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04/06/2024 | FRANCE | N°23NT03722

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 04 juin 2024, 23NT03722


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme I... B... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision du 14 février 2022 des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République Démocratique du Congo) refusant de délivrer à l'enfant A... B... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.



M. K.

.. M..., père de l'enfant A... B..., a présenté un mémoire en intervention dans le cadre de cette insta...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... B... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision du 14 février 2022 des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République Démocratique du Congo) refusant de délivrer à l'enfant A... B... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.

M. K... M..., père de l'enfant A... B..., a présenté un mémoire en intervention dans le cadre de cette instance.

Par un jugement n° 2210043 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a admis l'intervention de M. K... M..., a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2023, Mme B... E... et M. C... N..., agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de l'enfant A... B..., représentés par Me Pronost, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 avril 2023 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer le visa sollicité ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des frais exposés en première instance, le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

5°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des frais exposés en appel, le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les dispositions de l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration qui fixent un délai d'un mois pour communiquer les motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ont été méconnues en dépit de la circonstance qu'une décision explicite de refus a été prise ;

- la décision contestée est contraire aux dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et le ministre ne peuvent lui reprocher l'absence de production d'un jugement lui confiant l'exercice de l'autorité parentale et d'une autorisation de sortie du territoire congolais l'autre parent sans l'avoir invitée au préalable à produire ces documents ;

- en outre, par un jugement du 27 avril 2015, le tribunal pour enfants de Kinshasa a fait droit à la requête de M. C... N... et a confié la garde de l'enfant à sa mère de sorte que les dispositions de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été respectées ;

- la décision contestée est contraire aux articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui a reçu communication de la requête, n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme B... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Gélard, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... E..., ressortissante congolaise qui a obtenu le statut de réfugié politique en France le 13 octobre 2020, et M.M...a, ressortissant congolais, relèvent appel du jugement du 28 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite, puis de la décision explicite du 20 juillet 2022, par lesquelles la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République Démocratique du Congo), refusant de délivrer à l'enfant A... B..., un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.

2. Lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde. Par suite, les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme B... E... et M.M...a, dirigées initialement contre la décision consulaire doivent être regardées comme dirigées non pas contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, mais contre la décision du 20 juillet 2022 par laquelle cette commission a explicitement rejeté leur recours.

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

4. Mme B... E... et M.M...a ont produit la copie intégrale de l'acte de naissance de l'enfant A... B... établi le 3 juin 2021 à la suite d'un jugement supplétif du tribunal pour enfants de Kinshasa/Kinkole portant le n° RC 6001 en date du 16 avril 2021, ainsi que ledit jugement. Ce tribunal a jugé que l'enfant A... B..., était née à Kinshasa le 18 novembre 2006, de l'union de M. C...N...a et de Mme I... B... E... et a ordonné à l'officier d'état civil de la commune de N'Djili de transcrire le dispositif de ce jugement dans le registre des naissances et de délivrer l'acte de naissance en résultant. Les requérants se prévalent également d'un jugement du tribunal pour enfants de Kinshasa du 27 avril 2015, rendu sur la requête de M.M...a, qui indique être dépourvu de moyens et sollicite que la garde de sa fille, A... B..., née de son union libre avec Mme I... B... E..., soit confiée à cette dernière. Conformément à sa demande le tribunal a confié la garde de cette enfant ainsi que l'exercice de l'autorité parentale à sa mère. M.M...a a en outre produit une attestation indiquant s'associer à la mère de sa fille pour la faire venir en France, où lui-même réside en dépit de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre par le préfet du Val de Marne le 11 janvier 2021. Enfin, il est constant que les trois enfants de Mme B... E..., D..., H... et F..., nées respectivement en 2011 et 2013 de son union avec M. L..., ont obtenus, le 10 février 2022, des visas de long séjour au titre de la réunification familiale et résident désormais en France aux cotés de leur mère, alors que leur demi-sœur A..., restée en République Démocratique du Congo, est hébergée dans ce pays par une tante maternelle. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et en dépit de la circonstance que Mme B... E... n'a mentionné l'existence de sa fille A... auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que le 3 novembre 2020 alors qu'elle a obtenu la qualité de réfugié politique le 13 octobre 2020, le refus de visas opposé à l'enfant A... B... porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ainsi qu'à celui de Mme B... E... au regard des buts de cette mesure et méconnait ainsi l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... E... et M.M...a sont fondés à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation la décision du 20 juillet 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant la délivrance d'un visa de long séjour à l'enfant A... B... au titre de la réunification familiale.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Le présent arrêt implique qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme A... B.... Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa à l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

En ce qui concerne les frais exposés devant le tribunal administratif :

7. Par le jugement attaqué le tribunal administratif de Nantes a estimé que Mme B... E... n'était pas fondée à demander l'annulation de la décision du 20 juillet 2022 et a rejeté sa requête " en toutes ses conclusions ". Par voie de conséquence de ce qui vient d'être dit ci-dessus, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pronost de la somme de 1200 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la condition de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

En ce qui concerne les frais exposés devant la cour :

8. Mme B... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate, Me Pronost, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la condition de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pronost d'une somme de 1 200 euros hors taxes, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2210043 du 28 avril 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 20 juillet 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme A... B... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Pronost une somme globale de 2 400 euros hors taxe, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B... E... et M.M...a est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme O... B... E... et M. C...N...a et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03722


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03722
Date de la décision : 04/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : PRONOST

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-04;23nt03722 ?
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