Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... H... B..., Mme M... J... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale des enfants L... E... A... et de Rose Lusayadio C..., ainsi que M. G... E... D..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 13 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en République démocratique du Congo refusant de délivrer un visa de long séjour à Mme F... H... B... au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2204533 du 14 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 13 octobre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de faire délivrer à Mme H... B... le visa de long séjour sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 février et 28 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme H... B... et autres devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- il ne pouvait être fait droit à la demande de visa présentée dès lors que, eu égard aux dispositions des articles L. 561-2 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'âge de l'enfant sollicitant un visa au titre de la réunification familiale s'apprécie à la date à laquelle sa demande de visa est déposée ;
- les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne sont pas méconnues.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 mars, 9 avril et 16 août 2023, Mme F... H... B..., Mme M... J... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale des jeunes L... E... A... et Rose Lusayadio C..., et M. G... E... D..., représentés par Me Gueguen, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'annuler la décision du 13 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en République démocratique du Congo refusant de délivrer un visa de long séjour à Mme F... H... B... au titre de la réunification familiale ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 2 400 euros TTC sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés ;
- la commission n'a pas procédé à un examen particulier de la situation ;
- la décision est intervenue en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Mme F... H... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme M... J... C..., ressortissante de la République démocratique du Congo (RDC), s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée le 16 mai 2017. Elle a sollicité auprès de l'ambassade de France en RDC la délivrance de visas de long séjour au titre de la réunification familiale pour ses enfants F... H... B..., G... E... D..., L... E... A... et Rose Lusayadio C.... L'autorité consulaire a délivré les visas sollicités à l'exception de celui concernant Mme H... B.... Par une décision du 13 octobre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre ce refus de l'autorité consulaire. Par un jugement du 14 décembre 2022, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à Mme H... B... le visa de long séjour sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser le visa de long séjour sollicité par Mme H... B... en qualité d'enfant de Mme J... C..., bénéficiaire de la qualité de réfugiée, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur la circonstance que l'intéressée a déposé sa demande de visa alors qu'elle était âgée de plus de 19 ans.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. (...) ". Aux termes de l'article R. 561-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes. ".
4. Il résulte de ces dispositions que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard.
5. Doit être regardée comme date de présentation de la demande de visa, la date à laquelle le demandeur effectue auprès de l'administration toute première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... B..., dont l'identité et la filiation ne sont pas discutées, est née le 15 mars 2000. Il est constant qu'elle a déposé sa demande de visa long séjour auprès des services consulaires français en RDC le 18 février 2020, date à laquelle elle avait dépassé son dix-neuvième anniversaire. La circonstance que sa mère, Mme J... C..., qui s'est vu reconnaitre la qualité de réfugiée par la France en 2017, a sollicité auprès du bureau des familles de réfugiés, le 4 juin 2018, le bénéfice de la réunification familiale pour Mme H... B..., ce qui ne s'analyse pas comme une démarche tendant à obtenir un visa, est à cet égard sans incidence. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme H... B... contre la décision de refus de visa de long séjour au motif que les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'y opposaient.
7. En conséquence, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 13 octobre 2021 sur le motif qu'à la date du 4 juin 2018, la demandeuse était âgée de moins de dix-neuf ans.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme H... B... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... B..., née en 2000, est l'ainée d'une fratrie de quatre enfants nés entre 2003 et 2010. Leur mère, Mme J... C..., a quitté la RDC en octobre 2015 pour des motifs ayant justifié ultérieurement que lui soit reconnu le statut de réfugié. Ces enfants ont alors vécu avec leur père, lequel est décédé en RDC le 20 mars 2016. Aussi Mme H... B... a assumé la responsabilité de ses frères et sœurs à compter de cette date. Ces derniers ont ensuite pu rejoindre leur mère en France au bénéfice d'une mesure de réunification familiale, alors que Mme H... B... s'est vu opposer le refus de visa qu'elle conteste. L'ensemble de la cellule familiale, à l'exception de cette dernière, a donc été admise au séjour en France. Dans ces conditions la décision contestée a pour effet d'isoler brusquement Mme H... B..., jeune majeure, de sa fratrie avec laquelle elle a toujours vécu alors que sa mère, du fait de sa qualité de réfugiée, ne peut se rendre en RDC. Dans ces circonstances, la décision contestée a porté au droit de Mme H... B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par Mme H... B..., que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 13 octobre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa de long séjour sollicité.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
12. Le présent arrêt n'implique pas le prononcé d'une injonction sous astreinte autre que celle déjà prononcée par les premiers juges, dès lors qu'il appartient au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre les mesures nécessaires pour délivrer les visas sollicités.
Sur les frais d'instance :
13. Mme H... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Gueguen dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Gueguen une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme H... B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme F... H... B..., à Mme M... J... C... et à M. G... E... D....
Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT00387