Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2311904 du 24 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 septembre 2023 et le 19 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Lachaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 août 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités italiennes ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer sa demande d'asile, de lui remettre un dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; l'Italie connaît des défaillances systémiques dans les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile entraînant une méconnaissance du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en raison de l'indisponibilité des installations d'accueil dont fait état la circulaire du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet, première conseillère ;
- et les observations de Me Benveniste, avocat substituant Me Lachaux, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen né le 12 janvier 2002 à Conakry (Guinée) déclare être entré en France le 14 avril 2023. Il a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique, qui a été enregistrée le 19 avril 2023. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait franchi irrégulièrement la frontière italienne dans la période précédant les 12 mois du dépôt de sa première demande d'asile et que ses empreintes ont été enregistrées dans ce fichier le 17 février 2023. Saisies par les autorités françaises le 26 avril 2023, les autorités italiennes ont accepté leur responsabilité par accord implicite et en ont été informées le 5 juillet 2023. Par un arrêté du 6 juillet 2023, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer l'intéressé aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. M. C... relève appel du jugement du 24 août 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ".
3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
4. M. B... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile faisant l'objet de mesures de transfert auprès des autorités italiennes. Il fait référence notamment à une lettre circulaire du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. En application des dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013, il appartient à l'autorité préfectorale, lorsqu'elle détermine l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, d'apprécier s'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs. En produisant la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l'Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l'indisponibilité des installations d'accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022, le requérant apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées. Le préfet de Maine-et-Loire n'établit pas que la situation de fait aurait évolué de manière significative et que l'indisponibilité des installations d'accueil invoquée par l'Italie avait cessé à la date du 6 juillet 2023 à laquelle il a décidé le transfert de M. B... vers ce pays. Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen tiré par le requérant de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de la république italienne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
7. L'annulation de la décision de transfert vers l'Italie de M. B... est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'il existait en Italie, à la date de l'arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d'annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à M. B..., ainsi qu'il le demande, une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2 de l'article 3 précité du règlement.
Sur les frais liés au litige :
8. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Aussi, et dans la mesure où l'Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de 1 200 euros HT, à verser à Me Lachaux, avocate du requérant. Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu'elle perçoive la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle dont bénéficie l'intéressé.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2311904 du 24 août 2023 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant le transfert de M. B... aux autorités italiennes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer la demande d'asile de M. B... en procédure normale dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros HT à Me Lachaux en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Lachaux et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2024.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02750