Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités roumaines, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2301243 du 13 février 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 13 avril, 24 août 2023 et 25 janvier 2024, Mme C... A..., représentée par Me Thullier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 février 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché de plusieurs informations erronées et de contradictions, démontrant que sa situation pas été sérieusement examinée ;
- ce jugement est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle et en particulier de sa vulnérabilité et des risques qu'elle encourt en cas de retour en Ethiopie ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision méconnaît les stipulations des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
Vu les pièces communiquées le 21 août 2023 par le préfet de Maine-et-Loire, indiquant que Mme C... A... est en fuite.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2024, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... A... ne sont pas fondés.
Mme C... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les observations de Me Thullier, représentant Mme C... A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., ressortissante éthiopienne, relève appel du jugement du 13 février 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 janvier 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités roumaines, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités roumaines :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, auquel renvoie l'article 3.2 du règlement du 26 juin 2013 : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "
3. Il ressort des pièces du dossier que les autorités roumaines ont indiqué le 21 décembre 2022 que la demande d'asile présentée le 20 août 2022 par Mme C... A... avait été rejetée le 21 octobre 2022 " dans sa phase administrative " et que cette décision, qui n'a pas été contestée par l'intéressée, est définitive. La requérante soutient avoir été contrainte de déposer le même jour ses empreintes digitales, puis une demande d'asile en Roumanie, ce que confirment les mentions du fichier Eurodac, sans qu'aucune information ne lui soit donnée sur ses droits dans une langue comprise par elle et sans avoir la possibilité d'expliquer sa situation personnelle et les raisons pour lesquelles elle a quitté son pays d'origine. Par ailleurs, si l'intéressée indique qu'elle a la nationalité éthiopienne mais appartient à l'ethnie Oromo et a toujours résidé dans la région Oromia située au centre de l'Ethiopie, il ressort du résumé de l'entretien individuel dont elle a bénéficié le 12 décembre 2022 à la préfecture de police de Paris, que Mme C... A... était assistée d'un interprète en langue oromo, ce qui semble confirmer la réalité de ses allégations quant à ses origines. Dans un arrêt rendu le 12 juillet 2023, la cour nationale du droit d'asile a rappelé la recrudescence d'incidents sécuritaires impliquant directement des civils dans l'ouest de l'Oromia avant de conclure que cette région connaissait " une situation de violence aveugle d'une intensité exceptionnelle résultant d'une situation d'un conflit armé interne au sens des dispositions du 3° de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la requérante doit être regardée comme établissant qu'en cas de transfert en Roumanie elle encourt un risque réel d'être renvoyée dans son pays d'origine et d'y subir des traitements inhumains et dégradants. Par suite, l'intéressée est fondée à soutenir que, dans les circonstances très particulières de l'espèce, la décision contestée méconnaît les stipulations précitées des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
4. Il résulte de ce qui précède que Mme C... A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Compte tenu du motif d'annulation retenu, l'exécution de l'arrêt implique qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire, de délivrer à Mme C... A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme C... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la condition de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Thullier, avocate de la requérante, d'une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2301243 du 13 février 2023 du tribunal administratif de Nantes ainsi que l'arrêté du 4 janvier 2023 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert de Mme C... A... auprès des autorités roumaines sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à Mme C... A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à Me Thullier, conseil de Mme C... A... la somme de 1 000 euros hors taxes en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 16 février 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01094