Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juillet 2022, le 12 juillet 2023 et le 20 novembre 2023, ce dernier non-communiqué, la SAS Tiviga, représentée par Me Cassaz, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel le maire de la commune de Granville, au vu de l'avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), a délivré à la SAS Granville Distribution un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale portant sur la création d'une cour des matériaux d'une surface de 1 020 m2 et la démolition totale d'une maison d'habitation ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Granville une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'avis favorable de la CNAC a été délivré au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la SAS Tiviga n'a pas été invitée à présenter des observations s'agissant du " sursis à statuer " permettant au pétitionnaire de compléter son dossier, ce qui a eu une influence sur le sens de la décision de la CNAC ; l'avis de la CNAC est insuffisamment motivé ;
- le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale comporte des données volontairement erronées ou cachées s'agissant des surfaces imperméabilisées et des espaces verts, qui ont été partiellement détruits pour la création d'un parking du personnel et du parc de stationnement ; il y a eu création de surface commerciale et d'un parking réservé au personnel non déclarés dans le dossier CNAC ; le dossier présenté devant la CNAC est
dépourvu d'une étude paysagère précise et détaillée et il n'y a aucune amélioration dans la description des aménagements pour en apprécier les effets sur le site localisé en entrée de ville ; le pétitionnaire n'a pas démontré qu'il n'existe aucune friche en centre-ville ou périphérie pour l'accueil du projet, que ce dernier s'insère dans le tissu urbain existant, qu'il correspond à un type d'urbanisation adéquat à l'environnement bâti et qu'il correspond aux besoins du territoire ; le dossier de la société oublie de mentionner plus de 33 100 m2 de surface commerciale concurrente sur la zone ce qui fausse la densité commerciale présentée, qui est déjà saturée ;
- le projet crée une surface de vente supérieure à 10 000 m2 en tenant compte de l'ensemble des établissements de l'exploitant sur la commune de Granville qui sont situés dans une même zone commerciale, ce qui rend impossible la délivrance d'une autorisation d'exploitation commerciale, compte-tenu du V de l'article L. 752-6 du code de commerce ; le dossier ne contient aucun aménagement paysager précis et conforme à l'existant ;
- le permis de construire a été autorisé par le maire pour une surface différente de celle autorisée par la CNAC, soit 1065 m2 au lieu de 1 020 m2 ; le plan du permis de construire reste imprécis quant au stationnement des deux roues ;
- la CNAC a commis une erreur d'appréciation au regard des critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce ; la gestion des eaux pluviales et usées n'est pas suffisamment assurée alors que le projet se situe en hauteur par rapport au centre-ville de Granville et que la zone est soumise à des mouvements de terrains ; l'offre présentée par le projet sera supplémentaire et non complémentaire à celle existante et ne contribuera ni à la limitation des déplacements, ni à celle de l'évasion commerciale ; le projet ne présente pas les garanties suffisantes en matière de sécurité routière et n'est pas satisfaisant s'agissant des modes de déplacements alternatifs ; le projet est insuffisant s'agissant de la végétalisation et de l'imperméabilisation des places de stationnement ; l'insertion paysagère du projet ne répond pas aux exigence du développement durable ; le critère de la protection des consommateurs n'a pas été examiné par la CNAC et il n'est pas justifié en quoi le projet participe au confort de ce dernier, alors qu'il engendrera des nuisances par une augmentation des déchets.
Par trois mémoires en défense, enregistrés les 21 novembre 2022, 2 novembre 2023 et 6 novembre 2023, la société Granville Distribution, représentée par Me Courrech, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la SAS Tiviga ;
2°) de mettre à la charge de la SAS Tiviga la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Tiviga ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2023, la commune de Granville, représentée par Me Agostini, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la SAS Tiviga ;
2°) de mettre à la charge de la SAS Tiviga la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Tiviga ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers ; Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Delaunay, substituant Me Agostini, avocat représentant la commune de Granville et de Me Morisseau, substituant Me Courrech, avocat représentant la SAS Granville Distribution.
Considérant ce qui suit :
1. La société Granville Distribution a déposé le 18 septembre 2020 une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la création d'une cour des matériaux fermée d'une surface de 1 020 m2 en complément d'un magasin de bricolage, portant la surface de vente de l'établissement de 4 000 m2 à 5 020 m2, sur le territoire de la commune de Granville. La Commission départementale d'aménagement commercial de la Manche a rendu un avis favorable sur ce projet le 11 décembre 2020. Saisie par la SAS Tiviga, qui exploite elle-même un magasin de bricolage sous l'enseigne
" BricoCash " à Saint-Pair-sur-Mer, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a rendu un avis défavorable le 1er avril 2021, aux motifs que le projet ne prévoyait pas de mesures suffisantes pour compenser l'imperméabilisation supplémentaire du site, que la nécessité d'augmenter le nombre d'emplacements de stationnement n'était pas justifiée, que la description des aménagements prévus en matière paysagère et architecturale était trop succincte pour apprécier les effets du projet dans le contexte d'un site localisé en entrée de ville, enfin que le projet ne prévoyait aucune mesure particulière en matière de limitation de l'impact des ruissellements, et ne répondait ainsi pas suffisamment aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Cet avis précisait qu'il était possible de saisir directement la Commission nationale d'aménagement commercial en application des dispositions de l'article L. 752- 21 du code de commerce. Le 9 novembre 2021, la société Granville Distribution a déposé une nouvelle demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Le 7 avril 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial a rendu un avis favorable au projet, en considérant qu'il avait été modifié pour répondre aux précédentes observations de la commission. Par un arrêté du 10 juin 2022, le maire de la commune de Granville a délivré à la société Granville Distribution le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité. La SAS Tiviga demande à la cour d'annuler cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe :
S'agissant de la méconnaissance du principe du contradictoire :
2. Aux termes de l'article L. 752-21 du code de commerce : " Un pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d'aménagement commercial ne peut déposer une nouvelle demande d'autorisation sur un même terrain, à moins d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la commission nationale. / Lorsque la nouvelle demande ne constitue pas une modification substantielle au sens de l'article L. 752-15 du présent code, elle peut être déposée directement auprès de la Commission nationale d'aménagement commercial. ".
3. Contrairement à ce que soutient la SAS Tiviga, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe que la commission nationale serait tenue de communiquer aux auteurs d'un recours contestant une décision d'autorisation accordée à une société pétitionnaire les documents produits par cette dernière pour sa défense afin qu'ils puissent y répondre, y compris s'agissant d'une demande de la CNAC de " produire la preuve du dépôt effectif de la nouvelle demande de permis de construire à la mairie de Granville " confirmant que le pétitionnaire répond bien " aux attendus émis par la CNAC le 1er avril 2021 dans le cadre de la procédure de revoyure ". En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la SAS Tiviga, qui a été entendue par la CNAC le 24 mars 2022, n'aurait pas été mise à même de débattre et de faire valoir ses observations sur les nouveaux éléments apportés au projet par le pétitionnaire. Enfin, s'agissant de la procédure devant la CNAC, la société ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, qui ne concerne que les recours dirigés contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance par la CNAC du principe du contradictoire doit être écarté.
S'agissant de l'insuffisance de motivation de l'avis :
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 752-38 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable : " (...) / L'avis ou la décision est motivé, signé par le président et indique le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que le nombre d'abstentions. / (...) ".
5. L'avis de la CNAC du 7 avril 2022 comporte les dispositions de droit et les considérations de fait qui en constituent le fondement. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
S'agissant du contenu du dossier de demande d'autorisation :
6. Aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce : " I. La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments suivants : / 1° Informations relatives au projet : / (...) / d) Pour les projets d'extension d'un ou plusieurs magasins de commerce de détail : / - le secteur d'activité et la classe, au sens de la nomenclature d'activités française (NAF), du ou des magasins dont l'extension est envisagée ; / - la surface de vente existante ; /
- l'extension de surface de vente demandée ; / - la surface de vente envisagée après extension
; / (...) / g) Autres renseignements : / - si le projet s'intègre dans un ensemble commercial existant : une liste des magasins de cet ensemble commercial exploités sur plus de 300 mètres
carrés de surface de vente, ainsi qu'à titre facultatif, la mention des enseignes de ces magasins ; / - si le projet comporte un parc de stationnement : le nombre total de places, le nombre de places réservées aux personnes à mobilité réduite et, le cas échéant, le nombre de places dédiées à l'alimentation des véhicules électriques ou hybrides rechargeables, le nombre de places non imperméabilisées et le nombre de places dédiées à l'autopartage et au covoiturage ; / - les aménagements paysagers en pleine terre ; / (...) / 4° Effets du projet en matière de développement durable. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet en matière de développement durable, incluant les éléments suivants : / (...) /
d) Description des mesures propres à limiter l'imperméabilisation des sols ; / e) Description des mesures propres à limiter les pollutions associées à l'activité, notamment en matière de gestion des eaux pluviales et de traitement des déchets ; / (...) II.-L'analyse d'impact comprend, (...), les éléments et informations suivants : / 1° Informations relatives à la zone de chalandise et à l'environnement proche du projet : / (...) / b) Une carte ou un plan de l'environnement du projet, accompagné d'une description faisant apparaître, dans le périmètre des communes limitrophes de la commune d'implantation incluses dans la zone de chalandise définie pour le projet, le cas échéant : / - la localisation des activités commerciales (pôles commerciaux et rues commerçantes, halles et marchés (...) / (...) ".
7. La circonstance que le dossier de demande d'autorisation ne comporterait pas l'ensemble des éléments exigés par les dispositions précitées, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité l'autorisation qui a été accordée que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
8. En premier lieu, la circonstance que la société Granville Distribution ait commis une erreur de plume, lors de son premier passage devant la CNAC en 2021, en indiquant dans son dossier d'analyse d'impact que la surface actuellement imperméabilisée est de 11 605 m2 (68%) et comprend 5 449 m2 d'espaces verts (32%), alors que la parcelle est en réalité imperméabilisée à hauteur de 11 248 m2 (66%) et comprend 5 446 m2 d'espaces verts (32%) selon le dossier de revoyure, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que la CNAC a pris en compte ces nouveaux éléments pour rendre un avis favorable le 7 avril 2022. La SAS Tiviga ne justifie par ailleurs pas que le volume de rétention d'eaux pluviales de 314 m3 induit par l'extension serait " forcément inexact " compte-tenu de ces nouveaux éléments.
9. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la SAS Tiviga, il ressort des pièces du dossier, notamment d'attestations des 29 et 30 mars 2022 du responsable du service Urbanisme et Aménagement de la commune de Granville, que, dans le cadre de sa nouvelle demande d'avis, la société Granville Distribution a transmis à la CNAC de nouvelles informations et pièces intitulées " Extension du magasin E. Leclerc Bricolage de Granville - Département de la Manche - dossier actualisé " et " Dossier d'analyse d'impact " qui sont pourvus d'une étude paysagère et architecturale suffisamment précise et détaillée pour apprécier les effets de l'aménagement sur le site localisé en entrée de ville.
10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande, la société Granville Distribution a fourni une étude d'impact, réalisée en mars 2021, recensant les friches existantes en centre-ville, dont les surfaces de vente ne dépassent pas 330 m² et ne permettaient pas, à l'évidence, d'accueillir le projet en litige. Par ailleurs, la société pétitionnaire n'avait pas à démontrer qu'aucune friche existante en périphérie ne permettait l'accueil du projet envisagé, puisqu'il est constant que ce dernier vient occuper la même
emprise foncière que le magasin actuel, situé en périphérie de la ville et dans sa continuité, pour des raisons d'approvisionnement des matériaux et de gestion commune des projets. Enfin, il ressort des pièces du dossier que les éléments apportés par le pétitionnaire permettaient à la CNAC d'apprécier l'insertion du projet dans le tissu urbain ainsi que son adéquation à l'environnement bâti et aux besoins du territoire.
11. En dernier lieu, la commission nationale n'avait pas à prendre en compte la densité commerciale de la zone de chalandise. Ainsi, s'il est soutenu que certains équipements commerciaux existants, à savoir d'autres enseignes spécialisées du secteur, auraient dû être inclus dans la zone de chalandise, ce moyen n'est en tout état de cause assorti d'aucune précision permettant d'établir en quoi cette omission aurait faussé l'appréciation de la commission nationale s'agissant des effets du projet autorisé au regard des objectifs et critères fixés par le législateur.
12. Il résulte de ce qui précède que la SAS Tiviga n'établit pas le bien-fondé de ses allégations quant à l'existence volontaire de données erronées ou cachées dans le dossier présenté devant la CNAC, y compris en se prévalant d'un constat d'huissier effectué à sa demande le 22 mars 2023, soit postérieurement à l'arrêté du 10 juin 2022 du maire de la commune de Granville qui, au vu de l'avis favorable de la CNAC, a délivré à la SAS Granville Distribution un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale prenant en compte l'ensemble des éléments approuvés par la CNAC lors du second examen de sa demande. Au demeurant, à supposer établi que les 55 arbres de haute tige mentionnés dans le dossier de la société Granville Distribution n'existeraient pas en fait à la date de la demande, la SAS Tiviga ne justifie pas que cette information, à la supposer erronée, a été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. Il en va de même s'agissant des allégations relatives à la destruction d'espaces verts autour du pavillon qui seraient utilisés comme parking du personnel dans l'attente de la réalisation des travaux.
13. Les informations fournies par la société Granville Distribution ont ainsi permis à la CNAC de porter une appréciation éclairée sur le projet.
En ce qui concerne la légalité interne :
S'agissant du permis de construire délivré à la société Granville Distribution :
14. Aux termes de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l'appui de telles conclusions. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que la SAS Tiviga ne peut utilement soutenir que le permis de construire a été délivré par le maire pour autoriser une surface différente de celle autorisée par la CNAC, soit 1065 m2 au lieu de 1 020 m2, et que son plan resterait imprécis quant au stationnement des deux roues. A supposer que la requérante ait entendu soutenir que le maire de Granville aurait irrégulièrement autorisé un projet d'autorisation d'exploitation commerciale différent de celui examiné par la CNAC, il ressort des pièces du dossier qu'elle confond la surface de plancher créée, soit 1 065 m2 comme l'indique l'arrêté attaqué du 10 juin 2022, et la surface de vente créée qui est bien de 1 020 m2, ce dont il résulte que le moyen manque en fait.
S'agissant de la méconnaissance du V de l'article L. 752-6 du code de commerce :
15. Il est constant que l'ensemble des établissements exploités par la société Granville Distribution sont situés dans l'agglomération granvillaise. Toutefois, il n'est pas sérieusement contesté que le terrain d'assiette du projet en litige se situe à plus de 500 mètres à vol d'oiseau et à 800 mètres à pied de l'établissement le plus proche. Une telle configuration des lieux, par leurs distances, est ainsi de nature à constituer un obstacle à la circulation des clients entre les magasins. Dans ces conditions, la SAS Tiviga n'est pas fondée à soutenir que les surfaces commerciales appartenant au pétitionnaire, représentant un total de 11 265 m2, constitueraient un " même ensemble commercial " au sens de l'article L. 752-3 et devraient être regardées comme réunies sur un même site au sens du V de l'article L. 752-6 du code de commerce, ni que le projet crée une surface de vente supérieure à 10 000 m2 qui empêcherait le pétitionnaire de solliciter une nouvelle autorisation d'exploitation commerciale.
S'agissant de l'appréciation portée par la CNAC :
16. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale (...) ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ;
/ (...) / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet (...) ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / (...) / d) (...) les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. (...) / (...) / III.- La commission se prononce au vu d'une analyse d'impact du projet, produite par le demandeur à l'appui de sa demande d'autorisation. Réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l'Etat dans le département, cette analyse évalue les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre, ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment
sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. (...) / (...) ".
17. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.
Quant au critère de l'aménagement du territoire :
18. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet porte sur la création d'une cour des matériaux, nécessitant un grand espace dédié à la vente de produits lourds et encombrants tels que des briques, parpaings, poutres, ferraille, dallages, grillages, bordures, isolants et doit permettre la circulation de véhicules en son sein. Dès lors, l'activité spécifique portée par le projet ne peut s'exercer en centre-ville, dont la vacance commerciale n'est au demeurant que de 4,39 %, et ne porte pas préjudice à l'animation de la vie urbaine, contrairement à ce que soutient la SAS Tiviga. La seule circonstance qu'il existe d'autres commerces similaires dans la zone de chalandise n'est pas davantage de nature à porter atteinte à ce critère, alors surtout, qu'ainsi qu'il a été dit au point 11, la commission nationale n'avait pas à prendre en compte un critère de densité commerciale de la zone de chalandise.
19. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment du dossier dit " de revoyure " qui fait référence à une étude de flux réalisée par une société en mars 2020 produite en annexe, que l'augmentation du trafic liée à la création de la cour de matériaux restera " extrêmement faible " pour une incidence de 0,2%. La clientèle est constituée essentiellement de professionnels et de bricoleurs lourds dont les horaires de fréquentation de la cour des matériaux " ne sont pas les horaires de pointes classiques du vendredi au samedi soir, mais plutôt le matin ". Le pétitionnaire a également précisé que le projet engendre mensuellement quatre livraisons supplémentaires par des véhicules lourds de 38 tonnes, trois par des 19 tonnes et trois par des petits porteurs. La SAS Tiviga ne justifie pas, en se bornant à de simples allégations, qu'il y aura " une augmentation de la dangerosité en entrée et sortie de ville ", pas davantage que le projet va engendrer " au moins 20 camions par jour " en plus du trafic existant, alors que le ministre du commerce a relevé également, dans son avis du 9 mars 2022, que la desserte routière est satisfaisante et que les réserves de capacités sur les axes d'accès ne sont pas actuellement problématiques.
20. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que la mauvaise desserte en termes de transports alternatifs n'aura qu'un impact très limité eu égard à la spécialité du magasin concerné.
Quant au critère du développement durable :
21. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le parc de stationnement comprendra 139 places de stationnement après réalisation du projet, contre 142 actuellement, dont 52 places avec un matériau perméable de type Evergreen, avec un réservoir intégré à la chaussée préexistant et une noue paysagère de 75 mètres de long afin de récupérer les eaux de pluie, qui seront redirigées vers un bassin de rétention. En outre, l'augmentation des surfaces imperméabilisées se limitera à 2% supplémentaires par rapport à l'existant et les espaces verts couvriront 30% du terrain, soit seulement 286 m2 de moins, enfin que le nombre d'arbres sur site sera de 59 afin de fondre le projet dans l'entrée de ville arborée. En outre, le dossier de revoyure précise que des panneaux photovoltaïques seront installés en toiture sur une surface de 353 m2, soit 34,5% de la toiture, une partie de l'énergie étant autoconsommée et l'autre revendue (environ 15%) compte-tenu des horaires d'ouverture du magasin. Ce dossier développe également le traitement architectural et esthétique du projet pour obtenir " un rendu homogène et cohérent " sur le site, de par " la teinte des matériaux et les contrastes des couleurs proposées ". Le ministre chargé de l'urbanisme relève d'ailleurs, dans son avis du 23 mars 2022, que le projet " présente une insertion paysagère et architecturale correcte " et est " qualitatif sur le volet environnemental ". Le ministre du commerce souligne également que les mesures en matière de gestion des déchets sont satisfaisantes, en ce qu'elles prévoient leur tri et l'utilisation d'un appareil de broyage des plastiques. Si la SAS Tiviga soutient que la gestion des eaux pluviales et usées n'est pas suffisamment assurée alors que le projet se situe en hauteur par rapport au centre-ville de Granville et que la zone est soumise à des mouvements de terrains, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses dires.
22. D'autre part, compte-tenu de ce qui a été dit au point 14, la société Tiviga ne peut utilement invoquer le non-respect des règles d'urbanisme relatives " aux coulées vertes et haies bocagères ".
23. Ainsi, la commission nationale n'a pas commis, s'agissant des effets du projet en matière de développement durable, d'erreur d'appréciation.
Quant au critère de la protection des consommateurs :
24. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission nationale aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que la réalisation du projet ne méconnaissait pas l'objectif de protection des consommateurs, critère sur lequel elle ne s'est au demeurant pas expressément prononcée. Si la SAS Tiviga invoque des nuisances pour ces derniers par une augmentation des déchets, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations alors que le pétitionnaire a prévu des mesures satisfaisantes ainsi qu'il a été dit au point 22 et s'est inscrit dans un politique de recyclage en partenariat avec un prestataire externe. La SAS Tiviga ne justifie pas davantage de l'absence de " confort " du consommateur.
25. Il résulte de ce qui précède que la SAS Tiviga ne démontre pas que la CNAC aurait porté une appréciation erronée sur la conformité du projet aux différents critères visés par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce.
26. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Tiviga n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel le maire de la commune de Granville, au vu de l'avis favorable de la CNAC, a délivré à la SAS Granville Distribution un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale portant sur la création d'une cour des matériaux d'une surface de 1 020 m2.
Sur les frais liés au litige :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Granville et de la société Granville Distribution la somme demandée par la SAS Tiviga. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Tiviga une somme de 1 500 euros à verser à chacune des parties en défense sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Tiviga est rejetée.
Article 2 : Il est mis à la charge de la SAS Tiviga une somme de 1 500 euros à verser respectivement à la société Granville Distribution et à la commune de Granville.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Tiviga, à la société Granville Distribution, à la commune de Granville et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée, pour information à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 16 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2024.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.