La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2024 | FRANCE | N°23NT01002

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 07 juin 2024, 23NT01002


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2020 par lequel le maire de Villers-sur-Mer a accordé à la société Terralia Normandie un permis d'aménager pour la création d'un lotissement de deux lots à destination d'habitation individuelle, d'une surface de plancher totale de 1 200 mètres carrés, sur un terrain situé rue Convers.



Par un jugement n° 2100225 du 9 février 2023, le tribunal administratif d

e Caen a rejeté leur demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2020 par lequel le maire de Villers-sur-Mer a accordé à la société Terralia Normandie un permis d'aménager pour la création d'un lotissement de deux lots à destination d'habitation individuelle, d'une surface de plancher totale de 1 200 mètres carrés, sur un terrain situé rue Convers.

Par un jugement n° 2100225 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 avril 2023 et 14 mars 2024, M. et Mme A..., représentés par Me Lebey, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler l'arrêté du maire de Villers-sur-Mer du 4 décembre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Villers-sur-Mer le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le classement en zone UC du terrain d'assiette du projet litigieux par le plan local d'urbanisme intercommunal est incompatible avec le schéma de cohérence territoriale du Nord Pays d'Auge applicable ;

- ce classement est également incohérent avec le projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme intercommunal ;

- ce classement est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le permis d'aménager contesté méconnaît les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme et d'erreur d'appréciation au regard de l'article UC 11 du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article UC 3 du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 janvier et 28 mars 2024, la commune de Villers-sur-Mer, représentée par Me Labrusse, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. et Mme A... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. et Mme A... n'ont pas intérêt à agir à l'encontre du permis d'aménager litigieux ;

- les moyens invoqués par M. et Mme A... ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 10 novembre 2023 et 21 mars 2024, la société Terralia Normandie, représentée par la SELARL Soler-Couteaux et Associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. et Mme A... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par M. et Mme A... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mas,

- et les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 4 décembre 2020, le maire de Villers-sur-Mer a délivré à la société Terralia Normandie un permis d'aménager pour la création d'un lotissement de deux lots à destination d'habitation individuelle, d'une surface de plancher totale de 1 200 mètres carrés, sur un terrain situé rue Convers. M. et Mme A..., propriétaires d'un tènement foncier adjacent au terrain d'assiette de ce projet, sur lequel se situe une maison d'habitation qui constitue leur résidence secondaire, ont demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Caen. Ils relèvent appel du jugement du 9 février 2023 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

2. En premier lieu, l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme dispose : " Les requêtes dirigées contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l' article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation, du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l'occupation ou de la détention de son bien par le requérant. ".

3. M. et Mme A... ont produit devant le tribunal administratif de Caen une attestation notariale justifiant de ce qu'ils sont propriétaires des parcelles cadastrées à la section AB sous les n°s 306, 309, 310, 311, 312 et 429, sur le territoire de la commune de Villers-sur-Mer, les parcelles n°s 306 et 310 étant mitoyennes du terrain d'assiette du projet litigieux. La fin de non-recevoir opposée à leur demande de première instance, tirée de ce qu'ils n'ont pas justifié d'un titre de propriété, doit dès lors être écartée.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.

6. M. et Mme A... justifient, ainsi qu'il a été dit, être propriétaires de parcelles mitoyennes du terrain d'assiette du projet litigieux, lesquelles supportent une maison d'habitation à usage de résidence secondaire et un jardin d'agrément. Ils se prévalent des atteintes que le projet de lotissement litigieux est susceptible de porter à la vue dégagée dont ils jouissent depuis leurs parcelles, ainsi que de nuisances sonores. La commune de Villers-sur-Mer n'apporte aucun élément de nature à établir que ces atteintes alléguées aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien seraient dépourvues de réalité. La fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance de M. et Mme A..., tirée de leur défaut d'intérêt à contester l'arrêté du 4 décembre 2020 par lequel le maire de Villers-sur-Mer a délivré à la société Terralia Normandie un permis d'aménager pour la création d'un lotissement de deux lots à destination d'habitation individuelle, doit dès lors être écartée.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 4 décembre 2020 du maire de Villers-sur-Mer :

7. D'une part, l'article L. 131-1 du code de l'urbanisme dispose que les schémas de cohérence territoriale sont compatibles avec les dispositions particulières au littoral et aux zones de montagne prévues par le même code. En vertu du premier alinéa de l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme, les dispositions du chapitre relatif à l'aménagement et à la protection du littoral sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l'établissement de clôtures, l'ouverture de carrières, la recherche et l'exploitation de minerais et les installations classées pour la protection de l'environnement. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme, ajouté par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l'environnement, des particularités locales et de la capacité d'accueil du territoire, les modalités d'application des dispositions du présent chapitre [relatif à l'aménagement et protection du littoral]. Il détermine les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l'article L. 121-8, et en définit la localisation ".

8. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.

9. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, notamment celles de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.

10. A ce titre, l'autorité administrative s'assure de la conformité d'une autorisation d'urbanisme avec l'article L. 121-8 de ce code compte tenu des dispositions du schéma de cohérence territoriale applicable, déterminant les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et définissant leur localisation, dès lors qu'elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral.

11. Le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale du Nord Pays d'Auge, approuvé par délibération du 29 février 2020, prévoit que les documents d'urbanisme déterminent le périmètre des agglomérations et villages existants au sens des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, définis comme " des agglomérations et villages de taille et densité significatives, avec un mode d'aménagement et une structuration faisant prévaloir les caractéristiques de noyaux urbains fonctionnels ", en s'appuyant sur la localisation indicative du schéma, en veillant au caractère continu et structuré de l'urbanisation et en identifiant, le cas échéant, les ruptures d'urbanisation. La localisation indicative des agglomérations et villages figurant en annexe cartographique de ce schéma inclut le terrain d'assiette du projet litigieux au sein des " agglomérations et villages pouvant se développer ".

12. Le terrain d'assiette du projet litigieux est entouré, à l'est, au sud et à l'ouest, de parcelles d'une grande superficie supportant des constructions implantées de façon peu dense et s'ouvre, au nord, sur un espace non bâti constitué de six grandes parcelles entourant la résidence secondaire de M. et Mme A..., seule construction située au sein de cet espace. Dans ce secteur, les constructions sont édifiées sur de grandes parcelles et sont identifiées pour leur intérêt architectural au plan local d'urbanisme intercommunal. Ce secteur, qui fait l'objet d'une aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine, est nettement distinct des zones urbanisées situées au nord-est, du fait de la faible densité d'implantation des constructions et de la présence de parcelles non bâties au nord. Il constitue ainsi une zone d'urbanisation diffuse, en continuité de laquelle les dispositions précitées de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme prohibent toute extension de l'urbanisation.

13. La cartographie figurant en annexe du schéma de cohérence territoriale inclut l'ensemble de ce secteur, dont le terrain d'assiette du projet litigieux, dans les " agglomérations et villages pouvant se développer ". En ce qu'elles autorisent l'extension de l'urbanisation dans une zone d'urbanisation diffuse, ces dispositions du schéma de cohérence territoriale relatives à l'emplacement des agglomérations et villages sont incompatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral et ne peuvent, par suite, conformément aux principes rappelés au point 10, être prises en compte pour apprécier la conformité du permis d'aménager litigieux avec l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.

14. Pour les motifs exposés au point 12 ci-dessus, le permis d'aménager litigieux, qui autorise la construction de deux habitations au sein d'une zone d'urbanisation diffuse, a été délivré en méconnaissance de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme. M. et Mme A... sont dès lors fondés à soutenir que l'arrêté du 4 décembre 2020 du maire de Villers-sur-Mer est entaché d'illégalité au regard de ces dispositions.

15. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens invoqués n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de l'arrêté contesté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tenant à l'annulation de l'arrêté du 4 décembre 2020 du maire de Villers-sur-Mer.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme A..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement des sommes que demandent la commune de Villers-sur-Mer et la société Terralia Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Villers-sur-Mer, sur le fondement des dispositions du même article, le versement d'une somme de 1 500 euros au profit de M. et Mme A....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 9 février 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 4 décembre 2020 du maire de Villers-sur-Mer est annulé.

Article 3 : La commune de Villers-sur-Mer versera à M. et Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Villers-sur-Mer et la société Terralia Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A..., à la commune de Villers-sur-Mer et à la Société Terralia Normandie.

Copie en sera adressée, pour information, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lisieux.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.

Le rapporteur,

B. MASLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. LE REOUR

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01002
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Benoît MAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : LEBEY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;23nt01002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award