Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours formé contre la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 11 juillet 2018 rejetant sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 1900527 du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite du ministre de l'intérieur.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 août 2022 et 17 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que :
- en estimant que le loyalisme de M. A... à l'égard de la France n'était pas garanti, il n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit ni d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- sa décision est suffisamment motivée ;
- il a procédé à un examen particulier de la situation de M. A....
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2023, M. A..., représenté par Me Colas, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le code civil ;
- le décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dias,
- et les observations de Me Neraudau, substituant Me Colas, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 23 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A..., la décision du 18 février 2019 rejetant la demande de naturalisation présentée par l'intéressé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " Hors le cas prévu à l'article 21-14-1, l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". En vertu des dispositions de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. (...) ". L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant, ainsi que les renseignements de tous ordres recueillis sur son loyalisme.
3. La seule circonstance qu'un postulant à la nationalité française ait conservé des liens, même importants, avec son pays d'origine, ne permet pas, en elle-même, d'en déduire un défaut de loyalisme propre à justifier, sans erreur manifeste d'appréciation, le rejet d'une demande de naturalisation. Un tel défaut de loyalisme, pouvant justifier un tel rejet sans une telle erreur, peut en revanche résulter de la nature des liens conservés avec le pays d'origine, notamment lorsque sont en cause des liens particuliers entretenus par le postulant avec un Etat ou des autorités publiques étrangères, dont des représentations diplomatiques ou consulaires en France du pays d'origine.
4. Le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de naturalisation de M. A... au motif que, compte tenu de son engagement politique à l'égard du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), son loyalisme à l'égard de la France n'était pas garanti.
5. Pour rejeter la demande de naturalisation de M. A..., le ministre s'est fondé sur le contenu d'une note blanche de la direction générale de la sécurité intérieure du 16 juillet 2019 indiquant que l'intéressé est un militant kurde fréquentant la Maison Démocratique et Culturelle du Peuple Kurde (MPK), que cette association, dont le siège est à Marseille, milite activement pour la défense de la cause kurde, qu'il a lui-même participé à plusieurs manifestations à Paris, organisées par le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu'il est C... d'un activiste de cette organisation, interpellé, en 2018, par les services de renseignements turcs et que E... a été élue ... de la MPK.
6. Le ministre verse également devant la cour une note blanche de la direction générale de la sécurité intérieure du 1er août 2022 indiquant que les locaux de la MPK, à Marseille, sont utilisés comme lieu de réunion des cadres clandestins du PKK, que l' " impôt révolutionnaire " y est collecté, qu'une une perquisition y a été réalisée, il y a plusieurs années, dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme qui a conduit à l'interpellation, par les services de police, de 7 personnes et qu'une même opération a donné lieu, plus récemment, à l'interpellation de 10 personnes. La note blanche indique que M. A... a déclaré aux services de police, au nom de la MPK, une manifestation qui s'est tenue,H..., en protestation à une déclaration anti-kurde du gouvernement turc, qu'il a participé, en 2009, à une descente aux flambeaux organisée, à Marseille, par la MPK, à l'occasion du 31ème anniversaire de la création du PKK, qu'il a hébergé, en 2010, un cadre du PKK et qu'il a assisté, en mars 2022, à une formation sur le confédéralisme démocratique au Rojava, organisée par la MPK.
7. M. A... soutient que seule sa concubine a participé à cette formation et qu'il n'a pas hébergé le cadre du PKK. Il fait aussi valoir qu'il n'est pas membre adhérent de la Maison Démocratique et Culturelle du Peuple Kurde (MPK). Toutefois, d'une part, l'intéressé ne conteste pas avoir déclaré, au nom de cette association, la manifestation, qui s'est tenue, à Marseille, le
24 juin 2006, ni avoir participé, en 2009, à une descente aux flambeaux organisée par la MPK, à l'occasion de l'anniversaire de la création du PKK, organisation qui figure depuis 2002 sur la liste des organisations terroristes dressée par l'Union européenne. D'autre part, il ne conteste pas sérieusement qu'il continue à fréquenter la MPK que F... à plusieurs reprises, et dont les locaux, perquisitionnés à deux reprises par les services de police, ont été utilisés récemment pour soutenir l'action clandestine du PKK. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de son audition, en 2017, par les services de renseignement, M. A... a justifié les attentats commis en Turquie par le PKK. Dans ces conditions, et quand bien même M. A..., dont G...sont de nationalité française, justifierait d'une bonne insertion dans la société française, le ministre de l'intérieur, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont il dispose en la matière a pu, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, estimer que le loyalisme de l'intéressé à l'égard de la France n'est pas garanti et rejeter, pour ce motif, sa demande de naturalisation. Ainsi c'est à tort que, pour annuler la décision du 18 février 2019 du ministre de l'intérieur, le tribunal s'est fondé sur ce que cette décision était entachée d'une telle erreur manifeste d'appréciation.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
9. En premier lieu, la décision du ministre de l'intérieur du 18 février 2019 énonce avec suffisamment de précision les motifs de droit et de fait qui constituent son fondement. Le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté.
10. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier ni des termes de la décision du 18 février 2019 qui, ainsi qu'il vient d'être dit, est suffisamment motivée, que cette décision serait entachée d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. A....
11. En troisième et dernier lieu, si les dispositions de l'article 34 de la convention de Genève relative au statut des réfugiés prévoient que les Etats contractant faciliteront, dans toute la mesure du possible, l'assimilation et la naturalisation des réfugiés et qu'ils s'efforceront notamment d'accélérer la procédure de naturalisation, elles ne créent pas pour l'Etat français l'obligation d'accueillir les demandes de naturalisation présentées par les personnes bénéficiant du statut de réfugié et ne font, notamment, pas obstacle à ce que la nationalité française soit refusée à un réfugié, lorsque son loyalisme à l'égard de la France n'est pas garanti. Le moyen tiré par M. A... de ce que la décision du 18 février 2019 a été prise en méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 18 février 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentée par M. A... :
13. Le présent arrêt, qui rejette la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du 23 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées en appel par M. A... ainsi que celles tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2024.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFET La greffière,
M. D...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02568