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23/02/2024 | FRANCE | N°23NT01324

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 23 février 2024, 23NT01324


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office et lui a interdit le retour en France pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2301773 du 5 avril 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa dema

nde.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 9 mai 2023, M. A......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office et lui a interdit le retour en France pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2301773 du 5 avril 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 mai 2023, M. A... B..., représenté par Me Gourlaouen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 avril 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 29 mars 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer sa situation, dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé et entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- il est entaché d'erreur de fait en ce qu'il relaye qu'il n'aurait plus de contact téléphonique avec son fils ;

- l'obligation de quitter le territoire français litigieuse méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle méconnaît les dispositions du 5° et du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle ne pouvait légalement intervenir dès lors qu'il remplit les conditions pour bénéficier de plein droit d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français ;

- l'interdiction de retour en France pour une durée de deux ans méconnaît les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., de nationalités géorgienne et ukrainienne, né le 30 mai 1978, déclare être entré en France en 2005. Après rejet définitif de sa demande d'asile par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 16 juillet 2008, il a obtenu un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français valable du 20 décembre 2011 au 19 décembre 2012, régulièrement renouvelé jusqu'au 17 décembre 2017. Il s'est ensuite vu délivrer une carte pluriannuelle du 19 décembre 2017 au 18 décembre 2019. Par arrêté 29 mars 2023, le préfet de Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il serait susceptible d'être éloigné d'office et lui a interdit le retour en France pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 5 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 mars 2023.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, les décisions d'obligation de quitter le territoire français sans délai et de fixation du pays de renvoi en cas d'éloignement d'office contenues dans l'arrêté litigieux comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. L'arrêté fait notamment état de ce que M. B... est le père d'un enfant français et analyse les liens de l'intéressé avec son enfant. La circonstance que l'arrêté litigieux ne vise pas l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et qu'il ne fasse pas référence expressément à l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas de nature à le faire regarder comme étant entaché d'une insuffisante motivation ou d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. B.... Ces moyens doivent, dès lors, être écartés.

3. En deuxième lieu, l'arrêté litigieux s'appuie notamment sur le rapport de l'association Montjoie, qui suit la famille dans le cadre de la procédure d'assistance éducative, selon lequel M. B... s'est montré irrégulier dans l'exercice de son droit de visite depuis le début de l'année 2020 et n'aurait plus de contact téléphonique avec son fils. Si M. B... soutient avoir éprouvé des difficultés à jouer pleinement son rôle de père en raison des troubles psychiatriques dont il est atteint et être cependant toujours resté en contact téléphonique avec son fils, il n'apporte pas d'élément au soutien de ses allégations et le préfet s'est en tout état de cause borné à relayer la teneur du rapport de l'association. Le moyen tiré de l'erreur de fait doit, dès lors, être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Et aux termes de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

5. M. B... fait valoir qu'il réside en France depuis dix-huit ans et qu'il est père d'un enfant français né en 2010 qu'il a élevé jusqu'à son placement par le juge des enfants à l'aide sociale à l'enfance le 15 mars 2016. Il ressort des pièces du dossier que cette mesure de placement a été reconduite à plusieurs reprises par le juge des enfants, jusqu'au 31 décembre 2024. S'il ressort des jugements en assistance éducative rendus au sujet de ce placement que M. B..., bien que ne vivant pas avec son fils, avait, jusqu'en 2019, maintenu un lien avec celui-ci, il en ressort également que ce lien a été interrompu pendant trois ans, le requérant ne justifiant avoir repris des nouvelles de son fils qu'en août 2022. Il ressort également des pièces du dossier que le requérant, incarcéré en 2020, avant d'être hospitalisé à la demande d'un tiers en établissement spécialisé en raison de troubles psychiques, puis de nouveau incarcéré en 2021, n'a jamais informé son fils de l'évolution de sa situation. Les jugements rendus par le juge des enfants évoquent en termes précis et constants les répercussions de cette situation sur la santé de l'enfant, qui manifeste des troubles graves de l'attachement et une difficulté à nouer des liens, pouvant être reliés à la situation de quasi-abandon qu'il a vécue de la part de ses parents. Les jugements relèvent enfin l'absence de prise de conscience des parents quant à leur responsabilité dans la situation de leur fils. Au vu de ce constat, le juge des enfants a confirmé, dans le dernier jugement rendu le 20 décembre 2022, la suspension des droits de visite et de correspondance du requérant. Contrairement à ce qu'indique l'appelant, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présence de M. B... sur le territoire soit nécessaire à l'équilibre de son enfant. Par ailleurs, M. B... ne justifie pas de l'intense réseau amical qu'il allègue avoir tissé en France ni d'une quelconque insertion professionnelle ou sociale sur le territoire français. Dans ces circonstances, et en dépit de ses troubles psychiques, en obligeant M. B... à quitter le territoire français, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise ni n'a méconnu l'intérêt supérieur de son enfant. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent ainsi être écartés. Il n'est pas davantage établi que le préfet de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...)5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.".

7. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 5° et du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. B... reprend en appel, peuvent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

8. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, M. B... ne justifie pas qu'il contribuait effectivement à l'éducation et à l'entretien de son enfant à la date de l'arrêté en litige ni même qu'il entretiendrait des liens stables avec lui. Il s'ensuit, alors en outre que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public révélée par les nombreuses condamnations prononcées à son encontre par le juge pénal, qu'il ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer de plein droit un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que sa situation faisait obstacle à ce qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre.

9. En sixième lieu, aux termes de l'article L 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...). "

10. Alors que M. B... ne peut se prévaloir d'aucune circonstance humanitaire, seule de nature à faire obstacle à une mesure d'interdiction de retour en France, eu égard à sa situation, aux multiples infractions commises depuis son entrée en France, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet le 2 août 2008 puis le 21 mars 2021, à la faiblesse et à l'instabilité des liens qu'il entretenait avec son enfant à la date de l'arrêté litigieux, et malgré la durée de sa présence en France, en lui interdisant le retour en France pour une durée de deux ans, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas commis d'erreur d'appréciation. Il n'a pas davantage porté une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Les conclusions à fin d'injonction et la demande présentée au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées, par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie sera transmise, pour information, au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Lellouch, première conseillère,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

Le président,

G.-V. VERGNE

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01324


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01324
Date de la décision : 23/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET CAROLE GOURLAOUEN

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-23;23nt01324 ?
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