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23/02/2024 | FRANCE | N°23NT00737

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 23 février 2024, 23NT00737


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le département de la Manche à lui verser une somme de 70 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la mutation dont il a fait l'objet.



Par un jugement n° 2001910 du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés

les 17 mars 2023, 3 janvier 2024 et 22 janvier 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B... A..., représe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le département de la Manche à lui verser une somme de 70 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la mutation dont il a fait l'objet.

Par un jugement n° 2001910 du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 mars 2023, 3 janvier 2024 et 22 janvier 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B... A..., représenté par Me Cochelard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 20 janvier 2023 ;

2°) de condamner le département de la Manche à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices subis à raison de l'illégalité de la décision de mutation d'office dont il a fait l'objet ;

3°) de mettre à la charge du département de la Manche une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne satisfait pas aux exigences de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, dès lors que la requête et les mémoires complémentaires qu'il a présentés devant le tribunal administratif n'ont pas été suffisamment analysés ;

- la décision de mutation dont il a fait l'objet est illégale à plusieurs titres :

* alors qu'il n'avait pas affirmé de manière expresse et non équivoque sa volonté de quitter son poste de travail, cette décision a été prise sans qu'il ait été mis en mesure de prendre connaissance de son dossier individuel et d'avoir connaissance des griefs formulés à son encontre ; il n'a pas davantage été informé de son droit à être assisté par un avocat, en méconnaissance des droits de la défense ;

* la décision du 4 juin 2020 est constitutive d'une sanction disciplinaire déguisée, compte tenu de son déclassement et alors que cette décision traduit l'intention de la collectivité de le sanctionner ;

- l'illégalité de cette décision est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du département à son égard ;

- cette décision lui a causé des préjudices qu'il a démontrés dans ses écritures de première instance auxquelles il renvoie la cour, à savoir un préjudice moral et physique qu'il évalue à la somme de 12 000 euros, une atteinte à sa réputation qu'il évalue à la somme de 10 000 euros, un préjudice financier et de carrière qu'il chiffre à la somme de 48 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 septembre 2023 et 9 janvier 2024, le département de la Manche, représenté par Me Labetoule, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen d'irrégularité du jugement attaqué n'est pas assorti des précisions suffisantes pour permettre au juge d'en apprécier le bien-fondé ;

- les autres moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.

Vu :

- la loi du 22 avril 1905 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2011-558 du 20 mai 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Habibi Alaoui, substituant Me Coquelard, représentant M. A..., et de Me Benoît, substituant Me Labetoule, représentant le département de la Manche.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., animateur territorial qui occupait le poste de responsable de l'écomusée de D..., a fait l'objet d'une mutation sur un poste de chargé de mission C... à Saint-Lô par une décision du 4 juin 2020. Par un courrier du 15 juin 2020, M. A... a sollicité l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de cette mutation. Par un courrier du 3 août 2020, le département de la Manche a rejeté sa demande. M. A... a alors saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation du département de la Manche à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation de ses préjudices. Il relève appel du jugement du 20 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. / (...). ".

3. En se bornant à soutenir que la requête et les mémoires qu'il a présentés devant le tribunal administratif, visés par le jugement attaqué, n'ont pas été " correctement et exhaustivement " analysés, M. A... n'assortit pas ce moyen des précisions suffisantes pour permettre au juge d'en apprécier le bien-fondé.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. M. A... invoque l'illégalité de la décision de mutation dont il a fait l'objet le 4 juin 2020 et soutient que cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du département de la Manche à son égard.

En ce qui concerne le respect des droits de la défense :

5. D'une part, en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause. Dans le cas où l'agent public fait l'objet d'un déplacement d'office, il doit être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier s'il a été préalablement informé de l'intention de l'administration de le muter dans l'intérêt du service, quand bien même le lieu de sa nouvelle affectation ne lui aurait pas alors été indiqué.

6. S'il ne résulte pas de l'instruction que M. A... ait formulé une demande expresse de changement d'affectation, il en résulte cependant que, dès la fin de l'année 2019, il a sollicité sa hiérarchie afin d'évoquer les difficultés majeures qu'il rencontrait depuis plusieurs mois avec les membres de son équipe, lesquelles ont été discutées et analysées dans le cadre d'un entretien qui s'est déroulé le 5 décembre 2019 au cours duquel il aurait indiqué envisager une mobilité en externe ou en interne. Il ressort en outre des courriels qu'il a échangés avec sa hiérarchie pendant son arrêt de travail qu'il a fait savoir ne plus être en mesure de travailler à l'écomusée tandis que la responsable du service Réseau des sites et musées l'a informé attendre la fin de son arrêt de travail pour discuter avec lui des missions qu'elle souhaitait lui confier au sein de la direction du patrimoine et des musées du département. Compte tenu de ces éléments, M. A... doit être regardé comme ayant été informé de ce que le département de la Manche envisageait une mesure de mutation et, dès lors, comme ayant été mis en mesure de prendre connaissance de son dossier individuel.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que les considérations relatives à la personne de M. A... tenant aux difficultés relationnelles qu'il a rencontrées auprès de son équipe faisant obstacle à la poursuite de son travail au sein de l'écomusée, qui ont conduit le département de la Manche à prendre la mesure de mutation litigieuse, ont été discutées avec M. A... lors de l'entretien du 5 décembre 2019, qu'il a lui-même sollicité auprès de sa hiérarchie. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas eu connaissance des motifs qui ont conduit le département de la Manche à envisager la mesure litigieuse ne peut qu'être écarté.

8. Par ailleurs, dès lors que, pour les motifs exposés ci-dessous au point 10, la mesure litigieuse ne peut s'analyser en une sanction disciplinaire déguisée et qu'elle n'est pas au nombre des mesures mentionnées à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, pour lesquelles l'article L. 122-1 du même code prévoit que les personnes intéressées peuvent se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de leur choix, M. A... ne peut utilement faire valoir qu'il n'a pas été informé d'un tel droit.

9. Enfin, aucun texte ni aucun principe n'imposait au département de la Manche de diligenter une enquête administrative avant de prendre la mesure de mutation d'office litigieuse.

Sur l'existence d'une sanction disciplinaire déguisée :

10. La mutation dans l'intérêt du service constitue une sanction déguisée dès lors qu'il est établi que l'auteur de l'acte a eu l'intention de sanctionner l'agent et que la décision a porté atteinte à la situation professionnelle de ce dernier.

11. Il résulte de l'instruction que la mesure de mutation litigieuse est intervenue à la suite des importantes difficultés rencontrées par M. A... avec les agents placés sous son autorité dans la gestion de l'écomusée de la baie et du mal-être profond qui en est résulté. M. A..., à l'instar des agents de son équipe, avait alerté les services du département sur ces graves difficultés. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction, en particulier des différents échanges qu'il a eus avec sa hiérarchie entre le moment où les difficultés de l'écomusée ont été portées à la connaissance de la collectivité et l'intervention de la mesure litigieuse, que le département ait entendu sanctionner le comportement de M. A... ni d'ailleurs qu'il l'ait tenu pour seul responsable de la situation. D'autre part, si les nouvelles attributions de M. A... ne comportent plus de fonctions d'encadrement, les missions décrites dans la lettre de mission qui lui a été remise lors de l'entretien du 3 février 2020 et qu'il a lui-même amendées, comportent une dimension d'expertise scientifique et de valorisation C... ainsi qu'un volet de conception et de réalisation d'un sentier pédagogique et correspondent à des responsabilités pouvant lui être attribuées compte tenu du grade qu'il occupe dans son cadre d'emploi, telles que définies aux articles 1 et 2 du décret du 20 mai 2011 portant statut particulier du cadre d'emplois des animateurs territoriaux. Enfin, le changement d'affectation de M. A..., proposé compte tenu des difficultés rencontrées par ce dernier et de sa volonté de ne pas retourner à l'écomusée, a été accepté par l'intéressé en février 2020. Dès lors, bien qu'elle entraîne une perte de ses fonctions d'encadrement et une baisse de son régime indemnitaire, la mesure de mutation en litige a été prise dans l'intérêt du service et ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée.

12. L'illégalité de la mesure de mutation litigieuse n'étant pas établie, le département de la Manche n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de M. A.... Les conclusions indemnitaires de la requête doivent dès lors être rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Manche, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. A..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par le département de la Manche, au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Manche au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au département de la Manche.

Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Lellouch, première conseillère ;

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

Le président,

G.-V. VERGNE

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00737


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00737
Date de la décision : 23/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CLL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-23;23nt00737 ?
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