Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 18 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 février 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer aux enfants B... A... et H... F... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2207927 du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 juin 2023, Mme D..., représentée par Me Pereira, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet du 18 mai 2022 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Elle soutient que :
- l'identité et le lien de filiation sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques ; aucune volonté de fraude ne saurait lui être opposée ni au père des enfants ;
- la demande de réunification familiale ne concerne pas le père de ses enfants, à qui elle a été mariée de force à l'âge de 14 ans, dès lors que ce dernier, polygame, a une vie familiale propre en Côte d'Ivoire et que le couple est séparé depuis de nombreuses années ; il est dans l'intérêt des deux enfants de rejoindre leur mère en France compte tenu des risques d'excision auxquels est exposée la jeune B... et de la nécessité de ne pas la séparer de son jeune frère Aboubacar ;
- elle justifie du consentement du père des deux enfants à ce qu'ils rejoignent leur mère en France ;
- la réunification familiale est urgente car B... encourt réellement le risque d'excision et peut craindre pour son intégrité physique ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'a pas produit de mémoire.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport I... Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante ivoirienne, a été admise au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 3 mai 2021. Des demandes de visa ont été déposées pour ses deux enfants, B... A... et H... F.... Par un jugement du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande I... D... tendant à l'annulation de la décision implicite née le 18 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 février 2022 des autorités consulaires françaises à Abidjan rejetant ces demandes de visa de long séjour. Mme D... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article R. 561-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles (...) L. 434-3 à L. 434-5 (..) sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement ". Aux termes de l'article L. 434-1 du même code, rendu applicable aux membres de la famille d'un réfugié et du bénéficiaire de la protection subsidiaire : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Il résulte de ces dispositions que la réunification doit concerner, en principe, l'ensemble de la famille du ressortissant étranger qui demande à en bénéficier et qu'une réunification partielle ne peut être autorisée à titre dérogatoire que si l'intérêt des enfants le justifie.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux " et aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
5. Pour rejeter les demandes de visas en cause, la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés de l'absence de jugement de délégation de l'autorité parentale et du caractère partiel de la réunification familiale.
6. En premier lieu, Mme D... justifie de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale sur ses enfants, C... A... et H... F..., lesquels ont été en outre autorisés par leur père à venir la rejoindre en France. Il s'ensuit que c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours dont elle était saisie, sur le motif tiré de ce que Mme D... ne justifiait pas d'une délégation de l'autorité parentale.
7. En second lieu, d'une part, il est constant que la demande de réunification familiale concerne les deux enfants cadets I... Mme D... restés en Côte d'Ivoire, à l'exclusion du père des enfants auxquels ils ont été confiés. Mme D... allègue, toutefois, sans être contredite sur ces points par le ministre, que le père des enfants auquel elle a été mariée religieusement de force à l'âge de 14 ans, raisons pour lesquelles l'OFPRA n'a pas pris en compte ce mariage, est polygame et qu'elle est séparée de ce dernier depuis de nombreuses années. D'autre part,
Mme D..., qui a subi elle-même une excision, se prévaut du risque d'excision auquel est exposée sa fille cadette, la jeune B... A... qui, bien que confiée et cachée par son père qui est opposé à cette pratique, continue de courir des risques du fait de la forte pression émanant des
grands-parents paternels qui, sans le consentement de leur fils, auraient fait exciser deux autres de ses filles nées d'un autre lit et décédées des suites de cette intervention. Il ressort, également, des pièces du dossier que Mme D... et sa fille aînée, la jeune E... F..., se sont vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire du fait des craintes, qui ont été tenues pour établies par l'OFPRA, I... D... de se voir infliger une seconde excision en représailles de son refus de soumettre ses filles à l'excision et de l'action de sensibilisation qu'elle a mené dans son village contre cette pratique ainsi que du risque d'excision encouru par sa fille. Enfin, il est de l'intérêt du fils I... D..., H... F..., de rejoindre sa mère et sa sœur aînée pour reconstituer en France la fratrie. Dans ces conditions, il est dans l'intérêt des trois enfants I... D... de résider avec leur mère, alors même que le père n'a pas présenté de demande de visa. Il s'ensuit que c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours dont elle était saisie, sur le motif tiré du caractère partiel de la réunification familiale.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés aux enfants B... A... et H... F.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros hors taxe à Me Pereira dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 6 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite du 18 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour les enfants B... A... et H... F... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux enfants B... A... et H... F... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Pereira une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête I... D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23NT01759