Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 février 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique formé le 1er juillet 2019 à l'encontre de la décision du 2 mai 2019 par laquelle le préfet de la Corrèze a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 1914424 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mars 2022, Mme B..., représentée par Me Lacroix, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 20 février 2020 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer sa demande de naturalisation dans un délai de six mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'est pas établi qu'il comporterait l'ensemble des signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant de ses ressources ;
- l'absence de prise en compte des revenus tirés de l'allocation adulte handicapé constitue une discrimination à raison de son handicap ;
- elle remplit toutes les autres conditions de naturalisation fixées par les articles 21-14 et suivants du code civil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'il n'est pas établi que le handicap de Mme B... est incompatible avec l'exercice d'une activité professionnelle et soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante arménienne née le 16 juillet 1978, a déposé une demande de naturalisation le 21 février 2018. Par une décision du 2 mai 2019, le préfet de la Corrèze a décidé d'ajourner cette demande à deux ans, en raison du caractère incomplet de son insertion professionnelle. Mme B... relève appel du jugement du 25 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 février 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté le recours hiérarchique formé contre la décision du préfet.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " Il ressort des pièces de la procédure que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures requises par les dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'une irrégularité, faute d'être revêtu des signatures du président, du rapporteur et du greffier, doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 27 de la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée selon les modalités prévues à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. " Aux termes de ce dernier article : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " La décision contestée du ministre de l'intérieur du 20 février 2020, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde est suffisamment motivée, alors même qu'elle ne mentionne pas l'ensemble des éléments de fait caractérisant la situation de Mme B.... Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.
4. En deuxième lieu, il ne ressort ni de la décision contestée qui, ainsi qu'il vient d'être dit est suffisamment motivée, ni des autres pièces du dossier que le ministre de l'intérieur et des outre-mer aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen particulier de la situation individuelle de la postulante.
5. En troisième lieu, l'article 44 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, dans sa rédaction applicable, dispose : " Si le préfet compétent à raison de la résidence du demandeur ou, à Paris, le préfet de police estime, même si la demande est recevable, qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. / Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient au demandeur, s'il le juge opportun, de formuler une nouvelle demande (...). " Aux termes de l'article 45 du même décret : " Dans les deux mois suivant leur notification, les décisions prises en application des articles 43 et 44 peuvent faire l'objet d'un recours auprès du ministre chargé des naturalisations, à l'exclusion de tout autre recours administratif. / Ce recours, pour lequel le demandeur peut se faire assister ou être représenté par toute personne de son choix, doit exposer les raisons pour lesquelles le réexamen de la demande est sollicité. Il constitue un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier (...). " Aux termes de l'article 48 de ce décret : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande. "
6. Pour ajourner à deux ans la demande de Mme B..., le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressée n'avait pas pleinement réalisé son insertion professionnelle, dès lors qu'elle était dépourvue de ressources personnelles stables et suffisantes.
7. L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France. Pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, l'autorité administrative ne peut se fonder ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni, par suite, sur l'insuffisance des ressources de l'intéressé lorsqu'elle résulte directement d'une maladie ou d'un handicap.
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est employée depuis le mois de septembre 2013 à temps non complet par la commune de Brive-la-Gaillarde en qualité d'adjoint d'animation territorial contractuel dans le cadre de contrat d'engagement à durée déterminée pour accroissement temporaire d'activité. Selon ses propres déclarations, elle ne tirait, à la date de la décision contestée, de cette activité exercée à raison seulement de 3,5 heures hebdomadaires, que des revenus mensuels de 122,77 euros. Il ressort également des pièces du dossier que l'essentiel de ses revenus provient de prestations sociales non contributives, notamment l'allocation pour adulte handicapé, l'aide personnalisée au logement et des allocations familiales, d'un montant de 1 358,54 euros au mois de mai 2019, et 1 601,42 euros au mois de novembre 2020, compte tenu du versement de la prime de solidarité active d'un montant de 200 euros.
9. Mme B... fait valoir que, conformément à une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de Corrèze du 7 mars 2019, la qualité de travailleur handicapé lui est reconnue, dès lors qu'elle est affectée d'un handicap réduisant sa capacité de travail, un taux d'incapacité supérieur ou égal à 50 % ou inférieur à 80 % lui ayant d'ailleurs été ultérieurement reconnu par décision de la même commission du 24 février 2000. Toutefois, alors qu'elle bénéficie de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés mentionnée à l'article L. 5212-3 du code du travail, instituée afin de lui permettre d'exercer une activité professionnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas davantage allégué que Mme B... serait, en raison de son handicap, dans l'incapacité d'occuper un emploi présentant une quotité de travail supérieure à celle dont elle se prévaut. Ainsi, il ne résulte pas des pièces du dossier que l'insuffisance des ressources de l'intéressée résulte directement de son handicap.
10. Au regard des éléments mentionnés aux points 8 et 9 du présent arrêt, c'est sans erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation que le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui dispose d'un large pouvoir d'appréciation de l'opportunité d'accorder ou non la nationalité française à l'étranger qui la sollicite, a ajourné à deux ans la demande de naturalisation de Mme B... pour les motifs mentionnés au point 6 du présent arrêt.
11. Eu égard aux motifs de la décision contestée, Mme B... ne saurait utilement soutenir qu'elle remplit les autres critères de la naturalisation définis aux articles 21-14 et suivants du code civil.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de Mme B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme B... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de Mme B... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
I. MONTES-DEROUET
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00906