Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier (CH) de Guingamp à lui verser une somme de 288 083,31 euros ainsi qu'une rente annuelle d'un montant de 47 923,56 euros, assortis des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa prise en charge par le docteur D... au sein de cet établissement.
Par un jugement n° 2002517 du 24 février 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17 avril 2023, 17 novembre 2023 et 19 décembre 2023, Mme E... B..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son enfant mineur M. A... C..., représentée par Me L'Hostis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 février 2023 ;
2°) de condamner le CH de Guingamp à lui verser une somme globale de 288 083,31 euros ainsi qu'une rente annuelle d'un montant de 47 923,56 euros, assortis des intérêts au taux légal à compter du 27 février 2023 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des divers préjudices qu'elle a subis à la suite de sa prise en charge dans cet établissement de santé ;
3°) de mettre à la charge du CH de Guingamp une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il ne résulte pas de l'instruction que les fautes commises l'ont été dans le cadre de l'exercice libéral de son activité par le Dr D... et non par celui-ci en qualité de salarié du centre hospitalier de Guingamp ;
- le CH de Guingamp est responsable, sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, des fautes commises par le Dr D... tenant, d'une part, à l'indication opératoire d'arthrodèse sans discussion sur les alternatives thérapeutiques disponibles, et, d'autre part, à une faute technique chirurgicale au cours de l'intervention du 29 juillet 2010 ; ces fautes sont à l'origine de son préjudice corporel ;
- le CH est en outre responsable, sur le fondement de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, d'un défaut d'information, dès lors qu'elle n'a pas reçu une information complète sur les risques opératoires, notamment sur la notion de dégradation d'étages adjacents à une zone d'arthrodèse, risque qui doit être systématiquement évoqué chez une jeune patiente ; cette faute est à l'origine d'une perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé et d'un préjudice d'impréparation ;
- elle a droit à être indemnisée :
Au titre des préjudices patrimoniaux :
* des dépenses de santé actuelles restées à sa charge à hauteur de 189,90 euros ;
* des frais divers à hauteur de 27 890,25 euros dont :
o 5 790,39 euros de frais de déplacement ;
o 4 420 euros de frais d'assistance par un médecin conseil ;
o 4 540,16 euros de frais d'assistance par un avocat devant la commission ;
o 12 528 euros de frais temporaires d'assistance par une tierce personne ;
o 90 euros en remboursement de deux séances de shiatsu ;
o 75 euros au titre de séances d'ostéopathie ;
o 422,70 euros au titre du matériel de rééducation ;
o 24 euros au titre des frais de communication du dossier médical ;
* des pertes de gains professionnels actuels à hauteur de 6 752 euros ;
* des dépenses de santé futures à évaluer par l'attribution d'une rente annuelle viagère de 150 euros à capitaliser ;
* des frais de logement adapté à hauteur de 19 469,44 euros, outre une rente annuelle viagère de 1 947 euros à capitaliser ;
* des frais de véhicule adapté de 29 500 euros, outre une rente annuelle viagère de 5 900 euros à capitaliser ;
* des frais permanents d'assistance par une tierce personne à indemniser par l'attribution d'une rente annuelle viagère de 2 736 euros à capitaliser ;
* des pertes de gains professionnels futurs à indemniser par l'attribution d'une rente annuelle de 32 302 euros à capitaliser ;
* de l'achat de matériel professionnel d'un montant de 24 442,72 euros (+mémoire), outre une rente annuelle de 4 888,56 euros à capitaliser (+mémoire) ;
* d'une incidence professionnelle qui doit être évaluée à la somme de 20 000 euros ainsi que des pertes de droits à la retraite réservées ;
Au titre des préjudices extrapatrimoniaux :
* d'un déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 11 339 euros ;
* des souffrances endurées à hauteur de 20 000 euros ;
* d'un préjudice esthétique temporaire à hauteur de 5 000 euros ;
* d'un déficit fonctionnel permanent à hauteur de 90 000 euros ;
* d'un préjudice d'agrément à hauteur de 20 000 euros ;
* d'un préjudice esthétique permanent à hauteur de 6 000 euros ;
* d'un préjudice sexuel à hauteur de 7 000 euros ;
* d'un préjudice moral d'impréparation à hauteur de 10 000 euros ;
- son fils A... C... a subi un préjudice moral d'affection qui doit être évalué à la somme de 20 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 octobre 2023 et le 12 décembre 2023, le centre hospitalier (CH) de Guingamp, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les manquements imputés au Dr D... dans le cadre de son activité libérale ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité de l'hôpital, dès lors qu'ils ne relèvent pas d'un mauvais fonctionnement ou d'une mauvaise organisation du service public hospitalier et relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire ;
- à titre subsidiaire, si sa responsabilité était engagée :
* Mme B... ne peut prétendre au remboursement des dépenses de santé actuelles restées à sa charge de 189,90 euros qui ne sont pas suffisamment justifiées ;
* elle ne peut davantage être indemnisée au titre des frais de déplacement ;
* les frais temporaires d'assistance par une tierce personne ne pourront être évalués à plus de 3 615 euros, et Mme B... devra justifier qu'elle n'a pas perçu d'aides à ce titre ;
* aucune indemnité ne pourra lui être allouée au titre de ses séances de shiatsu et d'ostéopathie, dont elle n'établit pas le caractère nécessaire et directement lié à la faute commise ;
* aucune indemnité ne peut lui être allouée au titre du matériel de sport ;
* elle ne justifie pas davantage de la perte de gains professionnels actuels ;
* les dépenses de santé futures correspondant aux frais de consultation d'un rhumatologue et les frais de logement adapté dont elle demande à être indemnisée ne présentent pas de lien direct avec la faute ;
* elle ne peut prétendre à une somme supérieure à 5 367,11 euros au titre des frais de véhicule adapté ;
* les frais permanents d'assistance par une tierce personne ne pourront être indemnisés à une somme supérieure à 5 164,50 euros au titre des arrérages et de 26 714,69 euros au titre de la rente capitalisée ;
* la perte de gains professionnels futurs n'est pas justifiée ;
* l'incidence professionnelle ne pourra être indemnisée qu'à hauteur de 5 000 euros ;
* le déficit fonctionnel temporaire ne pourra être indemnisé qu'à hauteur de 6 142,50 euros ;
* les souffrances endurées ne pourront être indemnisées qu'à la somme de 6 000 euros ;
* le préjudice esthétique temporaire n'est pas établi ;
* le déficit fonctionnel permanent ne pourra être indemnisé qu'à hauteur de 50 000 euros ;
* aucune indemnité ne lui sera allouée au titre du préjudice d'agrément ou subsidiairement seulement une somme de 2 000 euros ;
* le préjudice esthétique permanent ne pourra être indemnisé qu'à la somme de 1 000 euros ou subsidiairement 1 500 euros ;
* le préjudice sexuel ne pourra être indemnisé qu'à hauteur de 1 000 euros ;
* elle ne peut être indemnisée du préjudice d'impréparation ou subsidiairement qu'à hauteur de 2 000 euros ;
* son fils A... ne pourra prétendre qu'à une somme de 2 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;
* la demande de la MSA devra être rejetée.
Par un mémoire, enregistré le 20 novembre 2023, la caisse de mutualité sociale agricole d'Armorique, représentée par Me Duval, demande à la cour :
1°) de condamner le CH de Guingamp à lui verser une somme de 32 454,51 euros en remboursement des débours qu'elle a exposés en faveur de Mme B..., son assurée ;
2°) de condamner le CH de Guingamp à lui verser une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du CH une somme de 2 460 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle s'en rapporte à l'argumentaire de Mme B... relativement à la responsabilité du CH de Guingamp et à la compétence de la juridiction administrative ;
- elle a droit au remboursement des frais médicaux qu'elle a exposés en faveur de son assurée, imputables aux manquements commis par le Dr D... et constatés par les experts dans la prise en charge de Mme B..., qui s'élèvent à la somme de 32 454,51 euros ;
- elle a droit en outre à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'alinéa 9 de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et l'alinéa 8 de l'article L. 454-1 du même code ;
- elle peut enfin prétendre à une indemnisation des frais irrépétibles, cette indemnité ne se confondant pas, par principe, avec l'indemnité forfaitaire de gestion.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Blanquet, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... B..., née en 1976, atteinte d'importantes douleurs lombaires, a consulté le Dr D... au centre hospitalier de Guingamp le 8 juin 2010. Au vu de la volumineuse hernie discale mise en évidence, ce chirurgien a réalisé une arthrodèse lombo-sacrée avec mise en place d'une cage inter-somatique le 29 juillet 2010, dont les suites ont été compliquées. Mme B... a finalement été prise en charge au centre hospitalier privé Saint-Grégoire de Rennes puis à la Pitié Salpêtrière où une nouvelle intervention a été réalisée le 30 mai 2012. S'interrogeant sur les conditions de sa prise en charge au centre hospitalier de Guingamp par le Dr D..., Mme B... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux. Les experts désignés par la commission ont conclu à une prise en charge non conforme aux données de la science s'agissant de l'arthrodèse du 29 juillet 2010 et à un manquement à l'obligation d'information sur les risques inhérents à cette intervention. La commission s'est prononcée en faveur de la responsabilité du centre hospitalier de Guingamp. Toutefois, devant le refus de cet établissement de santé et de son assureur de l'indemniser au motif que l'hôpital public n'était pas responsable de sa prise en charge, celle-ci ayant été assurée au titre de l'activité libérale du praticien, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande indemnitaire afin d'obtenir réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Elle relève appel du jugement du 24 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 6133-1 du code de la santé publique : " Le groupement de coopération sanitaire de moyens a pour objet de faciliter, de développer ou d'améliorer l'activité de ses membres. / Un groupement de coopération sanitaire de moyens peut être constitué pour : / (...) / 3° Permettre les interventions communes de professionnels médicaux et non médicaux exerçant dans les établissements ou centres de santé membres du groupement ainsi que des professionnels libéraux membres du groupement. / (...). " L'article L. 6133-6 du même code prévoit que les professionnels médicaux libéraux membres du groupement peuvent assurer des prestations médicales au bénéfice des patients pris en charge par l'un ou l'autre des établissements de santé membres du groupement et participer à la permanence des soins, et qu'ils continuent à relever, au titre de l'activité exercée dans le cadre d'un groupement de coopération sanitaire, des professions libérales mentionnées à l'article L. 622-5 du code de la sécurité sociale.
3. Les actes accomplis par les médecins, chirurgiens et spécialistes au profit des malades hospitalisés dans le service privé d'un hôpital public le sont en dehors de l'exercice des fonctions hospitalières. Les rapports qui s'établissent entre les malades admis dans ces conditions et les praticiens relèvent du droit privé. Toutefois, l'hôpital peut être rendu responsable des dommages subis par de tels malades lorsqu'ils ont pour cause le défaut dans l'organisation du service public hospitalier résultant notamment d'une mauvaise installation des locaux, d'un matériel défectueux ou d'une faute commise par un membre du personnel auxiliaire de l'hôpital mis à la disposition des médecins, chirurgiens et spécialistes.
4. Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier (CH) de Guingamp a constitué un groupement de coopération sanitaire " Pôle de Santé de l'Armor et de l'Argoat " au sein duquel le Dr D... a été autorisé à exercer son activité médicale à titre libéral, en application d'un contrat d'exercice conclu entre le CH de Guingamp et ce praticien le 10 décembre 2008. L'article 1er de ce contrat stipule en effet que " le praticien exercera à titre libéral " et que " les rapports juridiques que [les parties au contrat] définissent dans cet acte ne peuvent conduire, et pour quelque cause que ce soit, à une requalification, à la requête de l'une des parties ou d'un tiers, de la convention d'exercice libéral en contrat d'exercice salarié. " L'article 2 prévoit que " le praticien exerce au sein du service public hospitalier à titre libéral, dans le cadre des dispositions de l'article L. 622-5 du code de la sécurité sociale (professions libérales), conformément à au dernier alinéa de l'article L. 6133-2 du code de la santé publique. " Enfin, l'article 14 du contrat d'exercice stipule que " Le praticien exercera son art sous sa propre responsabilité pour laquelle il s'assurera à une compagnie notoirement solvable de son choix et devra justifier chaque année de l'acquittement des primes. " Ce contrat d'exercice a été résilié à compter du 15 mai 2011.
5. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise, que la consultation au cours de laquelle le Dr D... a proposé à Mme B... l'arthrodèse rachidienne L4-L5 par voie postérieure et l'a informée notamment des risques de cette intervention a eu lieu le 8 juin 2010 et que l'intervention a été réalisée le 29 juillet 2010, soit à des dates auxquelles le contrat liant le Dr D... et groupement de coopération sanitaire " Pôle de Santé de l'Armor et de l'Argoat " était en cours. S'il est soutenu par la requérante que le Dr D... serait intervenu pour la prendre en charge en qualité de salarié du centre hospitalier de Guingamp, le caractère public d'une telle prise en charge ne ressort pas des pièces produites, notamment du document " relevé des honoraires et calcul de la redevance " versé aux débats par le CH de Guingamp, comportant la mention d'honoraires et d'une redevance correspondant à la mise en œuvre des articles 12 et 13 de la convention d'exercice pour l'acte de chirurgie réalisé le 29 juillet 2010 par le Dr D..., et du compte-rendu de consultation établi le 8 juin 2010 par le Dr D..., comportant en bas de page la mention " membre d'une AGA [association de gestion agréée], le règlement des honoraires par chèque est accepté ". Il résulte de l'ensemble de ces éléments, bien que ce soit le CH de Guingamp qui ait transmis à Mme B... l'intégralité de son dossier médical, dont la conservation par l'hôpital est prévue par l'article 8 du contrat d'exercice, et que l'établissement de santé n'ait pas produit l'attestation correspondant à l'assurance que le praticien devait souscrire personnellement en application de l'article 14 de ce même contrat, que tant la consultation du 8 juin 2010 que l'arthrodèse du 29 juillet 2010 ont été réalisées par Dr D... dans le cadre de son activité libérale et n'ont ainsi fait naître entre ce praticien et Mme B... que des rapports de droit privé. Cette circonstance fait obstacle à ce que la responsabilité du CH soit engagée à raison d'éventuels manquements de ce praticien dans l'indication opératoire et à son devoir d'information des risques inhérents à l'intervention. Il s'ensuit, alors qu'il ne résulte pas l'instruction que les dommages dont Mme B... demande réparation auraient pour cause, même partiellement, un défaut dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier résultant notamment d'une mauvaise installation des locaux, d'un matériel défectueux ou d'une faute commise par un membre du personnel auxiliaire de l'hôpital mis à la disposition du chirurgien, que les conclusions indemnitaires de Mme B... ne peuvent qu'être rejetées.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence. Il en va de même, pour les mêmes motifs, des conclusions présentées par la caisse de mutualité sociale agricole d'Armorique tendant au remboursement des frais médicaux qu'elle a exposés en faveur de son assurée, au bénéfice de l'indemnité forfaitaire de gestion, et à la mise à la charge de l'hôpital des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés dans le cadre l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... et les conclusions de la mutualité sociale agricole d'Armorique sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B..., au centre hospitalier de Guingamp et à la Mutualité sociale agricole d'Armorique.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Vergne, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2024.
La rapporteure,
J. LELLOUCH
Le président,
G.-V. VERGNE
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01120