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23/04/2024 | FRANCE | N°23NT00223

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 23 avril 2024, 23NT00223


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'abord, d'annuler la décision du 9 avril 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement, ensuite, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 2102900 du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure dev

ant la cour :



Par une requête enregistrée le 25 janvier 2023 et un mémoire complémentaire du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'abord, d'annuler la décision du 9 avril 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement, ensuite, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2102900 du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2023 et un mémoire complémentaire du 28 mars 2024 non communiqué, M. C..., représenté par Me Douard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 novembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 9 avril 2021 de l'inspectrice du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'un vice de procédure en ce qu'elle n'a pas été précédée, en méconnaissance des articles L.2421-3 et R. 2421-9 du code du travail, d'un avis régulier du CSEE, qui n'était pas suffisamment informé, n'a pas rendu d'avis à bulletin secret en l'absence de vote de ce dernier et devant lequel il n'a pas été auditionné ;

- elle est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits dès lors que la proposition de la société, consistant à le placer désormais sous l'autorité hiérarchique d'un Facility Manager, portait sur un " élément contractualisé " et constituait une modification de son contrat de travail qu'il était ainsi en droit de refuser ;

- son refus d'accepter la proposition de changement de la société n'est pas fautif ;

- la demande d'autorisation de licenciement présente un lien avec son mandat ; la nature du changement envisagé, ses modalités de mise en œuvre et ses effets étaient de nature à affecter la situation personnelle et les conditions d'exercice de son mandat de représentant du personnel ;

- la faute retenue ne saurait justifier le licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2023, la société Lidl, représentée par Me Corre, conclut au rejet de la requête présentée par M. C... et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'intéressé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Douard pour M. C... et de Me Defains-Lacombe pour la société Lidl France.

Considérant ce qui suit :

1. Le 9 janvier 2001, M. C... a été recruté par la société LIDL France sur la base d'un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 29 janvier 2001 en qualité d'"agent de maîtrise entrepôt " au sein de la direction régionale de Guingamp-Ploumagoar. M. C... bénéficie du statut de technicien bâtiment, statut cadre, niveau 7, de la convention collective applicable, aux termes d'un avenant à son contrat de travail du 1er mai 2008. Il a été élu membre titulaire du comité social et économique d'établissement (CSEE), au sein de la direction régionale, et désigné conseiller du salarié par l'organisation syndicale CFE-CGC à compter du 20 août 2019. Au cours de l'année 2020, la société LIDL France a pris la décision de modifier uniformément le rattachement hiérarchique des techniciens bâtiment au sein de ses directions régionales. Par une lettre du 12 octobre 2020, la société LIDL France a informé M. C... de son intention de le rattacher hiérarchiquement au " Facility Manager " pour l'aspect fonctionnel et organisationnel de son métier, à compter du 1er décembre 2020. L'intéressé a refusé ce rattachement par une lettre en date du 10 novembre 2020. M. C... ayant réitéré son refus, la société LIDL France l'a convoqué, par une lettre du 14 décembre 2020, à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement. La société LIDL France a ensuite convoqué les membres du CSEE à une séance extraordinaire fixée le 3 février 2021, portant notamment sur le projet de licenciement de M. C.... A l'issue du CSEE, la société a, le 9 février 2021, saisi l'inspectrice du travail d'une demande d'autorisation de licenciement. Par une décision du 9 avril 2021, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. C.... La société a, le 14 avril 2021, notifié à M. C... son licenciement.

2. M. C... a saisi le 21 septembre 2021 le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 9 avril 2021 de l'inspectrice du travail. Il relève appel du jugement du 25 novembre 2022 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée :

3. En premier lieu, M. C... soutient que la décision du 9 avril 2021 de l'inspectrice du travail est entachée d'un vice de procédure en ce qu'elle n'a pas été précédée, en méconnaissance de l'article L. 2421-3 du code du travail, d'un avis du comité social et économique d'établissement (CSEE), ce qui aurait dû conduire l'inspectrice du travail à refuser l'autorisation de le licencier.

4. Aux termes de l'article L. 2312-15 du code du travail : " Le comité social et économique émet des avis et des vœux dans l'exercice de ses attributions consultatives. / Il dispose à cette fin d'un délai d'examen suffisant et d'informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l'employeur, et de la réponse motivée de l'employeur à ses propres observations. / Il a également accès à l'information utile détenue par les administrations publiques et les organismes agissant pour leur compte, conformément aux dispositions légales relatives à l'accès aux documents administratifs. / Le comité peut, s'il estime ne pas disposer d'éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants (...) ". Aux termes de l'article L.2421-3 du même code : " Le licenciement envisagé par l'employeur (...) d'un représentant syndical au comité social et économique de licenciement (...) est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre 1er du livre III ". Enfin, selon l'article R. 2421-9 de ce code, cet avis du CSEE " est exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé ".

5. Saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent l'article L. 2421-3 et le premier alinéa de l'article R. 2421-9 du code du travail, il appartient à l'administration de s'assurer que la procédure de consultation du comité d'entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée que si le comité d'entreprise - devenu le comité social et économique - a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. En particulier, l'absence de transmission par l'employeur, lors de la convocation du comité d'entreprise, des informations requises n'entache pas d'irrégularité cette consultation si le comité d'entreprise a tout de même disposé de ces informations dans des conditions lui permettant d'émettre son avis en toute connaissance de cause.

6. En l'espèce, il ressort, dans un premier temps, des pièces du dossier, que, par un courriel du 20 janvier 2021, la direction de l'entreprise a adressé aux membres du CSEE l'ordre du jour de la réunion extraordinaire du 3 février 2021, signé conjointement par le secrétaire du comité et le président, dont le point 1 était libellé comme suit : " information et consultation des membres du CSEE relatif au projet de licenciement de M. C..., salarié protégé - vote des membres à bulletin secret (point confidentiel) " et la société Lidl indique qu'une note d'information, qui est versée aux débats, était jointe également à cet ordre du jour, ce que M. C... ne conteste pas. Cette note relative au projet de licenciement de M. C..., dont il est rappelé expressément que " les informations qu'elle contient revêtent un caractère confidentiel en application de l'article L.2315-3 du code du travail ", était particulièrement précise sur les faits conduisant à envisager la rupture de son contrat de travail. Elle indique ainsi, dans le détail, tout d'abord, les échanges intervenus entre la direction de la société et M. C... depuis qu'il a été envisagé de " le rattacher hiérarchiquement à M. A... B..., Facility Manager, d'un point de vue fonctionnel et organisationnel pour la bonne marche du service ", le refus de M. C... " aux motifs notamment qu'il ne souhaite pas être rattaché à un cadre de même niveau que lui ", la réitération ensuite de ce refus, l'intéressé indiquant " que toute la démarche de la direction résulterait d'un harcèlement dont il fait l'objet depuis 2018 ", ensuite, la réglementation en vigueur en pareil cas, la convocation du salarié par LRAR à l'entretien préalable et, enfin, après le rappel des deux mandats dont l'intéressé est titulaire, que le CSEE sera consulté par vote à bulletin secret sur le projet de licenciement. Il y a lieu, dans un deuxième temps, de constater que ces informations, suffisantes pour permettre aux membres du CSEE de se prononcer en toute connaissance de cause sur le projet de licenciement envisagé et de rendre un avis, sont également reprises dans le procès-verbal de la réunion du 3 février 2021, lequel indique que le responsable régional des ressources humaines de la société, a non seulement lors de cette séance lu un récapitulatif du poste de M. C... mais aussi fait état de la volonté de la direction de le rattacher au Facility manager, du refus de M. C... d'être placé sous l'autorité d'un cadre de même niveau et que ce refus, fautif selon la direction, s'opposait au maintien de M. C... dans l'entreprise. Dans un troisième et dernier temps, il est exact, ainsi que le rappelle le procès-verbal précité, que lors du passage au vote, les quinze membres du CSEE ont refusé de participer au vote, sollicitant à la majorité des membres présents le report de la délibération, au motif de l'absence d'urgence à se prononcer et de l'arrêt de travail de M. C... empêchant son audition. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les membres du CSEE, suffisamment éclairés sur la situation de M. C..., sont restés en séance et ont entendu l'ensemble des circonstances de fait et de droit leur permettant de se prononcer en connaissance de cause sur le licenciement du salarié. M. C... avait, quant à lui, été régulièrement convoqué pour lui permettre de s'exprimer devant le CSEE et aucun élément ne permet de considérer qu'il aurait sollicité le report de la réunion du CSEE ou fait valoir son droit d'être entendu ou même porté à la connaissance du CSEE sa position par écrit alors qu'il en avait la possibilité. En tout état de cause, il appartenait le cas échéant aux membres du CSEE de saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants, ce qu'ils ne justifient pas avoir entrepris. Le moyen tiré du vice de procédure sera écarté.

7. En deuxième lieu, M. C... soutient que la décision du 9 avril 2021 de l'inspectrice du travail est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits dès lors que la proposition de la société Lidl, consistant à le placer désormais sous l'autorité hiérarchique d'un Facility Manager, alors qu'il était, depuis la signature l'avenant du 28 avril 2008, placé sous l'autorité hiérarchique du responsable immobilier, portait sur un " élément contractualisé " et constituait non un changement de ses conditions de travail mais une modification de son contrat de travail qu'il était ainsi en droit de refuser.

8. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. L'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié le changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement. Dans ce cas, l'autorité administrative doit, après s'être assurée que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. Par ailleurs, dès lors que les fonctions et responsabilités du salarié ne sont pas modifiées, la création d'un échelon hiérarchique intermédiaire n'entraîne en soi aucun déclassement du salarié et en conséquence aucune modification de son contrat de travail.

9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, d'une part, et en particulier de l'avenant du 28 avril 2008 au contrat de travail de M. C... et des mentions de la fiche de poste auxquelles il renvoie, que " le technicien bâtiment exerce ses missions sous l'autorité hiérarchique du responsable technique régional ". Le requérant ne peut donc soutenir que son rattachement hiérarchique, en 2012, au responsable immobilier succédant au responsable technique régional, rattachement dans le cadre de la nouvelle organisation nationale de la société Lidl, était " contractualisé " et ne pouvait être affecté par le rattachement hiérarchique au Facility manager en litige. D'autre part, si M. C... critique la validation de ses congés par le Facility manager , les informations qu'il lui a données dans un courriel du 1er décembre 2020, la modification en urgence de son planning, les " débriefings " auxquels il était tenu, ou encore la discussion de son emploi du temps avec le Facility manager sur son agenda et ses modifications dans l'intérêt du service, ces éléments, inhérents notamment aux fonctions exercées et alors qu'il a toujours effectué le suivi de son activité avec un supérieur hiérarchique quel qu'il soit, ne permettent pas de caractériser une quelconque perte d'autonomie ou un appauvrissement de ses fonctions en relation avec son nouveau rattachement hiérarchique opérationnel. Le requérant n'établit pas davantage en quoi le rattachement litigieux aurait renforcé l'isolement dans lequel il prétend s'être trouvé quand bien même il ne participerait plus à l'avenir à la réunion de service du lundi matin. La modification du rattachement hiérarchique pour les aspects fonctionnel et organisationnel des fonctions de M. C... est également sans incidence sur la compétence disciplinaire qui reste du ressort du responsable immobilier. Enfin, il est constant que la modification du rattachement hiérarchique de M. C..., qui ne laissait prise à aucune ambiguïté quant à ses conséquences, n'impliquait pour le salarié aucune modification de sa rémunération, de sa qualification professionnelle, de ses fonctions - sa fiche de poste demeurant inchangée -, de sa durée du travail ou de ses horaires qu'il élaborait lui-même en sa qualité de cadre. Il résulte de l'ensemble de ce qui vient d'être dit que la proposition de rattachement hiérarchique faite par son employeur à M. C... ne constituait pas une modification de son contrat de travail mais un simple changement dans ses conditions de travail décidé dans le cadre du pouvoir de direction de l'employeur. Le moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail aurait commis une erreur de qualification juridique sera écarté.

10. En troisième lieu, M. C... soutient que son refus d'accepter la proposition de la société de changement de son rattachement hiérarchique n'est pas fautif dès lors qu'il constitue une modification de son contrat de travail et que son employeur n'établit pas qu'il entendait uniformiser le rattachement hiérarchique des techniciens bâtiments. Toutefois, la création d'un poste de Facility manager est justifiée par la société LIDL par la volonté " d'harmoniser et d'uniformiser " les organigrammes en prévoyant le rattachement hiérarchique des techniciens bâtiment au Facility manager dans l'ensemble des directions régionales où subsistent des techniciens bâtiment. Il ressort de plus des éléments du dossier que l'employeur a ainsi présenté à l'inspectrice du travail, dans le cadre de l'enquête contradictoire, les organigrammes des directions régionales de Lilliers et de La Chapelle d'Armentières, démontrant ainsi le caractère géographiquement indifférencié de la nouvelle organisation souhaitée par la société LIDL France et qui ne concernait donc pas uniquement la direction régionale de Ploumagoar. Compte tenu de ce qui a été retenu au point précédent, le refus opposé par M. C... à son changement de rattachement hiérarchique d'un point de vue fonctionnel et organisationnel, qui ne remet pas en cause ses prérogatives et son autonomie et n'affecte que ses conditions de travail, est fautif.

11. En quatrième lieu, M. C... soutient que la demande d'autorisation de licenciement présente un lien avec son mandat. Il ajoute que la nature du changement envisagé, ses modalités de mise en œuvre et ses effets étaient de nature à affecter sa situation personnelle et les conditions d'exercice de son mandat de représentant du personnel.

12. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

13. D'une part, il n'est pas établi par les pièces versées au dossier que, contrairement à ce qui est avancé, le changement de rattachement hiérarchique envisagé était de nature à affecter la situation personnelle de M. C.... D'autre part, si le requérant qui critique sévèrement " les méthodes de son employeur ", soutient que le changement de ses conditions de travail révèlerait un harcèlement de la direction à son égard en pointant différents reproches à son employeur - défaut de versement de la prime Covid-19, privation de bureau, " exclusion " de la visite d'un nouveau magasin - , aucun des éléments avancés pris isolément ou dans leur ensemble ne permet, compte tenu des explications apportées par la société, de caractériser une situation de harcèlement. Enfin, les pièces versées aux débats n'établissent pas que le changement de rattachement hiérarchique emporterait des incidences sur l'exercice de son mandat. A cet égard, si M. C... soutient que le changement de rattachement hiérarchique engendrerait pour lui une perte d'information du fait de son éviction de la réunion hebdomadaire des cadres, il n'établit pas que le Facility manager ne pourrait ensuite, à sa demande, lui faire part des éléments recueillis lors de cette réunion et, d'autre part, qu'il se trouverait privé de temps d'échanges avec la direction, qui peuvent intervenir en dehors de ces seules réunions, au regard notamment de son statut de cadre de la société. Par ailleurs, M. C... ne démontre pas non plus qu'il serait privé d'informations essentielles pour exercer son mandat en n'assistant plus à cette rencontre hebdomadaire, laquelle n'était pas au demeurant un élément figurant dans sa fiche de poste et dont l'objet n'était pas l'informations des institutions représentatives du personnel. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'inspectrice du travail a pu considérer que la procédure de licenciement ne présentait aucun lien avec le mandat détenu par le salarié.

14. En cinquième et dernier lieu, toutefois, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

15. Il ressort des pièces du dossier que pour autoriser le licenciement de M. C..., l'inspectrice du travail a estimé, par la décision contestée du 9 avril 2021, que le refus opposé par celui-ci au changement de rattachement hiérarchique proposé par la société Lidl " était préjudiciable au fonctionnement et à l'organisation de l'entreprise " et que " ce refus rendait dès lors impossible le maintien du contrat de travail ".

16. Toutefois, il ne ressort d'aucun élément du dossier que, en dépit du fait que, selon la société, le responsable immobilier se trouverait contraint de continuer à exercer des missions, d'ailleurs non décrites, qui devraient en principe incomber au Facility manager, le refus opposé par M. C... à son changement de rattachement hiérarchique, dont les tâches et l'autonomie de travail ne sont pas réduites ainsi qu'il a été rappelé aux points 10 à 13, serait de nature à perturber le bon fonctionnement de la direction régionale de Guingamp-Ploumagoar par " une fluidité moindre du circuit décisionnel de l'entreprise ". Il n'est pas davantage établi par les pièces du dossier que le refus opposé par M. C... aurait rendu impossible la poursuite de la relation de travail. Enfin, il est constant que n'a été relevé à l'encontre du salarié aucun antécédent disciplinaire. Dans ces conditions, l'inspectrice du travail a commis une erreur d'appréciation en estimant que le refus fautif de M. C... était d'une gravité suffisante et de nature à justifier son licenciement. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que, pour ce motif, la décision du 9 avril 2021 de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement est entachée d'illégalité et doit être annulée.

17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 9 avril 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement.

Sur les frais liés au litige :

18. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. C..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société LIDL France la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société LIDL France le paiement M. C... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2102900 du 25 novembre 2022 du tribunal administratif de Rennes et la décision du 9 avril 2021 de l'inspectrice du travail autorisant le licenciement de M. C... sont annulés.

Article 2 : La société Lidl versera à M. C... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Lidl en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à la société Lidl et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 avril 2024.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I.PETTON

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT00223 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00223
Date de la décision : 23/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : SUTRA CORRE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-23;23nt00223 ?
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