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20/02/2024 | FRANCE | N°23NT01207

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 février 2024, 23NT01207


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 1er février 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2302466 du 10 mars 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistr

ée le 26 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Néraudau, demande à la cour :



1°) d'annuler c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 1er février 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2302466 du 10 mars 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Néraudau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er février 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ; le premier juge a omis de répondre au moyen tiré du non-respect du principe de confidentialité lors de l'entretien individuel ;

- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle et familiale et en particulier de sa vulnérabilité ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle ne mentionne pas la décision d'éloignement prise par les autorités espagnoles ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

-cette décision méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 9 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 et de l'article 6-1 du règlement du 26 juin 2013 ;

Par des pièces et un mémoire en défense, enregistrés les 12 septembre et 2 octobre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- et les observations de Me Néraudau, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante guinéenne, relève appel du jugement du 10 mars 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er février 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si Mme B... fait valoir que le jugement attaqué ne répond pas au moyen tiré du non-respect de la confidentialité de l'entretien individuel dont elle a bénéficié, le magistrat désigné du tribunal administratif n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par l'intéressée à l'appui de ses moyens dès lors qu'ils n'étaient pas fondés. Par ailleurs, il ressort des termes même de ce jugement que ce magistrat a suffisamment motivé la réponse apportée à chacun des moyens soulevés. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation et d'une omission à examiner un moyen. Le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'irrégularité à raison de ces motifs manque en fait et ne peut dès lors qu'être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles :

3. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, les moyens invoqués par la requérante, tirés de ce que la décision contestée serait insuffisamment motivée et contraire à l'article 4 du règlement n° 604 2013 du 26 juin 2013, que l'intéressée réitère en appel, sans apporter de précisions nouvelles.

4. En deuxième lieu, si la requérante fait valoir que la décision contestée ne mentionne pas la mesure d'éloignement prise à son encontre le 2 novembre 2022 par les autorités espagnoles cette seule circonstance ne suffit pas à établir que le préfet n'aurait procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et familiale, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 3 sa décision est par ailleurs suffisamment motivée en droit et en fait. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, lors de son entretien individuel Mme B... a déclaré être restée en Espagne durant trois semaines et avoir été hébergée à Lanzarote puis à Las Palmas aux Canaries, qui font parties du territoire espagnol. Si l'intéressée conteste les mentions issues du fichier Eurodac, faisant apparaître que ses empreintes digitales ont été relevées par les autorités espagnoles le 29 novembre 2022, les billets d'avion dont elle se prévaut sont relatifs des déplacements effectués le 28 novembre 2022 entre les îles Canaries et Bilbao et ne démontrent pas qu'à cette date elle avait quitté l'Espagne. Par ailleurs, le billet de transport en autocar qu'elle produit est relatif à un voyage entre Bayonne et Nantes, le 1er décembre 2022. Par suite, ces justificatifs ne sont pas de nature à établir le caractère erroné des mentions enregistrées dans le fichier Eurodac par les autorités espagnoles, lesquelles ne précisent pas le lieu où elles ont été relevées sur le territoire espagnol mais seulement que l'intéressée a été " appréhendée " aux Canaries. En conséquence, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur de fait à raison de ce motif ne peut qu'être écarté.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Enfin, aux termes de l'article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951 : " Défense d'expulsion et de refoulement : 1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (...) ".

7. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

9. Si Mme B... soutient qu'elle a fui la Guinée en raison d'un risque d'excision qu'encourrait sa fille C..., alors âgée de six ans, la décision contestée n'a pas pour effet de la renvoyer en compagnie de son enfant en Guinée mais uniquement de la transférer en Espagne. Par ailleurs, la circonstance que les autorités espagnoles ont pris à l'encontre de Mme B..., le lendemain de son arrivée sur les côtes des îles Canaries, une décision portant " résolution de retour " vers son pays d'origine n'est pas de nature, à elle seule, à établir une violation des stipulations précitées de l'article 33 de la convention de Genève, dès lors qu'il est constant que l'intéressée a pu rester en Espagne jusqu'au 30 novembre 2022, sans être éloignée vers la Guinée. En outre, il n'est pas établi, ni même allégué, que cette décision serait devenue définitive et restait exécutoire à la date du 1er février 2023. Par suite, et eu égard à ce qui a été dit aux points 7 et 8, les moyens tirés de la violation des stipulations des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent qu'être écartés.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Lors de son entretien individuel, Mme B... a déclaré que son conjoint résidait en France. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la demande d'asile présentée par celui-ci a été rejetée par une décision de la cour nationale du droit d'asile du 18 mars 2019 et qu'une obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre le 13 décembre 2021. Par suite, l'intéressé, dont au demeurant il n'est aucunement établi qu'il serait le père des enfants de Mme B..., n'a pas vocation à rester en France. Par ailleurs, par les justificatifs qu'elle produit, la requérante n'établit ni la gravité des problèmes de santé dont elle souffrirait, ni même que sa fille C... serait atteinte de paludisme, ainsi qu'elle le prétend. Par suite, Mme B... n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités espagnoles, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ce moyen ne peut dès lors qu'être écarté.

12. En sixième lieu, aux termes de l'article 6 du règlement du 26 juin 2013 : " L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3.1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le compagnon de Mme B... n'a pas vocation à rester en France. Par suite, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée aurait pour effet de priver sa fille de la présence à ses côtés de son père. Par ailleurs, si l'enfant C... est scolarisée en France, cette circonstance ne suffit pas à établir que la décision contestée serait contraire aux dispositions précitées de l'article 6 du règlement du 26 juin 2013 et aux stipulations de la convention relative aux droits de l'enfant. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces dispositions ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur le surplus des conclusions :

14. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par Mme B... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 2 février 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 février 2024

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01207


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01207
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;23nt01207 ?
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