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12/03/2024 | FRANCE | N°23NT02847

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 12 mars 2024, 23NT02847


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... E... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal F... C..., ainsi que Mme A... D... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision du 17 août 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 26 février 2022 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme A... D

... C... et à F... C... des visas de long séjour au titre de la réunification fa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal F... C..., ainsi que Mme A... D... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision du 17 août 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 26 février 2022 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme A... D... C... et à F... C... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de leur délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer leurs demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ; enfin, de mettre à la charge de l'Etat, à titre principal, une somme de 1 440 euros à verser à leur conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 440 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2213890 du 24 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 17 août 2022 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A... D... C... et à M. F... C... les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... et par Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que le réunifiant présente une menace pour l'ordre public, la consultation du fichier Traitements d'antécédents judiciaires (TAJ) révélant qu'il a commis des faits de violence sur une personne à laquelle il était lié par un P.A.C.S et que l'administration peut refuser le bénéfice de la réunification familiale lorsqu'il apparait que l'étranger placé sous la protection de l'OFPRA ne se conforme pas aux principes essentiels régissant la vie familiale en France.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2023, M. C... et Mme C..., représentées par Me Pronost, concluent au rejet de la requête, à défaut de délivrance des visas de condamner l'Etat à une astreinte de 100 euros par jour de retard, à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des

outre-mer n'est fondé et avancent :

- que le document versé par le ministre ne permet pas d'identifier l'agent instructeur de la préfecture de l'Oise ayant consulté le TAJ, ni de savoir s'il était habilité ;

- il n'a pas été condamné en tant qu'auteur de violences, son casier judiciaire B2 étant vierge ;

- il respecte les valeurs de la France et est adhérent à la Croix Rouge.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Le Floch, représentant Mme et M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant guinéen né le 3 décembre 1997, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 21 mars 2019. Mme A... D... C..., ressortissante guinéenne née le 1er janvier 1999, qu'il présente comme son épouse, ainsi que F... C..., ressortissant guinéen né le 2 janvier 2013, qu'il présente comme son fils, ont déposé des demandes de visas de long séjour au titre de la réunification familiale auprès des autorités consulaires françaises à Conakry. Par une décision du 26 février 2022, ces autorités ont refusé de leur délivrer les visas sollicités. Par une décision du 17 août 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire.

2. M. et Mme C... ont, le 21 octobre 2022, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision du 17 août 2022. Par un jugement du 24 juillet 2023, cette juridiction a annulé la décision du 17 août 2022 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme C... et à M. F... C... les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".

4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

6. Pour rejeter la demande de visa de long séjour présentée par Mme C... et par M. F... C..., la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que M. B... E... C... ne se conforme pas aux principes essentiels régissant la vie familiale en France établis par les lois de la République, la réunification familiale ayant été rompue par l'intéressé qui a constitué une nouvelle cellule familiale, d'autre part, de ce que le lien familial entre Mme C... et par M. F... C... ne correspond pas à l'un des cas lui permettant d'obtenir un visa dans le cadre de la procédure de réunification familiale en qualité de membre de famille de réfugié, enfin, et au surplus, de ce que les actes de naissance produits par les demandeurs de visa ne sont pas conformes à la législation locale et n'ont donc pas de valeur probante.

7. En s'appuyant sur l'examen des différentes pièces versées au dossier et des dispositions des articles 175, 187 et 188 du code civil guinéen, le tribunal a jugé que la commission de recours avait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en refusant de délivrer les visas sollicités en opposant, d'abord, le motif tiré de ce que la délivrance du visa sollicité à Mme C... conduirait M. C... à vivre en France en situation de polygamie, ensuite, le motif tiré de ce que les actes de naissance des demandeurs de visa seraient dépourvus de toute valeur probante, enfin, celui tiré de ce que le lien familial des demandeurs de visas ne correspondait pas à l'un des cas leur permettant d'obtenir des visas dans le cadre de la procédure de réunification familiale. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer, en appel, ne conteste pas cette appréciation portée par le tribunal sur ces différents motifs mais soutient que la décision contestée peut être fondée sur un autre motif, tiré de ce que le réunifiant, " étant connu des services de police pour violences conjugales ", représente une menace pour l'ordre public et que l'administration peut refuser le bénéfice de la réunification familiale lorsqu'il apparait que l'étranger placé sous la protection de l'OFPRA ne se conforme pas aux principes essentiels régissant la vie familiale en France.

8. L'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. Le ministre de l'intérieur, qui doit être regardé comme sollicitant de la cour une substitution de motifs soutient, en premier lieu, que M. C... " perpétue un mécanisme social de violence envers les femmes " et avance qu'il serait expulsable au regard des dispositions de l'article 32 de la convention de Genève. Le moyen ne peut être utilement invoqué dès lors que les mesures litigieuses n'ont pas pour objet d'éloigner M. C... ni de lui retirer les droits afférents à son statut mais d'opposer un refus de visa à sa compagne et à leur fils. Il doit donc être écarté.

10. Le ministre de l'intérieur soutient, en second lieu, qu'en application de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la réunification familiale est refusée au demandeur qui ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France et indique que M. C... est " connu pour des faits, en date du 18 mars 2021, de violence conjugale suivie d'une incapacité n'excédant pas 8 jours, en présence d'un mineur ". A cette fin, le ministre verse aux débats un courriel du 19 janvier 2022 émanant d'un agent de la préfecture de l'Oise qui indique que la consultation du fichier dénommé " traitement des antécédents judiciaires " (TAJ) fait apparaître les faits ainsi rapportés. En défense, M. C..., quant à lui, reconnait seulement " qu'il a eu une dispute avec la mère de son enfant né en France, que les services de police ont été appelés par les voisins, et qu'il a été entendu à cette occasion, tout comme la mère de son enfant ". Il ressort du courriel du 19 janvier 2022 déjà cité que M. C... est inconnu du FPR (fichier des personnes recherchées), que le volet n°2 de son casier judiciaire est vierge et que, par ailleurs, il suffit d'avoir été entendu par les services de police pour qu'une inscription soit portée au fichier " traitement des antécédents judiciaires ". En l'absence de tout autre élément apporté par l'administration, la seule mention figurant à ce fichier dont se prévaut le ministre de l'intérieur ne saurait suffire à établir la matérialité des faits susceptibles de caractériser la menace à l'ordre public que constituerait l'intéressé. Il s'ensuit que la substitution de base légale demandée par le ministre de l'intérieur ne peut être accueillie.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 17 août 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant à Mme C... la délivrance de visas de long séjour pour elle-même et pour son fils.

Sur les conclusions de M. B... E... C... et de Mme A... D... C... à fin d'injonction sous astreinte :

12. Il ressort de l'article 2 du jugement attaqué qu'il a été enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme A... D... C... et à F... C... les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision sans que soit prononcée une astreinte. Les conclusions identiques réitérées en appel par les intimés sont ainsi dépourvues d'objet.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat qui succombe dans la présente espèce le versement à Mme et M. C... de la somme de 1200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 1200 euros à Mme et M. C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... E... C... et à Mme A... D... C....

Délibéré après l'audience du 16 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02847
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : PRONOST

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;23nt02847 ?
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