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21/05/2024 | FRANCE | N°23NT03525

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 21 mai 2024, 23NT03525


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... G..., agissant pour l'enfant D... G..., et Mme C... K... J..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision du 26 octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Istanbul refusant de délivrer à l'enfant D... G... un visa de long séjour au titre de la procédure de réunification familial

e, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... G..., agissant pour l'enfant D... G..., et Mme C... K... J..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision du 26 octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Istanbul refusant de délivrer à l'enfant D... G... un visa de long séjour au titre de la procédure de réunification familiale, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1800 euros à verser à leur conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2213168 du 29 septembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 29 novembre 2023 et le 20 mars 2024, M. F... G..., agissant pour le compte de l'enfant D... G..., et Mme C... K... J..., représentés par Me Leudet, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 septembre 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 26 octobre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Istanbul refusant de délivrer à l'enfant D... G... un visa de long séjour au titre de la procédure de réunification familiale ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer les visas sollicités dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Ils soutiennent que :

- la décision de la commission de recours méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur d'appréciation s'agissant de l'identité et du lien familial du demandeur de visa ainsi que l'intention frauduleuse du demandeur de visa ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le paragraphe 3-1 de la Convention de New-York relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. G... n'est fondé.

M. G... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les observations de Me Obriot substituant Me Leudet, représentant M. F... G... et Mme C... K... J....

Considérant ce qui suit :

1. M. F... G... et Mme C... K... J..., nés respectivement les 27 juillet 1980 et 26 juin 1988, à Bukavu et ressortissants congolais (République Démocratique du Congo), se sont mariés le 3 mai 2013 en Afrique du Sud, où M. G... explique s'être réfugié en 2005 après avoir fui la République démocratique du Congo. De leur union sont nés deux enfants, A... né le 26 octobre 2014 à Pretoria et Niani né le 2 mars 2017 à Mayotte. Mme J..., qui avait quitté l'Afrique du Sud pour Mayotte au mois de janvier 2017, s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français pour les réfugiés et les apatrides (OFPRA) du 31 août 2017. M. G..., titulaire d'une carte de résident, avait, quant à lui, en novembre 2020 quitté l'Afrique du Sud pour la Turquie avec son fils, D..., né d'une précédente union avec Mme B... H.... Il a alors sollicité de l'autorité consulaire française à Istanbul la délivrance de deux visas pour lui et son fils au titre de la réunification familiale. Par une décision du 6 avril 2022, cette autorité a rejeté la demande pour son fils D.... Par une décision implicite puis par une décision expresse du 26 octobre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. G... à l'encontre de la décision consulaire.

2. M. G... et Mme J..., ont, le 7 octobre 2022, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 26 octobre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée et de long séjour et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours, sous astreinte. Par un jugement du 29 septembre 2023, cette juridiction a rejeté cette demande. M. G... et Mme J... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les motifs fondant la décision du 26 octobre 2022 portant refus de délivrance du visa sollicité :

3. Pour rejeter le recours préalable formé à l'encontre de la décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a relevé dans la décision contestée du 26 octobre 2022 que : " La production successive pour l'enfant D... G... d'actes de naissance émis par des autorités différentes, en République démocratique du Congo et en Afrique du Sud, portant des indications différentes et discordantes avec les déclarations de Mme C... K... J... épouse G... à l'Office Français de Protection des Réfugiés de Apatrides (date et lieu de naissance de l'enfant, identité de la mère de l'enfant) ôte à ces documents tout caractère authentique. Par conséquence, l'identité du demandeur et son lien familial allégué avec Mme C... K... J... épouse G... ne sont pas établis. La production de tels documents relève au surplus d'une intention frauduleuse ".

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié (...) produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".

5. D'une part, aux termes de l'article L.434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) " et selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. Il est constant, d'une part, que les requérants ont produit à l'appui de la demande de visa pour le jeune D... G..., un acte de naissance congolais et un passeport congolais et admettent, comme en première instance, que l'enfant étant né en Afrique du Sud, l'acte de naissance en question était " nécessairement faux " mais qu'il s'agissait du seul moyen d'obtenir un passeport de la République démocratique du Congo. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que, devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, M. G... a produit une copie de l'acte de naissance de D... qui indique qu'il est né le 16 octobre 2008 à Pretoria, que sa mère est Mme B... H... née le 24 août 1984 à Pretoria et que son père est M. F... G..., né le 27 juillet 1980 en République démocratique du Congo. L'authenticité de cet acte n'a jamais été remise en cause par l'administration. Il ressort également des éléments versés au dossier que, si Mme J... a mentionné dans le formulaire de demande d'asile que D..., qui résidait en Afrique du Sud, était né le 27 août 2008 de son union avec M. G..., elle a cependant, au cours de l'entretien du 30 août 2017 avec l'officier de protection de l'OFPRA, précisé avoir eu deux enfants avec M. G..., nés en 2014 et 2017, et indiqué à deux reprises qu'avant son mariage celui-ci avait déjà eu un enfant avec une sud-africaine et précisé qu'il s'agissait de D..., né le 27 août 2008. La note de l'OFPRA du 5 octobre 2021 transmise à la sous-direction des visas rappelle d'ailleurs que Mme J... avait déclaré l'enfant de son époux, D... né le 27 août 2008, sans jamais préciser qu'elle aurait antérieurement revendiqué la maternité de cet enfant. Interrogé d'ailleurs par le bureau des familles des réfugiés de la sous-direction des visas " sur quelques incohérences ", l'OFPRA a rappelé que " la date de naissance (le 27 août 2008) est constante comme le fait qu'il s'agit d'un enfant issu d'une précédente union de son mari ". Ces éléments convergents et circonstanciés permettent de considérer que la mère du jeune D... est bien Mme H... et que son père est effectivement M. F... G..., le lien de filiation avec ce dernier, seul demandeur du visa litigieux devant être regardé comme établi. Enfin, et pour le surplus, M. G... a versé aux débats plusieurs attestations qui confirment que, comme il l'avance de façon constante, Mme H... a abandonné son fils D... à l'âge de deux mois, n'est réapparue que brièvement pour reprendre sa fille ainée, née d'une autre union, et que M. G... n'a pu nouer aucun contact avec elle. Les captures d'écran sur le réseau social Facebook faisant figurer parmi les " amis " de M. G..., le frère de Mme H..., et dont s'était prévalue l'administration en première instance, ne permettent pas sérieusement de remettre en cause ces éléments. Par suite, M. G... est fondé à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, en refusant par la décision contestée du 26 octobre 2022 qui doit être annulée la délivrance d'un visa pour le jeune D... G... au titre de la réunification familiale, a commis une erreur d'appréciation.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. G... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 26 octobre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions d'injonction :

9. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. G... un visa de long séjour pour son fils I... au titre de la réunification familiale dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. G... d'une somme de 1200 euros hors taxes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à la condition que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2213168 du 29 septembre 2023 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 26 octobre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. G... un visa de long séjour pour son fils I... G... au titre de la réunification familiale, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Leudet une somme de 1200 euros hors taxes en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Leudet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... G..., à Mme C... K... J... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

C. VILLEROT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

23NT03525


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03525
Date de la décision : 21/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : LEUDET

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-21;23nt03525 ?
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