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23/02/2024 | FRANCE | N°23NT00892

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 23 février 2024, 23NT00892


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Herbechère a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du président du conseil régional de la Normandie du 28 novembre 2019 portant déchéance de la subvention à l'investissement accordée le 16 décembre 2015 pour un montant global de 56 802 euros et la décision du 27 octobre 2020 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, d'annuler la décision du 16 juillet 2020 par laquelle

l'Agence de services et de paiement (ASP) l'a mis en demeure de régler la somme de 54 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Herbechère a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du président du conseil régional de la Normandie du 28 novembre 2019 portant déchéance de la subvention à l'investissement accordée le 16 décembre 2015 pour un montant global de 56 802 euros et la décision du 27 octobre 2020 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, d'annuler la décision du 16 juillet 2020 par laquelle l'Agence de services et de paiement (ASP) l'a mis en demeure de régler la somme de 54 140,24 euros et la décision rejetant implicitement son recours gracieux et de le décharger totalement de l'obligation de payer cette dernière somme ou, à titre subsidiaire, de ramener la somme mise à sa charge à un montant de 2 775 euros.

Par un jugement n° 2002570 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 mars et 29 octobre 2023, le GAEC de la Herbechère, représenté par Me Enguehard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 février 2023 du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'une part, d'annuler la décision du président du conseil régional de Normandie du 28 novembre 2019 et la décision de rejet de son recours gracieux du 27 octobre 2020 et, d'autre part, d'annuler la décision du 16 juillet 2020 de l'ASP et la décision rejetant implicitement son recours gracieux et de le décharger totalement de l'obligation de payer la somme de 54 140,24 euros ou, à titre subsidiaire, de ramener la somme mise à sa charge à un montant de 2 775 euros ;

3°) de mettre à la charge de la Région Normandie la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la décision du 27 août 2020 rejetant son recours gracieux n'avait pas été signée par une personne disposant d'une délégation de signature pour ce faire, ni à la branche du moyen tenant au vice de procédure, tirée du défaut d'agrément de l'agent ayant réalisé le contrôle sur place du 22 août 2017 ;

- la demande de première instance n'était pas tardive, dès lors qu'il n'a eu connaissance de la décision du 28 novembre 2019 que le 16 juillet 2020 ;

- la décision de déchéance du 28 novembre 2019 et la décision rejetant son recours gracieux ont été signées par des autorités incompétentes ;

- la décision du 28 novembre 2019 est entachée d'un vice de procédure, dès lors que l'ASP n'établit pas la régularité du contrôle sur place du 22 août, en particulier que l'agent qui l'a réalisé était agréé ;

- la procédure contradictoire prévue par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration n'a pas été régulièrement mise en œuvre, préalablement à l'édiction de la décision du 28 novembre 2019, dès lors que, d'une part, il n'a pas été mis à même de présenter des observations orales et que, d'autre part, il n'a pas été éclairé sur la nature de l'anomalie qui lui a été reprochée ;

- cette décision est aussi entachée d'un vice de procédure au regard de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'il n'a pas été mis à même de régulariser les erreurs matérielles reprochées ;

- elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article 30 du règlement (UE)

n° 65/2011 du 27 janvier 2011, dès lors que la discordance constatée lors du contrôle sur place entre le montant de la facture produite dans le cadre de la demande d'aide et le montant de celle communiquée lors du contrôle relève d'une simple erreur administrative et ne révèle pas d'une mauvaise foi de sa part, ni d'une fraude ou d'une fausse déclaration délibérée ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation s'agissant d'une prétendue méconnaissance des conditions d'octroi de la subvention ;

- à supposer même qu'il ait commis une erreur, la décision portant déchéance totale est disproportionnée, l'erreur prétendue, minime, ne pouvant, en tout état de cause, justifier qu'une déchéance à hauteur de 2 775 euros ;

- la décision de l'Agence de services et de paiement du 16 juillet 2020 le mettant en demeure de payer la somme de 54 140,24 euros est illégale, dès lors qu'elle se fonde sur la décision du 28 novembre 2019 elle-même illégale.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2023, l'Agence de services et de paiement (ASP), représentée par Me Sapparrart, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 soit mise à la charge du GAEC de la Herbechère en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions présentées devant le tribunal tendant à l'annulation de la décision du 28 novembre 2019 et de la décision de rejet du recours gracieux contre cette décision étaient irrecevables, dès lors que la première décision a été notifiée au GAEC le 6 décembre 2019 et que le recours gracieux contre cette décision a été introduit après l'expiration du délai contentieux ;

- les conclusions dirigées contre la mise en demeure du 16 juillet 2020 étaient irrecevables, dès lors que celle-ci ne constitue pas un acte faisant grief ; le titre exécutoire émis le 27 décembre 2019 à l'encontre du GAEC était définitif ;

- les moyens soulevés par le GAEC de la Herbechère ne sont pas fondés.

Par une requête enregistrée le 19 octobre 2023, la Région Normandie, représentée par Me Midol-Monnet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 soit mise à la charge du GAEC de la Herbechère en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions présentées devant le tribunal tendant à l'annulation de la décision du 28 novembre 2019 et de la décision de rejet du recours gracieux contre cette décision étaient irrecevables, dès lors que la première décision a été notifiée au GAEC le 6 décembre 2019 et que le recours gracieux contre cette décision a été introduit après l'expiration du délai contentieux ;

- le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 27 octobre 2020 rejetant le recours gracieux contre la décision du 28 novembre 2019 est inopérant contre cette dernière décision et il est, en tout état de cause, infondé ;

- le moyen tiré d'un vice de procédure au regard de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration est inopérant ;

- les autres moyens soulevés par le GAEC de la Herbechère ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;

- le règlement (UE) n° 1306/2013 du parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement (UE) n° 1305/2013 du 17 décembre 2013 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Catroux,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Dord, représentant la région Normandie, et de

Me Sapparrart, représentant l'ASP.

Considérant ce qui suit :

1. Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Herbechère, qui exerce une activité d'élevage de vaches laitières, a conclu avec la région Normandie et le département de la Manche, le 16 décembre 2015, une convention relative à l'attribution d'une aide du conseil départemental de la Manche et de l'Union européenne au titre du développement rural dans le cadre du dispositif d' " investissements dans les exploitations agricoles pour une triple performance économique, sociale et environnementale ", d'un montant global de 56 802 euros. A la suite d'un contrôle réalisé par un agent de l'Agence de services et de paiement (ASP), le 22 août 2017, le président de la région Normandie a, par une décision du 28 novembre 2019, retiré en totalité l'aide obtenue par le GAEC de la Herbechère. L'Agence de services et de paiement a, en exécution de cette décision portant déchéance totale de l'aide, émis un titre exécutoire à l'encontre du groupement, mettant à sa charge l'obligation de payer la somme de 54 140,24 euros. Après l'avoir relancé par un courrier le 5 février 2020, l'ASP a mis en demeure le GAEC de la Herbechère, le 16 juillet 2020, de payer cette somme. Le 21 août 2020, le GAEC a sollicité un sursis de paiement auprès de l'ASP et a formé un recours gracieux, auprès du président de la région Normandie, contre la décision de déchéance du 28 novembre 2019. Par une décision du 27 octobre 2020, le recours gracieux contre la décision du 28 novembre 2019 a été rejeté, au motif notamment que cette décision était devenue définitive. Le GAEC de la Herbechère a, alors, demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du président du conseil régional de la Normandie du 28 novembre 2019 portant déchéance de la subvention à l'investissement accordée le 16 décembre 2015 pour un montant global de 56 802 euros et la décision du 27 octobre 2020 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, d'annuler la décision du 16 juillet 2020 par laquelle l'Agence de services et de paiement (ASP) l'a mis en demeure de régler la somme de 54 140,24 euros et la décision rejetant implicitement son recours gracieux et de le décharger totalement de l'obligation de payer cette dernière somme ou, à titre subsidiaire, de ramener la somme mise à sa charge à un montant de 2 775 euros. Par un jugement du 9 février 2023, dont le GAEC de la Herbechère relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 622-46 du code rural et de la pêche maritime, alors applicable : " Des agents placés sous l'autorité du ministre chargé de l'économie contrôlent la réalité et la régularité des opérations faisant directement ou indirectement partie du système de financement par les fonds européens de financement de la politique agricole commune. Ils sont assermentés à cet effet dans les conditions prévues à l'article R 622-47 (...) " et aux termes de son article R 622-47 : " Avant d'entrer en fonctions, les agents mentionnés à l'article R. 622-46 présentent au tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils sont domiciliés leur acte de désignation et prêtent devant lui le serment ci-après : ( ... ) ". Il résulte de ces dispositions que les contrôles qu'elles prévoient ne peuvent être régulièrement effectués que si les agents mandatés à cet effet ont été habilités et ont prêté serment.

3. Il ressort des écritures de première instance du GAEC de la Herbechère qu'il avait soulevé le moyen tiré de ce que le contrôle ayant abouti à constater l'irrégularité reprochée était irrégulier, dès lors que les agents l'ayant réalisé n'étaient ni agréés à cet effet, ni assermentés. Si le tribunal a répondu, au point 3 du jugement attaqué, à la branche de ce moyen tirée du défaut d'assermentation, il n'a pas répondu à l'autre branche du moyen, qui n'était pas inopérante, tirée de ce que les agents n'étaient pas agréés par l'autorité compétente pour effectuer le contrôle en litige. Le GAEC de la Herbechère est, dès lors, fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en tant qu'il statue sur sa demande d'annulation de la décision du président du conseil régional de Normandie du 28 novembre 2019 portant déchéance de subvention en litige et de la décision du 27 octobre 2020 rejetant son recours gracieux. Ce jugement doit, par suite, être annulé en tant qu'il a statué sur ces conclusions.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le GAEC de la Herbechère devant le tribunal administratif de Caen tendant à l'annulation de la décision du président du conseil régional de la Normandie du 28 novembre 2019 portant déchéance de subvention en litige et de la décision du 27 octobre 2020 rejetant son recours gracieux et de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus de sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions du président du conseil régional de Normandie du 28 novembre 2019 et du 27 octobre 2020 :

5. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

6. Il n'est pas contesté que la décision du 28 novembre 2019, qui comportait la mention des voies et délais de recours, a été envoyée à l'adresse du GAEC de la Herbechère. Pour établir que cette décision a été régulièrement notifiée à l'intéressé, la région produit notamment l'avis de réception postal, qui comporte la date du 6 décembre 2019 comme celle de la remise du pli et indique que le signataire de cet avis déclare être le destinataire ou le mandataire. La circonstance que le groupement soutienne, sans étayer cette allégation d'élément probant, qu'il n'a eu connaissance de la décision du 28 novembre 2019 qu'à la réception du courrier du 16 juillet 2020 portant mise en demeure de rembourser l'aide perçue ne permet pas de remettre en cause la valeur probante qui s'attache à l'avis postal dont se prévaut l'administration. Par suite, les conclusions du GAEC de la Herbechère tendant à l'annulation de la décision du 28 novembre 2019 ont été enregistrées au greffe du tribunal après l'expiration du délai de recours qui expirait le 7 février 2020 et n'a donc pas pu être interrompu par le recours gracieux formé par le groupement le 21 août 2020. Par suite, ces conclusions sont tardives et ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables. Le GAEC de la Herbechère n'étant pas recevable à demander l'annulation de cette décision, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision rejetant son recours gracieux doivent être également rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de la mise en demeure du 16 juillet 2020 et de décharge de l'obligation de payer la somme de de 54 140,24 euros :

En ce qui concerne la mise en demeure du 16 juillet 2020 :

7. Le courrier de mise en demeure adressé le 16 juillet 2020 au GAEC de la Herbechère par l'agent comptable de l'ASP, dans le cadre de la procédure amiable de recouvrement, demande au groupement de s'acquitter, à réception de ce courrier, de la somme de 54 140,24 euros qui a été mise à sa charge par l'ordre de recouvrer émis à son encontre le 27 décembre 2019. Si ce courrier précise qu'à défaut de paiement dans un délai de trente jours à compter de sa réception, le recouvrement sera poursuivi par toutes les voies de droit, il ne constitue pas un acte de poursuite. Ainsi que le fait valoir l'ASP, cet acte ne fait donc pas grief au requérant et les conclusions tendant à son annulation ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables. Le GAEC de la Herbechère n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la mise en demeure du 16 juillet 2020.

En ce qui concerne les conclusions à fins de décharge de l'obligation de payer :

S'agissant de la fin de non-recevoir soulevée par l'ASP :

8. Si l'ASP soutient que l'ordre de reversement du 27 décembre 2019 est devenu définitif, dès lors qu'il a été notifié au GAEC de la Herbechère le même jour, elle ne l'établit pas. Elle n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que les conclusions du requérant à fins de décharge de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par cet ordre de reversement seraient tardives.

S'agissant du cadre juridique :

9. D'une part, aux termes de l'article 63 du règlement UE n° 1306/2013 du 17 décembre 2013 : " 1. Lorsqu'il est constaté qu'un bénéficiaire ne respecte pas les critères d'admissibilité, les engagements ou les autres obligations relatifs aux conditions d'octroi de l'aide ou du soutien prévus par la législation agricole sectorielle, l'aide n'est pas payée ou est retirée en totalité ou en partie et, le cas échéant, les droits au paiement correspondants visés à l'article 21 du règlement (UE) n° 1307/2013 ne sont pas alloués ou sont retirés. 2. De surcroît, lorsque la législation agricole sectorielle le prévoit, les États membres imposent également des sanctions administratives (...) ". L'article 6 de la convention attributive de la subvention, conclue le 16 décembre 2015 entre le groupement et la région, qui est relatif aux engagements du bénéficiaire, stipule que: " (...) Le bénéficiaire s'engage : - à informer le GUSI (DDTM) de toute modification de sa situation, de la raison sociale de sa structure, des engagements ou du projet ; (...) - à détenir, conserver, fournir tout document permettant de vérifier la réalisation effective de l'opération, demandé par l'autorité compétente pendant 10 années : factures et relevés de compte bancaire pour des dépenses matérielles, tableau de suivi du temps de travail pour les dépenses immatérielles, comptabilité ; (...)". Aux termes de son article 7, le bénéficiaire doit adresser au GUSI pour le paiement de l'aide, en particulier, sa demande de paiement accompagnée des différents justificatifs de dépenses correspondants (factures acquittées ou tout autre pièce comptable ayant valeur probante). Cet article précise que, pour être admise à titre de justificatif, une facture doit porter la mention " acquittée le " et porter le mode et la référence du règlement, notamment par une attestation de ces éléments sur la facture par le fournisseur qui mentionne obligatoirement le moyen de paiement, la date effective du paiement, ainsi que la signature et le cachet du fournisseur. Enfin, son article 9 prévoit le reversement total de la somme perçue en cas, notamment, de fausse déclaration ou de fraude manifeste.

10. D'autre part, une décision qui a pour objet l'attribution d'une subvention constitue un acte unilatéral qui crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. Il en résulte que les conditions mises à l'octroi d'une subvention sont fixées par la personne publique au plus tard à la date à laquelle cette subvention est octroyée. Quand ces conditions ne sont pas respectées, en tout ou partie, le retrait ou la réduction de la subvention peuvent intervenir sans condition de délai.

11. Enfin, lorsque l'autorité compétente constate la méconnaissance d'une condition à laquelle l'octroi d'une subvention a été subordonnée, il lui appartient, sans préjudice des mesures qui s'imposent en cas de constat d'une irrégularité au regard du droit de l'Union européenne, d'apprécier les conséquences à en tirer, de manière proportionnée eu égard à la teneur de cette méconnaissance, sur la réduction ou le retrait de la subvention en cause.

S'agissant des moyens tirés de l'illégalité externe de la décision du 28 novembre 2019 :

12. D'une part, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. S'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception tirée de l'illégalité de cet acte n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.

13. D'autre part, le destinataire d'un ordre de versement est recevable à contester, à l'appui de son recours contre cet ordre de versement, et dans un délai de deux mois suivant la notification de ce dernier, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance est devenue définitive.

14. Le requérant invoque, à l'appui de ses conclusions à fins de décharge de l'obligation de payer, des moyens tirés de l'illégalité externe de la décision du 28 novembre 2019 qui a constaté et liquidé la créance en litige. Ces moyens ne tendent pas à contester le

bien-fondé de la créance correspondante. Ils soulèvent, de plus, par voie d'exception, l'illégalité d'une décision individuelle définitive. La décision de déchéance de la subvention et l'ordre de reversement de celle-ci ne constituent pas les éléments d'une même opération complexe. Les moyens tirés de l'illégalité externe de la décision du 28 novembre 2019 ne peuvent, dès lors, qu'être écartés comme irrecevables.

S'agissant des moyens tirés du bien-fondé de la créance :

15. En premier lieu, la région s'est fondée, pour retirer l'aide en litige, sur la méconnaissance par le groupement des conditions d'attribution de cette aide découlant notamment de l'article 9 de la convention d'attribution de cette subvention, et non sur les dispositions de l'article 30 du règlement (UE) n° 65/2011 du 27 janvier 2011, par ailleurs inapplicable à l'aide en cause. Le moyen tiré de l'erreur de droit au regard de ces dispositions ne peut, dès lors, qu'être écarté comme inopérant.

16. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le paiement au GAEC de la subvention en litige a été justifié, par ce dernier, au moyen d'une facture, établie le 22 avril 2016 par la société ALDS, portant le n° 62161, d'un montant de 22 456 euros, hors taxe, ayant pour l'objet le " montage et la mise en route VMS ". Cette dernière facture comporte la mention " acquittée par Actimat le 22 avril 2016 ", ainsi que le cachet et la signature du fournisseur. Ces mentions correspondent à celles qui sont requises par l'article 7 de la convention attributive de la subvention, conclue le 16 décembre 2015. Il résulte encore de l'instruction que la facture vérifiée lors du contrôle sur place du 20 août 2017 comportait un montant différent, de 19 678 euros hors taxe, correspondant aussi au montant inscrit dans les écritures comptables du GAEC pour la dépense correspondante. Enfin, ainsi que l'a relevé l'administration, la dépense d'investissement en cause a fait l'objet d'un paiement direct au fournisseur par la banque Crédit Mutuel dans le cadre d'un prêt " Actimat " d'un montant de 20 325 euros. Le groupement expose que la discordance entre les deux factures de montants différents résulte d'une anomalie comptable, dont son fournisseur, la société " ALDS DUVAL SERVICES ", émettrice de ces factures, est à l'origine, et que cette anomalie ne révèle aucune fausse déclaration ou fraude de sa propre part. Pour l'établir, le GAEC a produit des attestations du représentant de la société ALDS des 30 août 2018 et 30 juillet 2020, certifiant que la facture d'un montant de 22 456 euros hors taxe correspondait effectivement au montant de l'achat du groupement auprès de ce fournisseur et que la commande en cause avait fait préalablement l'objet d'un acompte, d'un montant global de 6 775 euros hors taxe. Cette même personne a indiqué qu'au lieu d'émettre un avoir pour régulariser le compte client, la société a, après avoir procédé à l'envoi au GAEC de la facture portant la mention " acquittée ", émis, le même jour, une seconde facture, ayant le même numéro et le même objet, en vue de procéder directement à une régularisation de 2 275 euros hors taxe. La validité de l'explication par la société ALDS de la discordance entre les deux factures est corroborée par le fait que le montant du paiement direct à ce fournisseur dont il est attesté par le Crédit Mutuel à hauteur de 20 325 euros via le prêt " Actimat " n'est pas cohérent avec l'hypothèse du règlement en une seule fois d'une commande de 22 456 euros HT ( 26 943,60 euros TTC), ni d'ailleurs avec celle du règlement d'une commande de 19 678 euros HT (23 613,60 euros TTC), mais peut correspondre en effet au paiement du solde de la commande de 26 943,60 euros TTC dont se prévaut le GAEC, calculé après déduction de l'acompte de 6 775 euros déjà versé.

17. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'en produisant la première facture émise et attestée comme acquittée par le fournisseur ou en omettant de porter à la connaissance de l'administration la seconde facture d'un montant inférieur, le groupement aurait commis une fausse déclaration ou une fraude manifeste, en méconnaissance des obligations prévues par l'article 9 de la convention précitée.

18. En troisième lieu, toutefois, il résulte aussi de l'instruction, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que le GAEC a inscrit dans ses comptes un montant de la dépense en litige qui ne concordait pas avec le montant de la facture de 22 456 euros HT (26 943,60 euros TTC) produite à l'administration pour le paiement de la subvention et que cette dernière facture, portant la mention " facture acquittée par Actimat le 22 avril 2016 ", comportait une inexactitude sur le mode de règlement de l'achat en cause. Ainsi que le fait valoir la région, le groupement a donc méconnu les obligations, prévues par l'article 6 de la convention, relatives à la justification, au moyen notamment de factures, des opérations subventionnées. Il a également méconnu les dispositions de l'article 7 de cette convention prévoyant que la facture présentée pour justifier d'une dépense doit préciser le mode de règlement de cette dépense. En effet, au titre de ses obligations de justification de l'opération subventionnée, il convenait que le GAEC obtienne du fournisseur l'ensemble des documents nécessaires pour justifier de façon exacte et complète le montant de la dépense ainsi que son mode de règlement. Il ne résulte donc pas de l'instruction que l'administration aurait commis une erreur d'appréciation en relevant que le groupement avait méconnu les conditions d'attribution de la subvention. Toutefois, eu égard à la teneur de la méconnaissance par le groupement de ses obligations, qui faisaient partie intégrante des conditions d'attribution de la subvention, un retrait partiel de celle-ci était justifié, mais, en l'absence de fausse déclaration ou de fraude établie, un retrait total revêtait, ainsi que le soutient le requérant, un caractère disproportionné. Compte tenu de la nature de la méconnaissance retenue par le présent arrêt, de la part limitée des dépenses concernées, s'élevant à 22 456 euros sur un montant global de l'investissement éligible de 227 208,02 euros, et de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il y a lieu de ramener la somme mise à la charge du GAEC par l'ordre de reversement du 27 décembre 2019 à la somme de 5 000 euros.

19. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions du GAEC de la Herbechère à fins de décharge, même partielle, de l'obligation de payer la somme qui lui a été réclamée par l'ordre de reversement du 27 décembre 2019 et que la somme mise à sa charge doit être ramenée à un montant de 5 000 euros.

Sur les frais d'instance :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chaque partie les frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, dès lors, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 9 février 2023 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : La demande du GAEC de la Herbechère devant le tribunal administratif de Caen tendant à annulation des décisions du président du conseil régional de Normandie du 28 novembre 2019 et du 27 octobre 2020 est rejetée.

Article 3 : La somme mise à la charge du GAEC de la Herbechère par l'ordre de reversement du 27 décembre 2019 émis à son encontre par le président-directeur général de l'ASP est ramenée à un montant de 5 000 euros.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Région Normandie, au groupement agricole d'exploitation en commun de la Herbechère, à l'Agence de services et de paiement et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Lellouch, première conseillère,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2024.

Le rapporteur,

X. CATROUXLe président,

G-V. VERGNE

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00892


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00892
Date de la décision : 23/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : ARCAMES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-23;23nt00892 ?
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