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29/03/2024 | FRANCE | N°22NT03892

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 29 mars 2024, 22NT03892


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 décembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Beyrouth (Liban) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour en France.



Par un jugement n° 2201655 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annu

lé la décision du 8 décembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 décembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Beyrouth (Liban) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour en France.

Par un jugement n° 2201655 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 8 décembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un visa d'entrée et de court séjour à M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 décembre 2022, 10 janvier 2023 et 2 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- les premiers juges n'étaient pas compétents pour connaître de la décision contestée qui n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France et qui échappe à tout contrôle juridictionnel ;

- M. B..., du fait de ses activités professionnelles et des circuits financiers qu'il a mis en place, participe à la pérennisation d'un système de corruption et de paralysie des institutions libanaises ; il constitue une menace pour les relations internationales de la France.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 mars 2023 et 20 juin 2023, M. B..., représenté par Me Dreyfus-Schmidt, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour dès la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la commission de recours n'est pas une autorité habilitée à prendre des actes de gouvernement et ses décisions ne sauraient dès lors recevoir cette qualification ; le refus de visa qui lui a été opposé est un acte détachable des relations internationales ;

- le refus de visa n'est étayé par aucun élément précis et circonstancié susceptible d'établir matériellement l'existence d'une menace pour les relations internationales de la France ;

- la décision de la commission de recours est insuffisamment motivée ;

- cette décision est dépourvue de base légale dès lors que ni l'article 25 du règlement CE 810/2009 du 13 juillet 2009 ni l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient la possibilité de refuser un visa pour menace pour les relations internationales d'un Etat membre ;

- la décision de la commission de recours entrave de manière manifestement excessive sa liberté de circulation et le libre exercice de sa profession d'..., garanti par l'article 2 du protocole n° 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 15 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;

- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (code des visas) ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Montes-Derouet,

- et les observations de Me Audéon, se substituant à Me Dreyfus-Schmidt, pour

M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant libanais, a demandé la délivrance d'un visa d'entrée et de court séjour en France, portant la mention tourisme. Par une décision du 11 août 2021, les autorités consulaires françaises à Beyrouth (Liban) ont refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision du 8 décembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. B... contre la décision des autorités consulaires. Par un jugement du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 8 décembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un visa d'entrée et de court séjour à M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Beyrouth refusant de délivrer un visa d'entrée et de court séjour à M. B... constitue une décision administrative dont il appartient au juge administratif de connaître par la voie du recours pour excès de pouvoir, et non, comme l'allègue le ministre, un acte qui ne serait pas détachable de la conduite des relations diplomatiques de la France échappant, à ce titre, à tout contrôle juridictionnel. Il s'ensuit qu'en se reconnaissant compétent pour connaître de la demande de M. B... dirigée contre la décision de la commission de recours lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de court séjour, le tribunal administratif de Nantes n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 21 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 : " 1. Lors de l'examen d'une demande de visa (...) une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale ou du risque pour la sécurité des États membres que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d'expiration du visa demandé (...) ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. Sans préjudice de l'article 25, paragraphe 1, le visa est refusé : / a) si le demandeur : (...) / vi) est considéré comme constituant une menace pour l'ordre public, la sécurité intérieure ou la santé publique, au sens de l'article 2, point 19, du code frontières Schengen, ou pour les relations internationales de l'un des Etats membres, et, en particulier, qu'il a fait l'objet, pour ces mêmes motifs, d'un signalement dans les bases de données nationales des Etats membres aux fins de

non-admission (...) ".

4. Pour rejeter la demande de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que : " M. A... B..., qui a fait l'objet d'un refus sécuritaire par un membre de l'Union européenne, ne peut utilement en l'état du dossier, solliciter un visa d'entrée dans l'espace Schengen. ". Toutefois, le ministre de l'intérieur qui a admis en première instance que ce motif était erroné, a sollicité devant les premiers juges comme devant la cour qu'un autre motif lui soit substitué tiré de ce que " par ses activités et les réseaux qu'il a mis en place ", l'intéressé " participe à la fragilisation de l'Etat libanais et constitue une menace pour les relations internationales de la France ".

5. Le ministre de l'intérieur qui rappelle que, depuis 2019, le Liban traverse " une crise économique et politique majeure et que " l'état du climat des affaires constitue l'une des entraves au relèvement socio-économique du pays ", soutient que M. B..., qui est ... et a exercé les fonctions de ... au sein du ministère des télécommunications, du ministère de l'énergie, puis du ..., " participe à un réseau de corruption politico-financier " en ce qu'il a perçu, dans le cadre de ses fonctions, " des commissions lors de la conclusion de certains contrats publics ", en ce qu'il est " impliqué dans un certain nombre de montages financiers notamment en dehors du Liban qui ont permis de capter des fonds de la diaspora libanaise ", et en ce qu'il a servi " de prête nom de manière irrégulière dans des activités financières au profit de mouvements ou de personnalités contribuant à la dégradation du climat des affaires au Liban ", notamment en participant à la gestion de plusieurs sociétés impliquées dans le financement illégal de partis politiques libanais. Il n'apporte, toutefois, pas de précision à l'appui de ses allégations, qui ne sont corroborées par aucun document tel qu'une note blanche dont l'existence n'est même pas alléguée par le ministre, et qui sont contestées par M. B... qui fait valoir, dans ses écritures en défense auxquelles le ministre n'a pas répliqué, qu'il n'a pas exercé les fonctions de ... auprès du ministre des affaires étrangères, qu'il n'a exercé de telles fonctions de ... qu'auprès du ministre de l'énergie ..., que le seul contrat public ... dont fait état le ministre a été annulé par le ministère libanais des communications deux semaines après sa conclusion et qu'il n'a fait l'objet d'aucune condamnation, ni de poursuites au Liban ni dans aucun pays, ni de mesure d'éloignement ou de signalement aux fins de non-admission dans l'espace Schengen. Par suite, en se fondant, pour refuser de délivrer le visa sollicité, sur le motif tiré de ce que l'intéressé participe à la fragilisation de l'Etat libanais et constitue une menace pour les relations internationales de la France, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 8 décembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer à M. B... le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Si M. B... demande qu'un visa de court séjour lui soit délivré, une injonction en ce sens a déjà été prononcée par le jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 octobre 2022 qui n'est pas annulé, sur ce point, par le présent arrêt. Ces conclusions sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2024.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03892


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03892
Date de la décision : 29/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CDS AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-29;22nt03892 ?
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