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04/06/2024 | FRANCE | N°22NT02315

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 04 juin 2024, 22NT02315


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) du Bas Dezerseul a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2018 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a mise en demeure, d'une part, avant le 31 mars 2019, soit de déposer un dossier d'autorisation environnementale pour les travaux de busage réalisés, soit de déposer un projet de remise en état du site, d'autre part, de respecter l'obligation d'implanter ou maintenir une band

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) du Bas Dezerseul a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 16 novembre 2018 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a mise en demeure, d'une part, avant le 31 mars 2019, soit de déposer un dossier d'autorisation environnementale pour les travaux de busage réalisés, soit de déposer un projet de remise en état du site, d'autre part, de respecter l'obligation d'implanter ou maintenir une bande enherbée ou boisée d'une largeur minimale de 5 mètres en bordure de la totalité du cours d'eau présent sur ses parcelles, ainsi que la décision du 13 février 2019 rejetant son recours gracieux contre ces arrêtés.

Par un jugement n° 1901759 du 24 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 juillet 2022, 13 mars 2023 et 14 avril 2023, l' EARL du Bas Dezerseul, représentée par Me Barbier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 mai 2022 ;

2°) d'annuler les arrêtés de mise en demeure du 16 novembre 2018 du préfet d'Ille-et-Vilaine ainsi que la décision du 13 février 2019 rejetant son recours gracieux contre ces arrêtés ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'EARL du Bas Dezerseul soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier car insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges n'ont pas caractérisé l'existence d'un cours d'eau au regard des critères prévus par les dispositions de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement ;

- les arrêtés contestés méconnaissent les dispositions de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement dès lors que ces dernières ne permettent pas de caractériser en l'espèce l'existence d'un cours d'eau.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'EARL du Bas Dezerseul ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dubost,

- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,

- et les observations de Me Boisset, substituant Me Barbier, représentant l'EARL du Bas Dezerseul.

Une note en délibéré, présentée pour l'EARL du Bas Dezerseul, a été enregistrée le 22 mai 2024.

Considérant ce qui suit :

1. L'EARL du Bas Dezerseul est propriétaire des parcelles cadastrées section ZK nos 59 et 73 sises au lieudit " Le Dezerseul " à Gosné (Ille-et-Vilaine). Lors d'un contrôle réalisé le

11 septembre 2018, des inspecteurs de l'environnement de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) d'Ille-et-Vilaine ont constaté la pose, sans autorisation, de buses sur le cours d'eau figurant sur ces parcelles sur un linéaire de 429 mètres, en méconnaissance des dispositions des articles L. 214-1 et L. 214-3 du code de l'environnement. En outre, ils ont constaté que l'EARL n'avait pas respecté, sur les parcelles litigieuses où est implantée une culture de maïs, l'obligation de maintenir une bande enherbée de cinq mètres en bordure du cours d'eau considéré. Aussi, un rapport de manquement administratif a été dressé le 24 septembre 2018. Par deux arrêtés du 16 novembre 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine a mis en demeure l'EARL du Bas Dezerseul, d'une part, de respecter l'obligation d'implanter ou de maintenir une bande enherbée ou boisée d'une largeur minimale de cinq mètres en bordure de la totalité du cours d'eau litigieux et, d'autre part, de déposer un dossier d'autorisation environnementale pour régulariser les travaux de busage ou un dossier de remise en état du site. L'EARL a formé à l'encontre de ces décisions un recours gracieux le 18 janvier 2019, lequel a été rejeté le 13 février 2019. L'EARL a alors demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ces trois décisions. Elle relève appel du jugement de ce tribunal du 24 mai 2022 par lequel celui-ci a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments présentés par l'EARL du Bas Dezerseul, ont exposé avec la précision nécessaire, aux points 4 et 5 du jugement attaqué, les motifs pour lesquels ils ont estimé, compte tenu des critères définis par l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement, que l'écoulement en litige devait être qualifié de cours d'eau. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 215-7 du code de l'environnement : " L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux (...) " et aux termes de l'article L. 215-7-1 de ce code : " Constitue un cours d'eau un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année. L'écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales. ".

5. D'une part, aux termes de l'article L. 214-3 du code de l'environnement : " I.- Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles (...) de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles (...) ". Aux termes de l'article L. 171-7 du même code : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. (...) ".

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 211-80 du code de l'environnement : " I.- L'utilisation des fertilisants organiques et minéraux, naturels et de synthèse contenant des composés azotés, ci-après dénommés fertilisants azotés, ainsi que les pratiques agricoles associées font l'objet de programmes d'actions dans les zones vulnérables désignées conformément aux dispositions de l'article R. 211-77. (...) " et aux termes de l'article R. 211-81 du même code : " I.- Les mesures du programme d'actions national comprennent : (...) 8° Les exigences relatives à la mise en place et au maintien d'une couverture végétale permanente le long de certains cours d'eau, sections de cours d'eau et plans d'eau de plus de dix hectares. (...) ". En Bretagne, ces mesures étaient définies à la date des décisions contestées par l'arrêté préfectoral du 2 août 2018 établissant le programme d'actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, dont l'article 3.3 dispose : " L'implantation ou le maintien d'une bande enherbée ou boisée d'une largeur minimale de 5 mètres est obligatoire en bordure de la totalité des cours d'eau permanents ou intermittents, référencés dans les inventaires départementaux partagés et validés, mis en ligne sur les sites internet des services de l'État ". Enfin, aux termes de l'article L. 171-8 du code de l'environnement : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. (...) ".

7. La requérante soutient que les arrêtés contestés méconnaissent les dispositions de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement, qui caractérisent l'existence d'un cours d'eau par un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année.

8. Bien qu'absent des cartographies historiques, un cours d'eau prenant sa source au lieudit " la Grimaudais " est représenté sur la carte IGN au 1/25000ème n° 13418 Ouest " Chateaubourg " éditée en 1989, d'après des données photographiques de 1976 réactualisées. Ce cours d'eau est également inventorié depuis 2008, par les services de l'Etat, au titre des cours d'eau soumis aux bonnes conditions agro-environnementales. Les parcelles cadastrées section ZK n°s 59 et 73 ont fait l'objet d'aménagements, consistant en la pose de buses, qui ont modifié le tracé de l'écoulement d'eau en litige et dont la requérante soutient qu'il ne constitue pas un cours d'eau. Toutefois, si en amont des parcelles de la requérante, le tracé de l'écoulement a également fait l'objet de modifications en raison d'un surcreusement de son lit, il résulte de l'instruction qu'en aval, l'écoulement présente des fonctions écologiques moins altérées, celui-ci transitant dans un lit de largeur plein-bord de 120 centimètres au fond de lit, de largeur de 30 centimètres, et aux berges marquées d'une hauteur moyenne de 40 centimètres. Il résulte également de l'instruction que les agents de l'office français de la biodiversité (OFB) ont constaté, en amont du tronçon modifié, la présence de substrats différenciés, de cailloux et de sable dans le lit mineur de cet écoulement ainsi que l'existence d'une vie aquatique caractérisée par la présence d'invertébrés et d'un amphibien et, en aval de sa partie busée, des sédiments fins. L'écoulement d'eau doit donc être regardé comme situé dans un lit naturel à l'origine.

9. Par ailleurs, si cet écoulement est en partie alimenté par un réseau de drainage situé à proximité, il résulte de l'instruction et notamment du rapport des agents de l'OFB qu'il est également alimenté par un écoulement dont la source se situe au lieu-dit " La Grimaudais " ainsi que par les eaux d'une source captée par un puits situé sur la parcelle n°55 de la section ZK et visible sur l'une des photos qui figure dans ce rapport versé au dossier. A cet égard, l'expertise réalisée à la demande de la requérante par le bureau d'études en environnement " GES ", qui indique que " la présence d'une source reste par ailleurs à confirmer " et que " des investigations complémentaires, notamment au niveau de la source, peuvent être réalisées " ne permet pas d'infirmer ces constatations. Il résulte ainsi de l'instruction que l'écoulement d'eau en litige est alimenté par une source.

10. Enfin, bien que d'un faible débit, estimé à environ 2 litres par seconde au mois de juillet, lors d'une période particulièrement sèche, cet écoulement présente un caractère permanent et il ne résulte pas de l'instruction, notamment de l'expertise produite par la requérante, que ce faible débit présenterait un caractère constant au cours de l'année.

11. Dans ces conditions, en estimant que l'écoulement en litige constitue un cours d'eau, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL du Bas Dezerseul n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'EARL du Bas Dezerseul demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EARL du Bas Dezerseul est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL du Bas Dezerseul et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Couvert-Castéra, président de la cour,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

O. COUVERT-CASTÉRA

La greffière,

S. PIERODÉ La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02315
Date de la décision : 04/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. COUVERT-CASTERA
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : SELARL BARBIER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-04;22nt02315 ?
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