Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles, lequel a transféré sa requête au tribunal administratif de Rennes, territorialement compétent, de condamner l'Etat, en sa qualité d'employeur, à lui verser la somme de 8 000 euros, en réparation de son préjudice d'anxiété résultant de la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) à l'avoir exposé pendant de nombreuses années à l'inhalation de poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2102666 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2023, M. A..., représenté par Me Gannat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 30 mars 2023 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la prescription quadriennale de sa créance n'a commencé à courir qu'à compter du 1er janvier 2022 dès lors qu'il n'a reçu son attestation d'exposition aux poussières d'amiante que le 28 janvier 2021 ; à la date de sa réclamation préalable sa créance n'était donc pas prescrite ;
- à tout le moins, le point de départ de sa créance est le 1er janvier 2020, compte tenu de l'information donnée en 2019 par la voie syndicale ; à la date de sa réclamation préalable sa créance n'était donc pas davantage prescrite ;
- la décision rejetant sa réclamation préalable est insuffisamment motivée ;
- cette décision est entachée d'une erreur de fait dès lors que plusieurs de ses anciens collègues ont bénéficié d'une indemnisation de leur préjudice d'anxiété ;
- il établit, par l'attestation qu'il produit, avoir été exposé à l'amiante au cours de la période du 5 septembre 1995 au 31 mars 2006, pendant laquelle il était employé comme ouvrier d'Etat du ministère de la Défense mis à disposition de la direction des constructions navales de B... en qualité de modeleur/mouleur en matières plastiques et composites ; cette circonstance suffit à faire présumer son préjudice d'anxiété lié à son exposition à des matières dangereuses et la crainte de développer une pathologie grave, ou mortelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la créance est prescrite et que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été employé au sein de la direction des constructions navales (DCN) de B... en qualité de modeleur-mouleur du 5 septembre 1995 au 31 mars 2006. Le 5 mai 2020, il a adressé au ministre des armées une réclamation indemnitaire préalable en sollicitant la réparation du préjudice d'anxiété résultant de son exposition aux poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace fourni par l'employeur. Sa demande a été rejetée le 7 janvier 2021. L'intéressé relève appel du jugement du 30 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire. Il demande à la cour de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété.
Sur l'exception de prescription quadriennale :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " Une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers ou anciens ouvriers de l'Etat relevant ou ayant relevé du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou parties d'établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale, pendant des périodes fixées dans les mêmes conditions, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; / 2° Avoir exercé, pendant les périodes mentionnées au 1°, une profession figurant sur une liste établie par arrêté du ministre intéressé et des ministres chargés du budget, du travail et de la sécurité sociale ; / 3° Avoir atteint l'âge prévu à l'article 3. / (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant à certains ouvriers d'Etat ayant travaillé dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales figurant sur une liste établie par arrêté interministériel, de percevoir, sous certaines conditions, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, sous réserve de cesser toute activité professionnelle.
4. En premier lieu, s'agissant du point de départ du délai de prescription, ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.
5. Le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante mentionnée au point 3 naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante. La publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel dans les conditions mentionnées au point 3, est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de publication de cet arrêté. Lorsque l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé. Enfin, dès lors que l'exposition a cessé, la créance se rattache, en application de ce qui a été dit au point 4, non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.
6. En second lieu, s'agissant de l'interruption du délai de prescription, tout d'abord, les recours formés à l'encontre de l'Etat par des tiers tels que d'autres salariés victimes, leurs ayants droit ou des sociétés exerçant une action en garantie fondée sur les droits d'autres salariés victimes ne peuvent être regardés comme relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance personnelle de l'intéressé, dont ils ne peuvent dès lors interrompre le délai de prescription en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.
7. Ensuite, les dispositions de cet article subordonnant l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique, les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires ne peuvent, en tout état de cause, en l'absence d'une telle mise en cause, davantage interrompre le cours du délai de prescription de la créance le cas échéant détenue sur l'Etat.
8. Enfin, lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance. En revanche, ne présentent un tel caractère ni une plainte pénale qui n'est pas déposée entre les mains d'un juge d'instruction et assortie d'une constitution de partie civile, ni l'engagement de l'action publique, ni l'exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette action donne lieu en première instance et en appel.
9. M. A... recherche la responsabilité de l'Etat, en sa qualité d'employeur, pour carence fautive dans la mise en œuvre effective des mesures de protection contre les poussières d'amiante. Les fonctions de modeleur-mouleur en matières plastiques et composites figurent dans la liste des professions permettant l'attribution d'une allocation de cessation anticipée d'activité mentionnées à l'annexe I de l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense. Par ailleurs, l'attestation d'exposition aux poussières d'amiante qui a été délivrée à M. A... le 28 janvier 2021 par son employeur indique qu'il a travaillé au sein de la DCN de B... du 1er janvier 1998 au 31 décembre 1999, à l'atelier du bâtiment d'armement de la Grande Rivière, et du 1er janvier 2000 au 14 septembre 2001, du 15 juin 2002 au 16 octobre 2002 et du 2 juillet 2003 au 31 janvier 2005, dans les ateliers bois matières plastiques (Ile Factice). Ces ateliers figurent dans la liste des établissements ou parties d'établissements dont les activités étaient susceptibles d'ouvrir droit à l'attribution de l'allocation de cessation anticipée d'activité mentionnés à l'annexe III de l'arrêté du 21 avril 2006. Par suite, et alors même que son employeur ne lui a adressé son attestation personnelle d'exposition aux poussières d'amiante que le 28 janvier 2021, le délai de prescription quadriennale de la créance de M. A... à l'encontre de l'Etat a débuté que le 1er janvier 2007, à la suite de la publication au Journal Officiel le 10 mai 2006 de l'arrêté du 21 avril 2006. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... aurait déposé contre l'auteur des agissements fautifs qu'il dénonce une plainte avec constitution de partie civile, ou se serait porté partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte. Par suite, la créance de M. A... était prescrite au 31 décembre 2010. Enfin, le requérant ne peut utilement se prévaloir du fait que certains de ses anciens collègues, dans le cadre d'une négociation transactionnelle et non d'une action contentieuse, ou des marins embarqués sur des navires de la marine nationale lesquels ne sont pas concernés par l'arrêté du 21 avril 2006, ont bénéficié d'une indemnisation de leur préjudice d'anxiété en raison de leur exposition dans le cadre de leur activité professionnelle aux poussières d'amiante dès lors qu'il ne se trouve pas dans la même situation juridique que ces autres agents du ministère des armées. C'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont estimé que la réclamation préalable présentée par M. A... le 5 mai 2020 était tardive.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01568