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21/06/2024 | FRANCE | N°22NT03839

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 21 juin 2024, 22NT03839


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale des enfants A... F... C..., C... F... C..., G... F... C... et H... F... C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 décembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 13 octobre 2021 de l'autorité consulaire française à Djibouti lui refusant, ainsi qu'à ses qua

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale des enfants A... F... C..., C... F... C..., G... F... C... et H... F... C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 décembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 13 octobre 2021 de l'autorité consulaire française à Djibouti lui refusant, ainsi qu'à ses quatre enfants mineurs, la délivrance de visas long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°2201741 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 22 décembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un visa de long séjour à Mme B... A... ainsi qu'aux enfants A... F... C..., C... F... C..., G... F... C... et H... F... C..., dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande de Mme B... A... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- l'identité et les liens de filiation ne sont pas établis par les actes d'état civil produits ;

- les certificats de naissance délivrés par l'Etat du Puntland ne sont pas probants en ce qu'ils ont été délivrés par un Etat dépourvu d'existence internationale, non habilité à établir des actes d'état-civil ; ces actes comportent en outre de nombreuses erreurs dans les mentions pré-imprimées et sont affectés de nombreuses incohérences ;

- les certificats de naissance délivrés par la municipalité de Mogadiscio ne sont pas davantage probants ; ils comportent en outre de nombreuses erreurs dans les mentions pré-imprimées ; ils sont affectés de nombreuses incohérences ;

- les passeports produits ne sont pas conformes au modèle du passeport somalien en vigueur depuis le 1er janvier 2016, publié sur le site internet du conseil européen et seul reconnu par ce dernier comme étant émis par les autorités somaliennes ; ils ont été délivrés à une date antérieure à l'établissement des certificats de naissance alors qu'ils ne peuvent être établis que sur présentation des certificats de naissance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2023, Mme B... A..., représentée par Me Seignalet Mauhourat, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans les quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros hors taxe sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 12 janvier 2023, M. C... D..., représenté par Me Seignalet Mauhourat, demande que la cour rejette la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer par les mêmes motifs que ceux exposés par Mme B... A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D..., ressortissant somalien, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié le 3 juillet 2018. Mme B... A..., présentée comme son épouse, a sollicité pour elle et les quatre enfants allégués du couple, A... F... C..., C... F... C..., G... F... C... et H... F... C..., la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 13 octobre 2021, l'autorité consulaire française à Djibouti a rejeté ces demandes de visas. Par une décision du 22 décembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires. Par un jugement du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B... A..., la décision du 22 décembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur l'intervention de M. C... D... :

2. M. C... D..., époux et père allégué des demandeurs de visas, a intérêt au maintien du jugement attaqué. Ainsi son intervention est recevable.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : /1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".

4. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial de la conjointe et des enfants d'une personne reconnue réfugiée ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public.

6. Pour rejeter les demandes de visas de long séjour présentées en faveur de Mme B... A... et des quatre enfants, la commission de recours s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité et le lien de filiation de demandeurs de visas à l'égard du réunifiant n'étaient pas établis.

7. Pour justifier de l'identité des demandeurs de visa et de leur lien familial à l'égard de M. C... D..., ont été produits des certificats de naissance établis le 25 novembre 2020 par les autorités de la région somalienne du Puntland. Si le ministre fait valoir que les certificats de naissance dressés par les autorités de l'Etat du Puntland, non reconnu par la communauté internationale, ne sauraient être pris en compte, il ressort des pièces du dossier que les demandeurs de visa ont également produit devant le tribunal administratif de Nantes des certificats de naissance, dressés par la municipalité de Mogadiscio le 6 novembre 2021, lieu de naissance de Mme B... A... ainsi que des quatre enfants, qui ont été légalisés par les services de l'ambassade de la Somalie en France. Les circonstances que les mentions pré-imprimées de ces documents présenteraient diverses anomalies tenant à une double numérotation " computer serial ", à la mention " municipality of Mogadishu " en lieu et place de " Mogadishu municipality ", à l'emploi de termes en langue somalie différents de ceux retenus pour l'établissement des passeports biométriques en vigueur depuis le 1er janvier 2016 pour les champs relatifs au lieu de naissance, au genre et à la date de délivrance et qu'ils sont présentés en langues somalie et anglaise et non dans les seules langues officielles de la Somalie que sont le somalien et l'arabe, ne suffisent pas à démontrer le caractère irrégulier, falsifié ou inexact des certificats de naissance et d'identité produits, lesquels ont été légalisés par les services de l'ambassade de la Somalie en France. Si le ministre formule des doutes sur le caractère authentique de la légalisation de ces actes, les demandeurs de visa justifient de la présence du réunifiant, M. C... D..., auprès des services de l'ambassade de la Somalie à Paris à la date du 16 novembre 2021 à laquelle il a été procédé à la légalisation des certificats de naissance. En faisant valoir qu'il est peu vraisemblable que les demandeurs de visa aient pu solliciter, le 6 novembre 2021 à Mogadiscio, l'établissement des certificats de naissance après avoir déposé leurs demandes de visa le 5 mai 2021 à Djibouti, compte tenu de la distance et des zones de conflit séparant ces deux villes, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'établit pas davantage ses allégations sur le caractère non authentique des certificats de naissance. Il en va de même de l'allégation du ministre selon laquelle le tampon et la signature du maire de Mogadiscio apposés sur les certificats de naissance auraient été scannés d'un certificat à l'autre, alors que les actes produits par les demandeurs de visa, à savoir les certificats de naissance établis les 25 novembre 2020 et 6 novembre 2021, les cartes d'identité de Mme B... A... et de la jeune H... F... C... et les passeports de l'ensemble des demandeurs de visas comportent tous les mentions essentielles que sont les nom et prénom, date et lieu de naissance ainsi que les nom et prénom des père et mère et que ces mentions sont toutes concordantes entre elles, mais aussi avec les déclarations faites par le réunifiant, M. C... D..., auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et, s'agissant de Mme B... A..., avec les mentions du certificat de mariage dressé le 29 janvier 2019 par l'OFPRA, non contesté par le ministre. Enfin, la circonstance alléguée par le ministre que les passeports présentés ne seraient pas conformes au dernier modèle de passeport reconnu par l'Union européenne ne permet pas d'établir que les certificats de naissance des demandeurs présenteraient un caractère inauthentique ou que les mentions y figurant ne correspondraient pas à la réalité. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visas, et partant, leur lien familial à l'égard de M. C... D... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées aux points 3 et 4.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 22 décembre 2021 de la commission de recours.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

9. Le tribunal a fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées devant lui par Mme B... A.... Les conclusions présentées, de nouveau, à cette fin par l'intéressée devant la cour sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

10. Mme B... A... n'a pas sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocate ne peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les conclusions présentées à ce titre doivent, dès lors, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de M. C... D... est admise.

Article 2 : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 3 : Les conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées en appel par Mme B... A... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme B... A... et à M. C... D....

Délibéré après l'audience du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. LE REOUR

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03839


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03839
Date de la décision : 21/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : SEIGNALET MAUHOURAT

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-21;22nt03839 ?
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