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21/05/2024 | FRANCE | N°23NT01289

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 21 mai 2024, 23NT01289


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société ... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 5 octobre 2021 par laquelle la ministre du travail, de la santé et des solidarités a annulé la décision du 23 décembre 2020 de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement pour faute grave de Mme A... B....



Par un jugement n° 2106211 du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 mai 2023 et 29 février 2024, la société ..., représentée p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 5 octobre 2021 par laquelle la ministre du travail, de la santé et des solidarités a annulé la décision du 23 décembre 2020 de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement pour faute grave de Mme A... B....

Par un jugement n° 2106211 du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 mai 2023 et 29 février 2024, la société ..., représentée par Me Duigou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 mars 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 5 octobre 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le procès-verbal du 28 septembre 2020 ne figurait pas parmi les pièces produites à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement ; il était uniquement cité dans sa demande pour confirmer les faits reprochés à Mme B..., consistant en la suppression de données et fichiers professionnels, lesquels n'étaient d'ailleurs pas contestés par l'intéressée ; ce document n'a pas été sollicité dans le cadre de l'enquête contradictoire ; au surplus, l'intéressée a eu connaissance de ce procès-verbal lors de la consultation du comité social et économique le 19 octobre 2020 ; la décision de l'inspecteur du travail n'est pas fondée sur ce document qui ne lui a pas été communiqué ;

- en tout état de cause, la procédure a été régularisée devant la ministre du travail dans le cadre du recours hiérarchique, dès lors que Mme B... a eu communication des procès-verbaux d'huissier et notamment de celui du 28 septembre 2020, le 27 avril 2021 ;

- les délais prévus à l'article R. 2421-6 du code du travail ne sont pas prescrits à peine de nullité ; le délai de 24 jours qui s'est écoulé entre la mise à pied de Mme B... et la consultation du comité social économique n'est ni excessif, ni disproportionné au regard du contexte et de la procédure.

Par des mémoires, enregistrés les 28 décembre 2023 et 26 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Potin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société ... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.

Elle s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été recrutée à compter du 24 août 2015 par la société ..., dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de " chargé d'affaires produits cosmétiques " et était membre élu titulaire du comité social et économique. Le 21 octobre 2020, la société a saisi l'inspecteur du travail d'une demande de licenciement pour faute grave de cette salariée protégée. Par une décision du 23 décembre 2020, l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement, qui est intervenu le 4 janvier 2021. Par une décision du 5 octobre 2021, la ministre du travail, de la santé et des solidarités a toutefois, sur recours hiérarchique de Mme B..., annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 décembre 2020 et refusé l'autorisation de licenciement sollicitée par la société .... Cette dernière relève appel du jugement du 3 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail.

Sur la légalité de la décision contestée en tant qu'elle annule la décision de l'inspecteur du travail :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. A l'effet de concourir à la mise en œuvre de la protection ainsi instituée, l'article R. 2421-11 du code du travail dispose que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".

3. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

4. La décision de l'inspecteur du travail précise que Mme B... a été mise à même de prendre connaissance des pièces jointes à la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société ... ainsi que des pièces complémentaires apportées par celle-ci. S'agissant de la seule faute retenue, cette décision indique que " les 23 et 24 septembre 2020, la société aurait constaté la destruction de messages électroniques " et que " la messagerie électronique de Mme B... est passée de 144 Mo à 2,1Mo, soit 4238 mails et 125 dossiers clients ". Elle ajoute que ce constat " a été attesté par voie d'huissier le 28 septembre 2020 ". L'inspecteur du travail rappelle que " lors de l'enquête contradictoire, Mme B... n'a apporté aucun élément permettant de justifier la disparition de ces données du serveur de l'entreprise " constatée par voie d'huissier ". Au vu de ces éléments, et notamment de ce constat d'huissier qui n'a pas été communiqué à l'intéressée, il a estimé que la matérialité des faits qui lui étaient reprochés était établie. Par suite, en annulant cette décision au motif qu'elle était intervenue en méconnaissance du principe du contradictoire rappelé à l'article R. 2421-11 du code du travail, la ministre du travail n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions.

Sur la légalité de la décision contestée en tant qu'elle refuse l'autorisation de licencier Mme B... :

5. Aux termes de l'article R. 2421-14 du code du travail, applicable aux membres du comité social et économique : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise (...) ".

6. Si le délai prévu par les dispositions précitées de l'article R. 2421 14 du code du travail n'est pas prescrit à peine de nullité, ce délai doit toutefois être aussi court que possible eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied conservatoire.

7. Il ressort des pièces du dossier que la société ... a mis à pied Mme B... par une décision du 25 septembre 2020, notifiée le même jour, et que le comité social et économique ne s'est réuni que le 19 octobre 2020, soit 24 jours plus tard. Pour justifier de l'impossibilité de respecter le délai prescrit par l'article R. 2421-14 du code du travail, la société requérante fait état de la nécessité pour elle de produire à l'appui de la procédure de licenciement les constats de l'huissier de justice mandaté pour établir la réalité matérielle des griefs à l'encontre de la salariée. Toutefois, ainsi que dit ci-dessus, à la date du 28 septembre 2020, les faits reprochés à Mme B... étaient attestés par un premier constat d'huissier. En outre, la société ... ne conteste pas le fait que les deux autres constats d'huissier, remis les 7 et 12 octobre 2020, n'ont apportés aucun autre élément décisif. Si elle indique par ailleurs, qu'un foyer (" cluster ") de Covid 19 a désorganisé ses services et que son personnel ne disposait pas, à l'époque, de moyen de communication qui aurait permis d'organiser la réunion du comité social et économique en visioconférence, il ressort des pièces du dossier que seul un salarié avait contracté ce virus dans un cadre familial. Par suite, ces circonstances ne suffisent pas à expliquer qu'un délai aussi long de 24 jours se soit écoulé entre la date de la mise à pied et celle de la consultation du comité social et économique alors même, par ailleurs, que Mme B... a été convoquée dès le 8 octobre 2020 à l'entretien préalable à son licenciement. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le délai écoulé entre la mise à pied et la consultation du comité social et économique avait été excessif et que cette irrégularité dans la procédure de licenciement était par elle-même de nature à justifier le refus de l'autorisation sollicitée.

8. Il résulte de tout ce qui précède, que la société ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société ... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société ... le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société ... est rejetée.

Article 2 : La société ... versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ..., à Mme A... B... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

C. VILLEROT

La République mande et ordonne la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23NT01289


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01289
Date de la décision : 21/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : POTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-21;23nt01289 ?
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