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12/04/2024 | FRANCE | N°22NT02164

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 12 avril 2024, 22NT02164


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



I. Par une demande enregistrée sous le n° 2111830, Mme D... A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils B... D..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle rejette le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo refusant de délivrer au je

une B... D... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille de réfugi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une demande enregistrée sous le n° 2111830, Mme D... A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils B... D..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle rejette le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo refusant de délivrer au jeune B... D... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille de réfugiée.

II. Par une demande enregistrée sous le n° 2111832, M. G... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle rejette le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille de réfugiée.

Par un jugement nos 2111830, 2111832 du 23 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2022, M. C... et Mme A..., représentés par Me Acheli, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... et au jeune B... D... les visas sollicités ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier ; c'est à tort que le tribunal a retenu que le recours devant la commission n'avait pas été exercé dans le délai raisonnable d'un an de sorte que sa demande était irrecevable ;

- la décision contestée n'est pas motivée ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à leur situation personnelle et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... et M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement nos 2111830, 2111832 du 23 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté, comme irrecevables, les demandes de M. C... et de Mme A... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à E... (République démocratique du Congo) rejetant les demandes de visas de long séjour présentées par M. C... et par le jeune B... D..., en qualité de membre de famille d'une réfugiée statutaire. M. C... et Mme A... relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) ". Aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception (...) ". Aux termes de l'article L. 112-6 de ce même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'un accusé de réception comportant les mentions prévues par ces dernières dispositions, les délais de recours contentieux contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à son destinataire.

3. D'autre part, aux termes de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier.". Selon l'article D. 211-6 de ce dernier code, alors en vigueur : " Les recours devant la commission doivent être formés dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de refus. (...) Ils sont seuls de nature à conserver le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention des décisions prévues à l'article D. 211-9 (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que la décision des autorités consulaires ou l'accusé de réception du recours préalable formé à son encontre doit mentionner l'existence et le caractère obligatoire, à peine d'irrecevabilité d'un éventuel recours juridictionnel, du recours prévu à l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le délai de forclusion dans lequel la demandeuse doit présenter ce recours et, d'autre part, que le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressée sur les voies et les délais de recours ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie est de nature à faire obstacle à ce que les délais prévus par les articles D. 312-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui soient opposables.

5. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable.

6. Ces règles relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision. Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par l'article R. 112-11-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.

7. Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d'un recours administratif, celui-ci doit être exercé, comme doit l'être le recours juridictionnel, dans un délai raisonnable.

8. Le ministre a produit devant les premiers juges un document, dont il précise qu'il était joint au recours formé par Mme A... devant la commission de recours, émanant des autorités consulaires indiquant " la demande de visa que vous avez déposée a fait l'objet d'une décision implicite de rejet susceptible de recours devant la CRV. Passeports remis le 26 mai 2017 ". Toutefois, ce document ne comporte pas les voies et délais de recours contre la décision de refus de visa, ni ne mentionne l'existence ainsi que le caractère obligatoire, à peine d'irrecevabilité, du recours prévu à l'article D. 211-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux prévu par les dispositions de cet article ne lui était pas opposable.

9. Il est constant que Mme A... a formé, le 20 juillet 2021, devant la commission de recours, son recours contre la décision des autorités consulaires portant refus de délivrance des visas sollicités pour ses deux enfants. Ce recours doit être regardé comme constituant l'évènement établissant que Mme A... a eu connaissance de la décision de refus et marque le point de départ du délai raisonnable d'un an, dans lequel elle pouvait saisir la commission de recours, conformément à la règle énoncée au point 6 du présent arrêt. Ce délai n'était pas expiré le 22 juillet suivant, date à laquelle la commission de recours a accusé réception du recours de Mme A..., qui conformément à l'article D. 211-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a conservé les délais de recours contentieux. Les délais pour contester la décision implicite de rejet née, le 22 septembre 2021, du silence gardé par la commission pendant plus de deux mois sur le recours formé par Mme A... n'étaient pas davantage expirés, le 22 octobre 2021, date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif de Nantes des demandes présentées par M. C... et par Mme A... tendant à l'annulation de cette décision. Leurs demandes n'étaient donc pas tardives. Dès lors, M. C... et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes comme irrecevables. Par suite, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit être annulé.

10. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. C... et par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.

Sur la légalité de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

12. D'une part, l'accusé de réception du recours formé par Mme A... devant la commission de recours ne précise pas que la commission s'approprie les motifs de la décision des autorités consulaires. D'autre part, les requérants n'établissent pas ni même n'allèguent avoir sollicité la communication des motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".

14. Il ressort du mémoire en défense produit en première instance par le ministre de l'intérieur que la commission a rejeté le recours de Mme A... au motif qu'il n'avait pas été produit de jugement de délégation de l'exercice de l'autorité parentale du père des enfants, ni son autorisation de les laisser venir en France. Mme A... ne conteste pas la légalité du motif qui lui a ainsi été opposé par la commission, mais soutient qu'à la date de la décision contestée, elle était séparée depuis onze ans de ses enfants, G... C... et B... D..., âgés respectivement de 19 et 17 ans, que ces derniers ont été élevés par leur grand-mère maternelle et que le refus de leur délivrer des visas de long séjour au titre de la réunification familiale méconnaît son droit à mener une vie familiale normale. Cependant, les intéressés, qui vivent séparés de leur mère depuis qu'ils sont âgés de 7 ans et 5 ans, ne sont pas dépourvus d'attaches personnelles et familiales en République Démocratique du Congo dans lequel ils ont grandi et où vit, notamment, leur père qui, à la date de la décision contestée, n'avait pas délégué à Mme A... l'exercice de l'autorité parentale sur le jeune B..., encore mineur. Au demeurant, il n'avait pas non plus délégué son autorité parentale sur M. C... lorsque celui-ci était mineur. S'il est produit un jugement du 1er novembre 2021 du tribunal pour enfants de E.../F... prononçant à cette date la déchéance de l'autorité parentale du père des enfants au motif qu'il se trouve dans l'incapacité d'assurer les besoins vitaux de ces derniers, cette décision de justice est postérieure à la décision contestée. Dans ces circonstances, quand bien même Mme A... est insérée professionnellement en France où elle exerce la profession d'aide-soignante et ne peut, compte tenu de sa qualité de réfugiée, retourner dans son pays, les refus de visas opposés à ses enfants7 n'ont pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts de cette mesure. Par suite le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

15. En troisième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A... doit être écarté, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... et Mme A... ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C... et Mme A... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... et Mme A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1 : Le jugement du 23 mai 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par M. C... et Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de Mme A... et de M. C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H..., à M. B... D..., à M. G... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLe greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02164


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02164
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : ACHELI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-12;22nt02164 ?
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