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21/06/2024 | FRANCE | N°22NT02844

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 21 juin 2024, 22NT02844


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... B... et Mme A... C... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 30 août 2021 des autorités consulaires française à Tunis (République tunisienne) refusant de délivrer à M. D... B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.





Par un jugement n° 2114612 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nante...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... et Mme A... C... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 30 août 2021 des autorités consulaires française à Tunis (République tunisienne) refusant de délivrer à M. D... B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 2114612 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 août 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... et Mme C... B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que :

- le mariage de M. B... et de Mme C... est frauduleux ;

- la présence de M. B... en France représente une menace pour l'ordre public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2022, M. B... et Mme A... C... épouse B..., représentés par Me Sabatier, concluent au rejet de la requête et à ce que l'Etat verse à leur conseil une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme C... épouse B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B... et de Mme C... épouse B..., la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant à M. B... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de conjoint d'une ressortissante française et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public (...) ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa. La circonstance que l'intention matrimoniale d'un des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle, à elle seule, à ce qu'une telle fraude soit établie.

3. Pour établir que le mariage contracté à Saint-Fons, le 17 avril 2021 par M. et Mme B... est entaché de fraude, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que les circonstances de leur rencontre ne sont pas déterminées, que les intéressés soutiennent vivre ensemble depuis le mois de novembre 2020 alors que le divorce de Mme C... épouse B... avec son précédent époux n'a été prononcé qu'en octobre 2020, que cette dernière, sans emploi et deux fois divorcée, serait une personne vulnérable et qu'il existe une différence d'âge de 13 ans entre les époux. Toutefois, les pièces du dossier, notamment les photographies du couple et les captures d'écran des comptes Facebook des intéressés produits par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne permettent pas de faire regarder Mme C... épouse B... comme une personne vulnérable, ni de faire considérer que son union avec M. B... serait entachée d'un vice du consentement. Il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier, notamment des attestations de tiers produites par M. et Mme B..., dont les contenus sont concordants, que la relation entre les époux datait d'un an avant la célébration du mariage et que les intéressés ont vécu au domicile de Mme C... épouse B... jusqu'au départ de M. B... en Tunisie, le 15 août 2021, ainsi qu'il ressort également des mentions d'une facture d'électricité du mois de juillet 2021, libellée à l'adresse commune des époux. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les échanges entre ces derniers n'ont pas cessé après le retour de M. B... en Tunisie, où son épouse lui a rendu visite, au mois de septembre 2021, lors d'un séjour de cinq jours dont la brièveté ne permet pas de conclure à l'absence de sincérité des intentions matrimoniales. Dans ces conditions, et alors même que M. B... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en 2016, la commission de recours, en fondant son refus de délivrance d'un visa sur le caractère complaisant du mariage contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Toutefois, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir, dans ses écritures d'appel, un nouveau motif tiré de ce que la présence en France de M. B... représente une menace à l'ordre public.

5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a versé aux débats une capture d'écran du site internet du ministère de l'intérieur tunisien indiquant que, pour se voir délivrer un passeport à l'étranger, les ressortissants de la République tunisienne doivent produire " tout document prouvant la résidence réglementaire à l'étranger ". Il est constant que M. B... qui s'est maintenu sur le territoire français à la suite d'une obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre en 2016 et qui ne pouvait ainsi produire de document attestant de la régularité de son séjour en France, s'est malgré tout vu délivrer un passeport tunisien, à Lyon, le 15 décembre 2018. Toutefois, cette circonstance ne suffit pas à établir que le passeport aurait été obtenu par fraude, ni en tout état de cause, à faire considérer que la présence de l'intéressé en France représenterait une menace pour l'ordre public. Il n'y a pas lieu, dès lors, de faire droit à la substitution de motifs demandée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme C... épouse B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Sabatier dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E:

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Sabatier une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Sabatier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... C... épouse B... et à M. D... B....

Délibéré après l'audience du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

M. E...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02844


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02844
Date de la décision : 21/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : SELARL BS2A BESCOU & SABATIER

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-21;22nt02844 ?
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