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11/03/2024 | FRANCE | N°23NT02372

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 11 mars 2024, 23NT02372


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 12 mai 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, ensuite d'enjoindre à cette autorité, à titre principal, de prendre en charge sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de sept jours à compter de la

notification du présent jugement, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1700 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 12 mai 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, ensuite d'enjoindre à cette autorité, à titre principal, de prendre en charge sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de sept jours à compter de la notification du présent jugement, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1700 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2307885 du 26 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 août 2023, M. C..., représenté par Me Ndeko, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 mai 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités croates ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile dans le délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir et de lui remettre le dossier de demande d'asile à transmettre à l'OFPRA sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisante motivation ;

- l'arrêté portant transfert procède d'une d'un défaut d'examen sérieux de sa situation révélant une insuffisance de motivation ;

- l'arrêté portant transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- l'arrêté portant transfert aux autorités croates méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont les stipulations ont été reprises par l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; il n'est pas assuré qu'en cas de transfert en Croatie, sa demande de protection internationale soit traitée par les autorités de ce pays conformément à ce qu'exigent ces conventions ; il risque d'être soumis à des traitements inhumains et dégradants ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ; il dispose en France, en particulier dans le département de la Loire-Atlantique d'une importante famille ; il verse aux débats de multiples témoignages de ses frères et sœurs qui vivent en France en situation régulière et justifie d'une prise en charge financière par l'un de ses frères, M. D... C... ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et informe la cour que M. C... a été déclaré en fuite et que le délai d'exécution du transfert est reporté au 26 décembre 2024.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le décret n° 2019-38 du 23 janvier 2019 ;

- l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant turc, né le 20 octobre 1983 et entré irrégulièrement en France le 5 avril 2023, a sollicité l'asile le 13 juillet suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Croatie le 30 mars 2023. Saisies le 20 avril 2023 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, les autorités croates ont, le 4 mai suivant, expressément donné leur accord sur le fondement du c) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un arrêté du 12 mai 2023, le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de M. C... aux autorités croates. M. C... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 26 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête. M. C... relève appel de ce jugement. Par son mémoire du 21 décembre 2023, le préfet informe la cour que M. C... a été déclaré en fuite et que le délai d'exécution du transfert est reporté au 26 décembre 2024.

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des termes du jugement attaqué que le premier juge a répondu de manière suffisante aux points 12 et 13 de sa décision aux moyens soulevés par M. C... tirés du défaut d'examen, notamment de sa vulnérabilité, de l'erreur manifeste d'appréciation, et de la méconnaissance des articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

Sur la légalité de l'arrêté de transfert :

3. En premier lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

4. En l'espèce, l'arrêté portant transfert aux autorités croates vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 7-2 et suivants et 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il mentionne la circonstance que la consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités croates préalablement au dépôt de sa demande d'asile en France, ses empreintes digitales ayant été enregistrées dans ce pays le 30 mars 2023, que les autorités croates, saisies d'une requête le 20 avril 2023, ont fait connaître leur accord le 4 mai suivant. L'arrêté contesté indique, par ailleurs, que M. C... ne présente pas de vulnérabilité particulière et ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'intéressé ayant notamment déclaré être célibataire, avoir un enfant mineur, avoir des frères et sœurs ainsi que d'autres membres de sa famille en France, sans apporter de précisions sur leurs identités et les liens les unissant, et ne pas souffrir de problèmes de santé. L'arrêté mentionne également que M. C... a déjà sollicité l'asile en France en 2008 avant de repartir en Turquie sans connaître l'issue de sa demande. Enfin, l'arrêté indique qu'il n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile. Ces motifs énoncent de façon suffisamment détaillée les motifs de droit et circonstances de fait sur lesquels est fondé l'arrêté attaqué et suffisent à permettre d'identifier le critère du règlement dont le préfet a fait application ainsi qu'à comprendre que les autorités françaises ont saisi les autorités croates d'une demande de reprise en charge en application du paragraphe 1 de l'article 18 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que sur le fondement de cet article les autorités croates ont été saisies aux fins de reprise en charge de l'intéressé dans les conditions fixées par l'article 23 du même règlement. Par ailleurs, l'arrêté contesté comporte des éléments relatifs à la situation personnelle, familiale et sanitaire, du requérant. Enfin, l'arrêté attaqué mentionne que l'intéressé ne présente pas de vulnérabilité particulière. Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de cet arrêté et d'un défaut d'examen particulier de sa situation ne peuvent dès lors qu'être écartés.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. M. C... se prévaut de la présence en France de plusieurs membres de sa famille y résidant régulièrement, ce qu'il justifie en particulier pour son frère D..., qui y demeure sous couvert d'un titre de séjour de longue durée et atteste par écrit être prêt à l'héberger et à subvenir à ses besoins, et pour sa sœur, Saniye, épouse A..., titulaire d'une carte de résident. Ces circonstances, alors notamment qu'il ne justifie pas de l'intensité de ses liens familiaux en France ou en Turquie, où il est demeuré incarcéré pendant de nombreuses années pour des motifs inexpliqués, ne suffisent pas pour estimer que le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne se saisissant pas de la faculté d'instruire la demande d'asile en France que lui offrait l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. M. C... n'est pas non plus fondé, pour les mêmes motifs, à soutenir que le préfet aurait commis en décidant son transfert aux autorités croates une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.

7. En troisième et dernier lieu, pour le surplus, M. C... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans l'assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge aux points du jugement attaqué et tiré de ce que l'arrêté contesté du 29 septembre 2022 décidant son transfert aux autorités croates ne méconnait pas les stipulations du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ni celles de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont les stipulations ont été reprises par l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 mai 2023 décidant son transfert aux autorités croates. Par voie de conséquence doivent être rejetées les conclusions du requérant aux fins d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 2 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2024.

Le rapporteur, Le président,

O. COIFFET O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT02372 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02372
Date de la décision : 11/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : NDEKO

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-11;23nt02372 ?
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