Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Haarslev Industries A/S et la société Haarslev Group A/S ont demandé au tribunal administratif de Rennes la décharge du rappel de retenue à la source d'un montant de 208 222 euros réclamé à la SAS Haarslev Industries au titre de l'année 2017, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2101663 du 28 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête de la société Haarslev Industries A/S et de la société Haarslev Group A/S.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée le 27 février 2023 sous le n° 23NT00544, la société Haarslev Group A/S, représentée par Me Rozant demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de prononcer la décharge de la retenue à la source acquittée au titre de l'année 2017 ainsi que des intérêts de retard et des majorations appliquées ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de Justice administrative.
Elle soutient que :
- il existe une différence de traitement et elle invoque le bénéfice de la jurisprudence issue de la décision de la décision du conseil d'Etat Sofina n° 398662 ; elle a supporté une imposition définitive au taux de 33,33 % sur un produit brut alors que son résultat et celui du groupe auquel elle appartient étaient déficitaires pour l'année 2017 ; les articles 49 et 65 du traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ont ainsi été méconnus ; le désavantage de trésorerie généré par la retenue à la source constitue une atteinte à la liberté de circulation des capitaux ; une société ne peut être tenue, s'agissant de versements effectués au profit d'une société non résidente, au paiement de sommes qu'elle n'aurait pas eu à payer si elle avait été résidente de France ; les dispositions de l'article 235 quater du code général des impôts applicables à compter du 1er janvier 2020 reprennent ce principe ; la société bénéficiaire des paiements était déficitaire en 2018, ainsi que le résultat d'ensemble du groupe déterminé selon un régime d'intégration fiscale nationale ; la retenue à la source ne pouvait donc pas être imputée sur une imposition danoise ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu, afin de respecter le principe de la liberté de prestation de services, de calculer la retenue à la source sur le montant des revenus nets des frais exposés.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
II- Par une requête enregistrée le 3 mai 2023 sous le n° 23NT01309, la société Haarslev Industries A/S, représentée par Me Rozant entend demander à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de prononcer la décharge de la retenue à la source acquittée au titre de l'année 2017 ainsi que des intérêts de retard et des majorations appliquées ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de Justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a accompli des prestations de services pour le compte de la SAS Haarslev Industrie ;
- la retenue à la source doit être calculée sur le montant des revenus nets des frais exposés.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Viéville,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Haarslev Industrie, dont le capital est détenu en totalité par la société danoise Haarslev Industries A/S, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en 2018, à l'issue de laquelle l'administration lui a adressé une proposition de rectification le 8 octobre 2018 l'informant de l'intention du service de mettre à sa charge une retenue à la source, sur le fondement du c du I de l'article 182 B du code général des impôts, sur les sommes, d'un montant total de 624 726 euros, versées en 2017 aux sociétés danoises Haarslev Group A/S et Haarslev Industries A/S en contrepartie des prestations qui lui ont été rendues en 2016 et 2017 par la société Haarslev Group A/S en exécution d'une convention de " management fees ". Une transaction a été conclue entre la société SAS Haarslev Industrie et l'administration. En revanche, les sociétés Haarslev Group A/S et Haarslev Industries A/S ont déposé une première réclamation le 11 juillet 2019, qui a fait l'objet d'une décision d'admission partielle par décision du 16 octobre 2019 ramenant de 50 % à 33,33 % le taux d'imposition de la retenue à la source. Une seconde réclamation en date du 2 juin 2020 a été rejetée par décision du 27 novembre 2020.
Les sociétés Haarslev Group A/S et Haarslev Industries A/S ont demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge de la retenue à la source au titre de l'année 2017. Par un jugement du 28 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur requête. Sous le n° 23NT00544, la société Haarslev Group A/S, et sous le n°23NT01303, la société Haarslev Industries A/S, relèvent appel de ce jugement.
2. Les deux affaires susvisées sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la recevabilité des conclusions présentées par la société Haarslev Industries A/S sous le n° 23NT01303 :
3. Tant le responsable du paiement de la retenue à la source à laquelle donnent lieu les paiements effectués par une personne établie en France en rémunération de prestations rendues en France par une personne qui n'y est pas établie que cette personne, bénéficiaire de ces revenus, sont recevables à contester cette retenue devant le juge de l'impôt. La circonstance que la retenue à la source n'ait pas été spontanément opérée lors du versement des revenus et que, par suite, ces derniers n'ont pas été amputés de son montant est sans incidence sur la recevabilité du bénéficiaire des revenus à la contester dès lors que, dans une telle hypothèse, en premier lieu, la retenue est établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue non pratiquée spontanément, en deuxième lieu, cette retenue est imputable sur l'impôt sur le revenu ou sur l'impôt sur les sociétés éventuellement dû en France par le bénéficiaire des revenus en application, respectivement, du 3ème alinéa du II de l'article 182 B et de l'article 219 quinquies du code général des impôts et, en troisième lieu, il résulte d'une jurisprudence constante des juridictions de l'ordre judiciaire que le responsable du paiement est fondé à en demander la restitution au bénéficiaire des revenus.
4. Il résulte de l'instruction que le groupe Haarslev comprend, à sa tête, une société holding pure, la société danoise, Haarslev Group Holding A/S, qui détient 100 % du capital de la société Haarslev Group A/S, créée en 2016 aux fins d'assurer l'ensemble des " fonctions support " comprenant les services relatifs aux départements financier, juridique, de l'innovation, du marketing et informatique du Groupe. La société Haarslev group A/S détient 100 % du capital de la société Haarslev Industries A/S, société holding détenant le capital des sociétés industrielles du groupe, dont la société française Haarslev Industries SAS. L'assiette de l'imposition en litige est constituée des rémunérations versées par cette dernière société en contrepartie des services qui lui ont été rendus par la société Haarslev Group A/S. Il est constant que la société Haarslev Industries A/S n'a pas réalisé les prestations en contrepartie desquelles la société Haarslev Industries SAS a versé la somme soumise à la retenue à la source. Il résulte aussi de l'instruction que si la société Haarslev industries A/S a pu facturer une commission de gestion en 2016 à la société SAS Haarslev industrie, c'est seulement en raison d'une défaillance du système de facturation de la société Haarslev group A/S et fin décembre 2016, la commission totale facturée par Haarslev Industries A/S a été transférée par l'intermédiaire d'entrepreneurs indépendants à Haarslev Group A/S. Par suite, la société Haarslev Industrie A/S ne peut être regardée comme ayant été la bénéficiaire de cette somme et n'est dès lors pas recevable à contester la retenue à la source dont cette somme a été grevée.
Sur le bien-fondé de la retenue à la source :
5. Aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. (...) ". L'article 57 du même traité stipule : " Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. / Les services comprennent notamment : / a) des activités de caractère industriel, / b) des activités de caractère commercial, / c) des activités artisanales, / d) les activités des professions libérales. / Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants ".
6. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / a. Les sommes versées en rémunération d'une activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92 (...) ". Aux termes du 1 de l'article 92 du même code : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ".
7. Ces dispositions sont susceptibles d'instituer, pour ce qui concerne les sociétés relevant de l'impôt sur les sociétés, une différence de traitement entre, d'une part, les sociétés non-résidentes imposées immédiatement et définitivement par voie de retenue à la source lors de la perception de ces sommes, et, d'autre part, les sociétés résidentes imposées sur ces sommes en fonction du résultat net, bénéficiaire ou déficitaire, qu'elles enregistrent au cours de l'exercice de perception desdites sommes.
8. Le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts, une retenue à la source soit prélevée sur les produits résultant de la réalisation de prestations de services perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation fiscale de son Etat de résidence, en situation déficitaire. La retenue à la source prélevée sur le produit de telles prestations doit donc être restituée à la société bénéficiaire. Afin d'assurer un traitement équivalent avec une société déficitaire établie en France, le caractère déficitaire du résultat de la société non-résidente, déterminé au regard de la législation de son Etat de résidence, est apprécié, pour l'ouverture du droit à restitution, en tenant compte des produits des prestations dont l'imposition fait l'objet de la demande de restitution au titre de l'exercice et, lorsque la législation de l'Etat de résidence autorise le report des déficits, des éventuels produits des prestations ayant ouvert droit à une restitution au titre d'exercices antérieurs.
9. Il appartient à la société non-résidente qui sollicite la restitution du prélèvement à la source effectué sur ses produits de prestations de source française, de justifier devant le juge de l'impôt, au titre de chacun des exercices considérés, de l'existence de résultats déficitaires déterminés conformément à ce qui a été dit au point précédent. Lorsque le redevable produit ces éléments, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour chaque exercice en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution.
10. Il résulte de l'instruction que la société Harsleev group holding détient 100% du capital de la société Haarslev Group A/S, qui détient elle-même 100% du capital de la société Haarslev Industries A/S. En vertu du droit fiscal danois, si toutes les sociétés de ce groupe fiscalement intégré sont tenues de présenter une déclaration de résultat à l'administration fiscale danoise, seule une déclaration de résultat annuelle est établie par l'administration fiscale pour la société Harslev group holding, tête de groupe du groupe de sociétés fiscalement intégré. Il suit de là que c'est au niveau de la société Haarslev group Holding que la retenue à la source peut, le cas échéant être imputée.
11. Au titre de l'année 2017, il résulte de l'instruction que la déclaration annuelle élaborée par l'administration fiscale pour la société Harsleev group holding mentionne un résultat global déficitaire à hauteur de 28 858 000 couronnes danoises soit environ 3 878 515 euros, intégrant les résultats des sociétés Haarslev Group A/S, déficitaire au titre de l'année 2017, et Haarslev Industries A/S. Si les déclarations fiscales danoises produites ne permettent pas d'établir que les produits des prestations de services réalisées par la société Haarslev Group A/S auprès de la SAS Haarlev Industries en application de la convention de management fees ont été intégrés dans les résultats de l'année 2017 de la société Haarslev group holding, il est constant que le chiffre d'affaires de la société Haarslev Group A/S créée en 2016 comme entité administrative au sein du Groupe Haarslev, est constitué de commissions de gestion facturées au sein des différentes entreprises du groupe Haarslev. Ainsi, le produit des prestations de services accomplies par la société Haarslev Group A/S au profit de la SAS Haarslev industrie doit être regardé comme intégré au résultat de la société Haarslev group A/S, déficitaire au titre de l'année 2017, et au résultat de l'a société Haarslev group holding au titre de cette même année. Cependant, alors qu'aucune imposition n'était due pour l'année en litige par le groupe Haarslev au Danemark en raison du résultat déficitaire de ce groupe, la société Harslev Group A/S, dont le résultat fiscal doit être apprécié selon les règles applicables dans l'Etat de résidence se trouvait en situation déficitaire. Il suit de là que la retenue à la source ne pouvait être imputée par la société appelante sur aucune imposition à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2017 au Danemark.
12. Il suit de là que la société Harslev Group A/S est fondée à soutenir qu'en supportant la retenue à la source sur les prestations de services qu'elle a accomplies auprès de la SAS Haarslev industrie, alors que son résultat déterminé selon les règles de l'Etat de résidence était déficitaire, elle a subi une différence de traitement caractérisant une discrimination contraire au droit de l'union européenne au regard d'une société résidente déficitaire qui aurait enregistré au cours du même exercice les sommes pour des prestations équivalentes. Dès lors, il y a lieu de décharger la société Haarslev group A/S du paiement de la retenue à la source pour l'année 2017 pour une montant de 208 222 euros, ainsi que de la majoration de 10% associée à cette retenue pour un montant de 15 620 euros et des intérêts de retard pour un montant de 7398 euros.
13. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur les conclusions présentée par la société appelante aux fins de calculer la retenue à la source sur une base nette que la société Haarslev Group A/S est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête tendant à la décharge de la retenue à la source versée au titre des prestations qu'elle a effectué pour le compte de la SAS Haarslev Industries au titre de l'année 2017.
Sur les frais de justice :
14. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros à verser à la société Haarslev Group A/S en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
15. Les mêmes dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat soit condamné à verser à la société Haarslev Industries A/S la somme qu'elle réclame au titre des frais de justice.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 décembre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins de décharge de la société Haarslev group A/S.
Article 2 : La société Haarslev Group A/S est déchargée de la somme de 208 222 euros laissée à sa charge à la suite de décision d'admission partielle en date du 16 octobre 2019 ainsi que de la majoration de 10% associée pour un montant de 15 620 euros et des intérêts de retard pour un montant de 7398 euros.
Article 3 : La requête de la société Haarslev Industries A/S est rejetée.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1500 euros à la société Haarslev group A/S en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à la société Haarslev Group A/S, à la société Haarslev Industries A/S et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
Le rapporteur
S. VIÉVILLELe président de chambre
G. QUILLÉVÉRÉ
La greffière
H. DAOUD
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23NT00544, N° 23NT0130902