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09/04/2024 | FRANCE | N°23NT03218

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 09 avril 2024, 23NT03218


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... J... E..., Mme H... E..., M. A... E..., Mme I... E..., ainsi que M. G... E..., et Mme D... B... épouse E..., agissant en leur nom propre et, pour ces deux derniers, également en leur qualité de représentants légaux de l'enfant F... C... E..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre une décision des

autorités consulaires françaises à Téhéran (République islamique d'Iran) refusant de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... J... E..., Mme H... E..., M. A... E..., Mme I... E..., ainsi que M. G... E..., et Mme D... B... épouse E..., agissant en leur nom propre et, pour ces deux derniers, également en leur qualité de représentants légaux de l'enfant F... C... E..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Téhéran (République islamique d'Iran) refusant de leur délivrer un visa de long séjour au titre de l'asile.

Par un jugement n° 2304643 du 16 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 novembre 2023, M. A... E..., agissant en son nom propre et pour M. F... J... E..., Mme H... E..., Mme I... E..., ainsi que pour M. G... E..., Mme D... B... épouse E..., agissant en leur nom propre et, pour ces deux derniers, également en leur qualité de représentants légaux de l'enfant F... C... E..., représentés par Me Guilbaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 octobre 2023 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, au ministre de l'intérieur de faire délivrer les visas sollicités ou, à titre subsidiaire, de réexaminer leurs demandes de visas de long séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; ils encourent des risques en cas de retour en Afghanistan ; ils risquent de faire l'objet d'une mesure d'expulsion de la part des autorités iraniennes à destination de leur pays d'origine ; leur visas iraniens sont désormais expirés et leur renouvellement implique de retourner en Afghanistan ; ils vivent dans ce pays sans autorisation de séjour, sans avoir accès au travail ou à un compte bancaire et sans droit à une scolarisation pour leur enfant ; certains membres de la famille ont été victime d'agression et leur état de santé se dégrade ; l'agence des nations unies pour les réfugiés (HCR) n'enregistre aucune demande de protection et ne prévoit aucune aide pour les ressortissants afghans en Iran ; les autorités iraniennes intensifient les expulsions des afghans vers leur pays d'origine ;

- l'avis défavorable émis par la direction asile du ministère de l'intérieur ne leur a pas été communiqué ;

- cette décision porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils ne disposent d'aucun moyen de subsistance en Iran et dépendent financièrement de leur fils vivant en France ; leur fils ainé réside en France depuis de nombreuses années avec son épouse et leur fils ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E... et autres ne sont pas fondés et s'en rapporte à ses écritures et aux pièces produites en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- et les observations de Me Guilbaud, représentant les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... E..., qui a acquis la nationalité française, agissant pour M. F... J... E..., Mme H... E..., Mme I... E..., M. G... E..., Mme D... B... épouse E..., et leurs fils F... C... E..., respectivement ses parents, sa sœur et la famille de son frère, ressortissants afghans, relève appel du jugement du 16 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur recours dirigé contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant leur demande de visa de long séjour au titre de l'asile.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier, que par un courriel en date du 14 février 2022 adressé aux autorités consulaires françaises à Téhéran, par l'intermédiaire de leur conseil, la famille E... a souhaité déposer une demande de visa de long séjour. Par une ordonnance du 17 mai 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a pris acte du fait que le ministre de l'intérieur avait indiqué, postérieurement à la saisine du tribunal, que la famille était convoquée devant les autorités consulaires françaises à Téhéran le 7 juillet 2022. Par un courriel du 10 juin 2022, le conseil des intéressés a transmis des documents à l'appui de cette demande. Le 28 juin 2022, les autorités consulaires françaises à Téhéran ont indiqué avoir bien reçu les documents envoyés " pour le dossier de demande de visa au titre de l'asile de la famille E... ". Par un courriel du 29 juillet 2022, le conseil des intéressés a sollicité la suite réservée à leur demande à l'issue du rendez-vous du 7 juillet 2022. Devant le tribunal administratif, le ministre a fait valoir qu'à l'issue de cet entretien, qualifié par lui de " préalable au traitement de leur demande de visas ", les intéressés n'ont pas acquitté les droits de visa requis. Il a produit en outre une réponse, non datée et dont le destinataire n'apparait pas, indiquant que la direction de l'asile avait bien pris note des informations relatives à " la demande de visas " litigieuse mais qu'il ne souhaitait pas réserver une suite favorable à cette demande. Par un recours reçu le 30 janvier 2023, M. et Mme E... ont saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'une contestation du refus de visa de long séjour dont ils s'estimaient détenteurs. Un accusé de réception de ce recours, précisant qu'en l'absence de réponse dans un délai de deux mois ce recours était réputé rejeté, leur a été adressé le 13 février 2023. Dans ces conditions, et compte tenu de l'ensemble des démarches accomplies par la famille E... et de leur volonté manifeste de solliciter des visas de long séjour au titre de l'asile, le ministre n'est pas fondé à soutenir que les intéressés n'auraient pas déposés de demande de visa de long séjour, même incomplète, et ne se seraient pas vu opposer un refus à cette demande.

3. Aux termes du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". Si le droit constitutionnel d'asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit fondamental reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n'emportent aucun droit à la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Dans les cas où l'administration peut légalement disposer d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures. Tel est le cas s'agissant des visas que les autorités françaises peuvent décider de délivrer afin d'admettre un étranger en France au titre de l'asile. Si un demandeur de visa ne peut se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision refusant de lui délivrer un visa de long séjour en vue de déposer une demande d'asile en France, il peut soutenir que cette décision, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour l'instruction des demandes de visas présentées au titre de l'asile, l'administration a défini des orientations générales selon lesquelles les services consulaires doivent instruire les demandes et décider, s'il y a ou non, lieu de délivrer les visas sollicités au vu de critères relatifs non seulement à l'éligibilité des demandeurs au bénéfice du statut de réfugié mais aussi à l'existence de difficultés caractérisées dans le pays tiers qui les a accueillis ainsi qu'aux spécificités de leur situation personnelle.

6. Il ressort des pièces du dossier que les visas délivrés par l'ambassade de la République islamique d'Iran à Kaboul, le 27 novembre 2021, à M. F... J... E..., Mme H... E..., Mme I... E..., M. G... E..., Mme D... B... E..., et à leurs fils F... C... E..., sont expirés depuis le 24 février 2022, soit plus de 13 mois avant que n'intervienne, le 30 mars 2023, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en litige. A cette même date, la validité des passeports délivrés par les autorités afghanes à M. G... E..., à son épouse, Mme D... B... E... et à leurs fils, F... C... E..., était également arrivée à expiration depuis les 20 janvier 2023 et 4 avril 2022. Il n'est pas contesté que pour obtenir le renouvellement de leurs visas et passeports, les intéressés doivent retourner dans leur pays d'origine et que, par ailleurs, ils se trouvent en situation irrégulière en Iran, où ils risquent à tout moment d'être expulsés vers l'Afghanistan. Or, il ressort des pièces du dossier que M. F... J... E... occupait un poste à responsabilité au sein d'un ministère afghan avant l'arrivée au pouvoir des talibans au cours du mois d'août 2021, que son épouse a suivi un cursus scolaire lui permettant d'exercer une activité professionnelle et que leur fille suivait une formation pour devenir journaliste et intervenait au sein d'une organisation humanitaire. Dans ces conditions, et alors même qu'ils auraient déclarés aux autorités consulaires françaises à Téhéran ne pas avoir été menacés, avant leur départ, à titre personnel par les talibans, les requérants doivent être regardés comme établissant qu'ils encourent un risque réel de persécutions en cas de retour dans leur pays d'origine. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les consorts E... sont fondés à soutenir que la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... E... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

8. Le présent arrêt implique que des visas de long séjour soient délivrés à M. F... J... E..., Mme H... E..., Mme I... E..., M. G... E..., Mme D... B... E..., et à leurs fils F... C... E.... Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de leur délivrer de tels visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... E... d'une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2304643 du 16 octobre 2023 du tribunal administratif de Nantes ainsi que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer un visa de long séjour à M. F... J... E..., Mme H... E..., Mme I... E..., M. G... E..., Mme D... B... E..., et à leurs fils F... C... E..., sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer un visa de long séjour à M. F... J... E..., Mme H... E..., Mme I... E..., M. G... E..., Mme D... B... E..., et à leurs fils F... C... E..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... E... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 22 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03218


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03218
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : GUILBAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;23nt03218 ?
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