Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la commune de C... à lui verser la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'agissements constitutifs de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions.
Par un jugement n°1801313 du 2 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mai et le 16 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Deniau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 mai 2023 ;
2°) de condamner la commune de C... à lui verser la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice financier et moral qu'elle estime avoir subis à la suite d'agissements constitutifs de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la mutation dont elle a fait l'objet n'était pas révélatrice d'une situation de harcèlement moral :
* l'annonce de cette mutation a été une surprise, cette mutation s'est faite dans des conditions totalement inadaptées et elle lui a été imposée ;
* ce changement de poste avait pour seule vocation de l'écarter de ses fonctions ;
* elle a été chargée d'une " G... " (A...), alors qu'elle avait fait l'objet d'un arrêt de travail pour épuisement professionnel et qu'elle avait dénoncé une situation de harcèlement moral ;
- le harcèlement dont elle a fait l'objet s'est traduit par la diminution de ses tâches, la réduction de son champ de responsabilité, par sa mise à l'écart, notamment à compter de l'arrivée de la nouvelle Directrice des ressources humaines :
* l'absence de réponse à ses sollicitations démontre l'absence de prise en compte de son travail, ainsi qu'un manque de considération de la part de la collectivité ;
* elle fait l'objet d'un changement de bureau pour être reléguée dans une pièce au fond du couloir, exclue des autres agents ;
* des tâches contenues dans sa fiche de poste ont été progressivement supprimées pour être confiées à un autre agent, sans qu'elle n'en soit avertie ;
* ses différents accès aux logiciels métier ont été censurés ;
* elle a été privée de ses missions d'encadrement ;
* son travail restait fréquemment à l'état de projet en l'absence de validation, elle a été humiliée par sa hiérarchie en étant conviée au dernier moment aux réunions ;
- la commune de C... a commis une faute générale dans l'organisation du service ;
- elle a subi un préjudice physique et moral, un préjudice professionnel ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence qui peuvent être évalués à la somme de 30.000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2023, la commune de C... conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Deniau, représentant Mme B..., et de Me Vautier, représentant la commune de C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., attachée territoriale, est employée par la commune de C... depuis le 1er juin 1997 et y a exercé les fonctions de responsable du service E... puis de la F... (A...) depuis 2013. Par un jugement du 17 octobre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 24 février 2016 par lequel le maire de C... a refusé de reconnaître imputable au service la maladie à l'origine de son arrêt de travail à compter du 10 janvier 2015. Par un courrier du 14 novembre 2017, Mme B... a présenté une demande préalable indemnitaire tendant à la réparation des préjudices subis en raison du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi et des fautes dans l'organisation du service commises par la commune de C... pour un montant de 30 000 euros. Cette demande a été implicitement rejetée par la commune. Mme B... relève appel du jugement du 2 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de C... à lui verser la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'agissements constitutifs de harcèlement moral.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des motifs développés par le tribunal dans les paragraphes 6, 9 et 11 du jugement attaqué que les premiers juges ont estimé, s'appuyant notamment sur les conditions de réorganisation de la direction des ressources humaines de la collectivité et les règles existantes en matière d'accès aux données des logiciels de cette même direction, que la commune n'avait commis aucune faute dans l'organisation du service susceptible d'ouvrir un droit à indemnisation de la requérante. Ce faisant, le tribunal a suffisamment motivé son jugement sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".
4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. Mme B... soutient qu'à son retour d'arrêt maladie pour épuisement professionnel, elle a été mutée d'office en mars 2013 sur le poste de responsable de la " mission responsabilité sociétale des organisations " et que, sur ce poste, elle a été isolée, laissée sans consignes claires de la part des élus et de sa hiérarchie. Ce changement de poste avait, selon elle, pour seule objet de l'écarter de ses fonctions. Elle ajoute que les tâches qui lui ont été confiées, son champ de responsabilités et son autonomie ont été réduits à compter de janvier 2012 à la suite de la prise de fonctions d'une nouvelle directrice des ressources humaines et qu'elle a été mise à l'écart au sein du service des ressources humaines jusqu'en mars 2013. Ces éléments de fait sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
6. Il ressort toutefois des pièces et n'est pas contesté que Mme B... a été informée, dans le cadre de son évaluation en novembre 2012, qu'il était envisagé son changement de poste au cours du premier semestre 2013 dans le cadre de la mission " Agenda 2021 ", ainsi que le confirme le compte rendu du comité d'hygiène et de sécurité du 18 décembre 2012, qui mentionne la création d'un poste dont les missions seraient de coordonner et de suivre les actions en matière d'hygiène et de sécurité, de reclassement, d'inaptitude et de handicap, évoquée lors de l'évaluation avec le cadre pressenti. Si Mme B... soutient qu'elle n'a pas été informée qu'elle était pressentie pour ce poste, il est constant qu'elle était, à la date de ce compte rendu, le cadre en charge du suivi des actions en matière d'hygiène et de sécurité, de reclassement, d'inaptitude et de handicap, ainsi qu'en atteste la fiche de poste de l'intéressée établie en 2011. La circonstance que cette mutation est intervenue à la suite du retour de congé maladie de la requérante ne saurait attester que cette mutation avait pour objet d'écarter Mme B... de ses fonctions. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que cette mutation aurait été imposée à l'intéressée ou qu'elle serait intervenue dans des conditions révélant des agissements constitutifs de harcèlement moral. Les missions confiées à la requérante et les demandes régulières de points d'étape par sa hiérarchie sur les dossiers suivis, attestent de l'importance de ce poste pour la direction générale, dont les fonctions sont identifiées comme correspondant à celles d'un agent de catégorie A. Si Mme B... évoque des tâches d'exécution confiées par la nouvelle directrice alors qu'elle était un agent de catégorie A, une différence de traitement entre elle et une autre cheffe de service qui recevait le courrier et avait l'autorisation d'accorder des congés en l'absence de la directrice, des discussions entre la directrice et cette collègue lors de présentations menées par la requérante, des consignes données à d'autres agents leur interdisant de réaliser des tâches à son profit et un travail direct entre la directrice et l'assistante de la requérante sans qu'elle soit préalablement consultée, elle se borne à produire des échanges de courriels restés sans réponse de la part de sa hiérarchie ou révélant l'existence d'un retard de quelques mois dans le traitement d'un dossier relatif aux astreintes devant les instances représentatives, qui ne sauraient révéler une absence de considération de la part de la collectivité ou des agissements constitutifs de harcèlement moral. Mme B... fait également valoir qu'elle a été mise à l'écart de la direction des ressources humaines par son changement de bureau dans une autre aile de la mairie ou encore un refus d'accès ou d'extension de droits à certains logiciels de la direction, mais il ressort des fiches d'évaluation de la requérante qu'elle avait elle-même sollicité à plusieurs reprise un " environnement de travail serein " dont elle ne pouvait bénéficier au sein de cette direction en raison de sa forte mésentente avec la nouvelle directrice des ressources humaines et qu'elle pouvait solliciter des informations relatives à la liquidation du traitement des agents ou tenant à la modification de certaines données lorsqu'elles étaient erronées. En outre, il résulte de l'instruction que la mission " responsable sociétale des organisations " a été directement rattachée au directeur général des services, dans le souci d'extraire Mme B... des relations délétères entretenues avec la directrice des ressources humaines. Quant au refus de reconnaître imputables au service les troubles anxio-dépressifs de l'intéressée à partir de 2012, il ne saurait constituer un agissement consécutif de harcèlement moral dès lors que la procédure de reconnaissance d'imputabilité a été menée à terme par l'administration. Enfin, compte tenu de l'importance des missions confiées à l'intéressée dans le cadre de l'exercice de ses nouvelles fonctions, l'absence d'encadrement de personnels dans le cadre de ce nouveau poste ne saurait être regardée, à elle-seule, comme une diminution des responsabilités exercées par Mme B.... Dans ces conditions, les agissements en cause ne sauraient être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral.
En ce qui concerne la faute générale dans l'organisation du service :
7. Mme B... soutient qu'elle n'a pas été consultée lors de la réorganisation de la direction des ressources humaines, s'agissant notamment de la réorganisation du service " Propreté " alors même que cette mission était notée sur sa fiche de poste, que cette réorganisation a entraîné une nouvelle répartition des tâches des agents et une participation d'autres agents et de la directrice au processus de recrutement dont elle s'occupait auparavant seule. Elle ajoute que sa hiérarchie n'a pas su réagir face à sa situation de mal-être au travail, ou à tout le moins qu'elle n'a pas su réagir de manière satisfaisante. Toutefois, la réorganisation de la direction des ressources humaines, notamment la réorganisation du service " Propreté ", constitue une mesure d'organisation du service qui relève, par nature, de la responsabilité de la directrice des ressources humaines de la collectivité et n'excède pas ainsi les limites de l'exercice normal du pourvoir hiérarchique et d'organisation. S'il est regrettable que Mme B... n'ait pas été consultée sur la réorganisation du service " Propreté ", dans le cadre d'un management associant les différents acteurs de cette mission particulière, cette seule absence de consultation ne saurait révéler l'existence d'un comportement vexatoire à l'encontre de la requérante de nature à constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration. Enfin, il n'est pas contesté que l'intéressée a été reçue le 3 avril 2015 par la maire de la commune et, qu'au cours cet entretien, elle a pu évoquer les reproches formulés à l'encontre de sa hiérarchie depuis 2012.
8. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'agissements constitutifs de harcèlement moral ou d'une faute de la collectivité dans l'organisation du service, les conclusions indemnitaires de Mme B... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme réclamée par la commune de C... au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de C... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et à la commune de C....
Délibéré après l'audience du 2 février 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 février 2024.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT01527