale de la société Rousseau, prise en sa qualité de constructeur, a été reconnue par la cour dans son arrêt du 17 décembre 2021 devenu définitif sur ce point. Cette société soutient que la société BET Xavier Pichereau, qui avait pour mission, en sa qualité d'assistant au maître d'ouvrage, de suivre l'exécution des travaux et d'assister le SHOM aux opérations de réception, est responsable de l'absence d'installation des ballons prévus au cahier des charges pour pallier le faible volume d'eau du réseau hydraulique, ce qui aurait généré " une usure prématurée des deux groupes d'eau glacée ". Elle en conclut que la société BET Xavier Pichereau aurait dû " vérifier que les installations étaient conformes et propres à satisfaire aux besoins du maître de l'ouvrage ".
4. Toutefois, la société Rousseau ne justifie pas de ses allégations en produisant un courrier du SHOM du 13 septembre 2013 mettant en cause le BET Xavier Pichereau en invoquant " une non-conformité au marché " qui lui serait imputable dans le cadre de ses missions, ainsi qu'un courrier du 1er avril 2014 adressé par le SHOM à ce bureau d'études techniques pour lui demander divers documents, dont les procès-verbaux de mise en service des groupes frigorifiques attestant de la conformité de l'installation, les notes de calculs de justification de l'absence de volumes tampon sur les installations et du dimensionnement des équipements et la validation du volume d'eau minimum de l'installation pour un fonctionnement optimal des groupes implantés. Elle n'en justifie pas davantage en invoquant une expertise amiable qui serait intervenue le 5 juillet 2013 non produite au dossier, ainsi qu'une expertise technique non contradictoire, du 17 mars 2014, portant sur les installations frigorifiques, réalisée à la demande du SHOM. Au demeurant, il ressort de ses écritures de première instance que la société Rousseau a reconnu que " la cause des désordres n'a pas pu être déterminée avec certitude ".
5. Il résulte de tout ce qui précède que la société Rousseau n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à ce que la société BET Xavier Pichereau soit appelée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société BET Xavier Pichereau, qui n'est pas la partie perdante, verse à la société Rousseau une somme au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : Les conclusions de la société Rousseau tendant à ce que la société BET Xavier Pichereau soit appelée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre et à ce que soit mise à sa charge une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rousseau et à Me Corre, en sa qualité de mandataire ad hoc de la société BET Xavier Pichereau.
Copie en sera adressée, pour information, au service hydrographique et océanographique de la marine et à la société ML Conseils, liquidateur judiciaire de la société Airwell France.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.
Le président, rapporteur,
S. DERLANGE
L'assesseure la plus ancienne
dans le grade le plus élevé,
P. PICQUET
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT01660