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12/03/2024 | FRANCE | N°22NT02385

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 12 mars 2024, 22NT02385


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'ambassade de France au Cameroun du 11 août 2021 refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'étudiant.



Par un jugement n° 2109619 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette déci

sion et a enjoint au ministre de faire délivrer à M. D... le visa sollicité dans un délai de deux moi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'ambassade de France au Cameroun du 11 août 2021 refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'étudiant.

Par un jugement n° 2109619 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de faire délivrer à M. D... le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous réserve qu'il bénéficie d'une inscription pour la prochaine année universitaire.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistré le 26 juillet 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la décision censurée s'est substituée une décision explicite de rejet de la commission du 5 novembre 2021 ;

- la décision est fondée dès lors que l'intéressé ne disposait pas des ressources suffisantes et que la cohérence de son parcours universitaire n'est pas établie.

La requête a été communiquée à M. D..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que, en s'abstenant de rediriger les conclusions de la demande de première instance vers la décision du 5 novembre 2021, et en annulant la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, alors que cette décision avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique, le tribunal administratif de Nantes a entaché son jugement d'une irrégularité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2008-1176 du 13 novembre 2008 ;

- l'instruction INTV1915014J du 4 juillet 2019 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant camerounais né le 18 mars 1999, a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en qualité d'étudiant auprès de l'ambassade de France au Cameroun, laquelle a rejeté sa demande par une décision du 11 août 2021. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été implicitement rejeté par une décision née le 27 octobre 2021. Puis, par une décision explicite du 5 novembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté le recours de M. D.... Par un jugement du 7 juin 2022, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision implicite et a enjoint au ministre de faire délivrer à M. D... le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous réserve qu'il bénéficie d'une inscription pour la prochaine année universitaire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde.

3. Il en résulte que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. D... dans sa demande de première instance, regardées comme dirigées contre la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision consulaire, devaient être regardées comme dirigées contre la décision du 5 novembre 2021, mentionnée par le ministre dans ses écritures, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a explicitement rejeté ce recours. Or le tribunal a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, alors que celle-ci avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique. Il s'ensuit que le tribunal s'est mépris sur la portée des conclusions dont il était saisi et a ainsi entaché son jugement d'irrégularité. Le jugement doit par suite être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 5 novembre 2021 :

5. Ainsi qu'il a été dit au point 3, les conclusions à fin d'annulation présentées par M. D..., dirigées initialement contre la décision consulaire doivent être regardées comme dirigées non pas contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, mais contre la décision du 5 novembre 2021 par laquelle cette commission a explicitement rejeté son recours.

6. En premier lieu, si M. D... soutient que la décision consulaire est irrégulière faute d'être motivée, il ressort des pièces du dossier que la décision du 5 novembre 2021, laquelle s'y s'est substituée, mentionne qu'il n'est pas justifié de manière probante par l'intéressé qu'il sera en mesure de régler le solde des frais de scolarité demandés par l'école privée d'ingénierie informatique de Paris à laquelle il s'est inscrit et que sa demande est devenue sans objet dès lors que la date de limite de la rentrée, fixée au 27 septembre 2021, était dépassée à la date de cette décision. Elle mentionne également les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée doit être écarté.

7. En deuxième lieu, selon l'article 5 de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, l'admission d'un ressortissant d'un pays tiers à des fins d'études est soumise à des conditions générales, fixées par l'article 7, comme l'existence de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour et à des conditions particulières, fixées par l'article 11, telles que l'admission dans un établissement d'enseignement supérieur ainsi que le paiement des droits d'inscription.

8. En l'absence de dispositions spécifiques figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une demande de visa de long séjour formée pour effectuer des études en France est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 311-1 alors en vigueur de ce code. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnés à l'article L. 312-2 alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, laquelle participe de la transposition de cette même directive.

9. Le point 2.2 de l'instruction du 4 juillet 2019 prévoit que : " L'étranger doit justifier qu'il disposera de ressources suffisantes pour couvrir ses frais d'études. / L'étranger doit apporter la preuve qu'il dispose de moyens d'existence suffisants pour la durée de validité du visa de long séjour pour études. Ces ressources doivent être équivalentes, pour l'ensemble de la période concernée, au moins au montant de l'allocation d'entretien mensuelle de base versée, au titre de l'année universitaire écoulée, aux boursiers du Gouvernement français, soit 615 euros en 2019. ".

10. Il ressort des pièces du dossier que pour justifier qu'il dispose de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour, ses frais de retour et le paiement des droits d'inscription, M. D... a produit une " attestation de virement irrévocable " émanant d'une société française intermédiaire en opération de banque et services de paiement attestant du fait qu'elle a reçu 7 380 euros de Mme B... A..., que cette société reversera mensuellement, soit 615 euros pendant douze mois, à M. C... D... durant son année de scolarité 2021/2022. Il a également communiqué un document émanant d'un assureur pour un contrat " assistance et rapatriement " pour la période courant uniquement du 22 août au 21 novembre 2021, ainsi que la preuve de l'achat d'un billet de retour le 1er juillet 2022. S'agissant de son inscription au titre de l'année universitaire 2021/2022 en 3ème année d'une formation en Bachelor informatique au sein d'une école privée d'ingénierie informatique située à Paris, l'intéressé s'est borné à produire une attestation de cet établissement du 7 juillet 2021 valant accord préalable d'inscription avec mention d'un coût total de sa formation de 9 000 euros, dont seulement 2 500 euros ont été encaissés par l'établissement. Or les éléments précités produits par M. D... ne permettent pas de justifier qu'il dispose de ressources suffisantes pour couvrir le solde du paiement des frais d'inscription dans cet établissement, soit 6 500 euros. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce en estimant que M. D... ne justifiait pas disposer de ressources suffisantes pour financer l'ensemble de ses frais liés à un séjour de longue durée en France. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la commission aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur ce seul motif.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France présentées par M. D... doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. D... doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. D....

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2109619 du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... D....

Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22NT02385


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02385
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - MOYENS - MOYENS D'ORDRE PUBLIC À SOULEVER D'OFFICE - EXISTENCE - MOYEN D'ORDRE PUBLIC EN APPEL - RÉGULARITÉ DU JUGEMENT - ERREUR DU PREMIER JUGE QUANT À LA DÉCISION ATTAQUÉE.

54-07-01-04-01-02 Revêt un caractère d'ordre public le moyen tiré de ce qu'un tribunal administratif s'est mépris sur la portée des conclusions dont il était saisi en annulant une décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, alors que cette décision avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique avant sa saisine, du fait de l'intervention de la décision explicite de cette commission qui s'y est substituée.

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - APPEL - EFFET DÉVOLUTIF ET ÉVOCATION - ÉVOCATION - CAS OÙ LE JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE S'EST MÉPRIS SUR LA PORTÉE DES CONCLUSIONS DONT IL ÉTAIT SAISI ([RJ1]).

54-08-01-04-02 Tribunal administratif saisi de conclusions à fin d'annulation dirigées contre une décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté un recours contre la décision consulaire de refus de visa. Ces conclusions devaient être regardées comme dirigées contre la décision ultérieure, qui s'y est substituée, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a explicitement rejeté ce recours. Le tribunal, qui a annulé la décision implicite de la commission de recours, alors que celle-ci avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique du fait de l'intervention de la décision explicite qui s'y est substituée, s'est mépris sur la portée des conclusions dont il était saisi et a ainsi entaché son jugement d'irrégularité.


Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : TCHEUMALIEU FANSI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;22nt02385 ?
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