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16/04/2024 | FRANCE | N°23NT02948

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 1ère chambre, 16 avril 2024, 23NT02948


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 mai 2022 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré.



Par un jugement n° 2207567 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes

a rejeté sa requête.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 mai 2022 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré.

Par un jugement n° 2207567 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 octobre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Rodrigues Devesas demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 mai 2022 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour et à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 75 euros par jour de retard, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au profit de son conseil qui renoncera, dans cette hypothèse, à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :

- les allégations du préfet quant au caractère falsifié des documents d'identité présentés sont infondées ; le timbre fiscal apposé sur le jugement supplétif est le même que celui apposé sur l'ensemble des jugements supplétifs rendus par les autorités judiciaires guinéennes ; la préfecture n'établit pas que la signature apposée serait erronée ; le numéro apposé sur le jugement ne présente pas de caractère fantaisiste ; les dispositions de l'article 175 du code précité ne trouvent pas à s'appliquer aux jugements ;

- sa scolarité est réelle et sérieuse ;

- la décision méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, porte atteinte au droit protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision doit être annulée en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;

Par un mémoire en défense enregistré le 23 janvier 2024, le préfet de la

Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Le préfet soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par décision du 18 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Viéville a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante guinéenne née en 2003, a été prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Loire-Atlantique dans le cadre d'une ordonnance d'ouverture d'une tutelle d'Etat prise le 16 octobre 2018 par la juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Nantes. A sa majorité, elle a sollicité du préfet de la Loire-Atlantique la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-22 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Sa demande a été rejetée par un arrêté du 5 mai 2022 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination. Par jugement du 26 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le recours de Mme A... contre cet arrêt. Elle relève appelle de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ".

3. Pour refuser à Mme A... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions, le préfet s'est fondé sur le motif tiré du caractère frauduleux des actes

d'état-civil produits par l'intéressée pour justifier de son identité et de son âge.

4. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

5. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

6. Pour attester de son identité, Mme A... a produit un jugement supplétif d'acte de naissance n° 11729 rendu le 23 décembre 2020 par le tribunal de première instance de Conakry III- Mafanco et un certificat de transcription de ce jugement supplétif dans le registre de l'état-civil de la commune de Matoto le 23 décembre 2020 sous le n° 11748.

7. La circonstance que Mme A... soit entrée en France en étant titulaire d'un passeport guinéen émis au cours de l'année 2017, alors qu'un tel titre de voyage ne peut être délivré que sur la production par le demandeur de son acte de naissance, n'est pas de nature à établir le caractère apocryphe du jugement supplétif dont l'objet même est de remplacer un acte authentique qui a pu être perdu. Par ailleurs, la circonstance que le jugement supplétif du

23 décembre 2020, que la requérante a produit à l'instance, ne comporte aucune mention de nature à établir qu'il viendrait se substituer à un précédent acte de naissance détruit, égaré ou entaché d'une erreur n'est pas de nature à établir le caractère apocryphe de cette décision, tout comme la circonstance que le montant acquitté au titre du droit de timbre serait erroné. L'incohérence de la signature apposée par la juriste au regard de celle apposée sur le spécimen détenu par l'ambassade de France à Conakry n'est pas non plus de nature à établir le caractère frauduleux de la décision alors que ce jugement a fait l'objet d'une seconde légalisation sans que la qualité de l'auteur de celle-ci ne soit remise en cause. Le caractère fantaisiste du numéro de jugement qui démontrerait une activité manifestement exagérée de la juridiction qui a rendu le jugement supplétif ne ressort pas des pièces du dossier. Enfin, l'absence de mention de la date de naissance des parents n'est pas suffisante pour établir le caractère frauduleux du jugement supplétif.

8. Ainsi, l'ensemble des constatations effectuées ne suffit pas à donner à de ce jugement supplétif un caractère apocryphe ou à le priver de caractère probant. Dès lors, c'est à tort que le préfet a estimé que l'identité du requérant n'était pas établie et qu'il ne pouvait, pour ce motif, lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étranger et du droit d'asile.

9. En dernier lieu, pour établir la méconnaissance des dispositions des articles

L. 423-23, et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ainsi que l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle,

Mme A... fait valoir qu'elle a désormais le centre de ses intérêts sur le territoire français, y étant entré depuis quatre ans à la date de la décision attaquée et ayant un projet professionnel sérieux, ces éléments ne sont ni de nature à établir qu'elle disposerait d'attaches personnelles ou familiales sur le territoire.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'annuler la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour en tant que le préfet a refusé de délivrer un titre de séjour sur ce fondement. Par voie de conséquence, il y a aussi lieu d'annuler l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. Eu égard au motif d'annulation, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la

Loire-Atlantique de réexaminer la demande de Mme A... présentée sur le fondement de l'article L.423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de justice :

12. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à Me Rodrigues Devesas, conseil de

Mme A..., d'une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2107567 du tribunal administratif de Nantes du 7 juillet 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique l'arrêté du 5 mai 2022 est annulé en tant que le préfet a rejeté la demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L.422-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de réexaminer la demande de

Mme A... présentée sur le fondement de l'article L.423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros hors taxes au titre des dispositions des articles

L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 à Me Rodrigues Devesas, conseil de Mme A....

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Rodrigues Devesas et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président,

- M. Geffray président-assesseur,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.

Le rapporteur

S. VIÉVILLE

Le président de chambre

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23NT0294802


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02948
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Sébastien VIEVILLE
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : RODRIGUES DEVESAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23nt02948 ?
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