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19/04/2024 | FRANCE | N°23NT03187

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 19 avril 2024, 23NT03187


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 27 juin 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a fixé le pays de renvoi à destination duquel il sera reconduit en exécution de l'interdiction définitive du territoire prononcée par la cour d'appel de Rennes le 4 novembre 2022.



Par un jugement n° 2304241 du 6 novembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 27 juin 2023 par lequel le préfet d'

Ille-et-Vilaine a fixé le pays de renvoi à destination duquel M. D... sera reconduit en exécution de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 27 juin 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a fixé le pays de renvoi à destination duquel il sera reconduit en exécution de l'interdiction définitive du territoire prononcée par la cour d'appel de Rennes le 4 novembre 2022.

Par un jugement n° 2304241 du 6 novembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 27 juin 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a fixé le pays de renvoi à destination duquel M. D... sera reconduit en exécution de l'interdiction définitive de territoire prononcée par la cour d'appel de Rennes le 4 novembre 2022.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2023, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 novembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. D....

Il soutient que :

- les observations de M. D... n'étaient pas de nature à influer sur le sens de sa décision ;

- l'impossibilité de prendre en compte les observations de l'intéressé est la conséquence de son refus et non d'une omission ou négligence de l'administration ;

- l'administration n'était pas obligée de transmettre le formulaire par courrier au greffe pénitentiaire après un refus de l'étranger de faire valoir des observations.

La requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant irakien né 1er septembre 1994, a fait l'objet d'une condamnation à une peine d'emprisonnement de quatre ans sans sursis, pour une activité de " passeur ", et d'une interdiction définitive du territoire français, dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 4 novembre 2022. Par un arrêté du 27 juin 2023 le préfet d'Ille-et-Vilaine a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 6 novembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté préfectoral du 27 juin 2023. Le préfet d'Ille-et-Vilaine fait appel de ce jugement.

Sur le moyen accueilli par les premiers juges :

2. D'une part, aux termes de l'article 131-30 du code pénal, auquel renvoie l'article L. 641-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit./ L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion./ Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. /(...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office (...) d'une peine d'interdiction du territoire français (...). " Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : : L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi :/ 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

4. Aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de sa peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution en édictant à son encontre une décision motivée fixant son pays de destination, sous réserve qu'une telle décision n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée, ou d'un pays où il serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La désignation du pays de renvoi, qui n'est pas prise pour l'exécution d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, a le caractère d'une mesure de police soumise notamment aux dispositions des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration et devant être motivée en application du 1° de l'article L. 211-2 de ce même code.

6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

7. Il ressort des pièces du dossier et en particulier d'un procès-verbal d'un officier de police judiciaire du 7 juin 2023, que M. D..., qui était incarcéré, a refusé de venir au parloir pour se voir remettre, par un officier de police judiciaire assisté d'un interprète, le formulaire de demande d'observations préalables à l'édiction de la décision fixant le pays de renvoi. Le préfet, en ayant prévu une remise de courrier de demande d'observations en main propre, n'avait pas l'obligation, après le refus de M. D..., sans aucune justification d'un empêchement ou d'une impossibilité, de recevoir ce courrier en main propre, d'adresser ce formulaire selon d'autres modalités. Contrairement à ce que soutient le requérant, cette remise en main propre n'impliquait pas qu'il fasse des observations uniquement orales. En tout état de cause, il n'apporte aucun élément permettant d'établir qu'il a été privé de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure susceptible de conduire le préfet à ne pas fixer comme pays de renvoi pour l'exécution de l'interdiction définitive du territoire français, l'Irak ou tout autre pays dans lequel il établit être légalement admissible. Par conséquent, le moyen tiré de ce que M. D... n'a pas été mis à même de faire valoir utilement ses observations doit être écarté.

8. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a, par le jugement attaqué, accueilli ce moyen pour annuler l'arrêté du 27 juin 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a fixé le pays de renvoi à destination duquel M. D... sera reconduit en exécution de l'interdiction définitive du territoire prononcée par la cour d'appel de Rennes le 4 novembre 2022.

9. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur les autres moyens soulevés par M. D... :

10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., adjointe au chef du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière de la préfecture d'Ille-et-Vilaine, signataire de l'arrêté contesté, était titulaire d'une délégation de signature par arrêté du 23 mars 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs N° 35-2023-049 du même jour. Par conséquent, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte contesté doit être écarté.

11. En deuxième lieu, l'arrêté contesté, qui mentionne les éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé, en particulier sur l'application des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit être écarté. Au vu de cette motivation, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. D... doit également être écarté.

12. En troisième lieu, en l'absence d'observations préalables de M. D..., le préfet d'Ille-et-Vilaine n'était pas tenu de consulter le fichier Eurodac préalablement à l'édiction de sa décision. Si l'intéressé soutient avoir déposé une demande d'asile en Italie en 2016 et aux Pays-Bas en 2018, il n'apporte aucun élément de nature à l'établir, alors même qu'il a effectué une demande de relevé Eurodac restée infructueuse. En tout état de cause, contrairement à ce que soutient M. D..., le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas fixé uniquement l'Irak comme pays de destination mais également tout autre pays dans lequel l'intéressé établit qu'il y est légalement admissible. Il est constant qu'aucune demande d'asile n'avait été déposée en France. L'intéressé n'a souhaité déposer une telle demande en France que le 4 août 2023, soit postérieurement à la décision en litige.

13. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Si M. D... soutient avoir été victime de violences intrafamiliales en Irak et y être menacé de mort en raison de son appartenance au PKK, il n'apporte aucun élément de nature à établir ses allégations et qu'il serait exposé personnellement, en cas de retour dans son pays d'origine, à des risques de traitements inhumains ou dégradants. La seule circonstance qu'il aurait déposé des demandes d'asile en Italie et aux Pays-Bas ne suffit pas à établir de tels risques. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 27 juin 2023.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2304241 du tribunal administratif de Rennes du 6 novembre 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... D....

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 avril 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03187


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03187
Date de la décision : 19/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-19;23nt03187 ?
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