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02/02/2024 | FRANCE | N°23NT03081

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 02 février 2024, 23NT03081


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités lituaniennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2310678 du 9 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une r

equête, enregistrée le 19 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Neraudau, demande à la cour :



1°) d'annuler le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités lituaniennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2310678 du 9 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Neraudau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 août 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur les fondements des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le premier juge a commis une erreur de droit et une erreur de fait ;

- la décision contestée méconnaît le paragraphe 1 de l'article 6 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle et est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît le 2 de l'article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du même règlement ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Un mémoire présenté pour le préfet du Maine-et-Loire a été enregistré le 15 janvier 2024 postérieurement à la clôture automatique de l'instruction.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet ;

- et les observations de Me Neraudau, avocate représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant congolais, né le 22 février 1995, à Brazzaville (Congo), a déclaré être entré irrégulièrement en France le 27 mars 2023. Il a déposé auprès des services de la préfecture de Maine-et-Loire une demande d'asile qui a été enregistrée le 24 mai 2023. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait été identifié en Lituanie le 22 juillet 2021 à l'occasion du dépôt d'une demande d'asile. Saisies par les autorités françaises le 1er juin 2023, les autorités lituaniennes ont accepté leur responsabilité par décision explicite du 2 juin 2023. M. B... relève appel du jugement du 9 août 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 juillet 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités lituaniennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

2. En premier lieu, l'arrêté du 5 juillet 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert en Lituanie de M. B... comporte les éléments de droit et de fait qui le fondent, notamment au sujet de son état de santé et de sa situation familiale et, par suite, de sa vulnérabilité éventuelle. Il ne ressort pas de la motivation de cet arrêté, ni des autres pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et du défaut d'examen de la situation de M. B... doivent être écartés.

3. En deuxième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

4. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

5. M. B... fait tout d'abord état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Lituanie et soutient qu'il a été victime de traitements inhumains et dégradants lors de son passage dans ce pays où il serait resté, selon ses dires, en détention pendant plus d'un an et demi lors de l'instruction de sa demande d'asile. Cependant, les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par ces autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Lituanie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En particulier, il ne peut utilement se prévaloir de deux attestations des 13 juin 2023 et 4 novembre 2022 établies par une association non gouvernementale située à Vilnius et un membre de " Médecins sans frontières " en Lituanie, qui sont relatives à la situation de sa compagne. De fait, les autorités lituaniennes ont explicitement accepté de reprendre en charge l'intéressé sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. En outre, s'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-72/22 du 30 juin 2022 que la nouvelle législation lituanienne méconnaît l'article 8-2 de la directive 2013/33/UE relatif au placement en rétention au cas par cas, et même si elle méconnaît aussi son article 9-3 relatif au contrôle juridictionnel du placement, il ressort des pièces du dossier, que les autorités lituaniennes ont bien enregistré la demande d'asile de M. B... et qu'elles ont explicitement accepté de reprendre en charge l'intéressé sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il n'est pas davantage établi que M. B... ne serait pas en mesure de faire valoir auprès des autorités lituaniennes tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle, ni que les autorités lituaniennes n'évalueront pas d'office les risques réels de mauvais traitements auxquels il serait exposé en cas de renvoi dans son pays d'origine. D'ailleurs, dans le résumé de son entretien individuel du 24 mai 2023, M. B... a déclaré que sa demande d'asile en Lituanie ayant été rejetée, il a pu déposer un recours, dont il ignore les suites et qu'il avait eu accès à un médecin pour le suivi de problèmes de santé. Dans ces conditions, les éléments au dossier ne permettent pas de caractériser des raisons sérieuses de croire qu'il existe en Lituanie des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, qui imposaient au préfet de s'assurer auprès des autorités lituaniennes des conditions de traitement de la demande d'asile de l'intéressé, ni qu'il y serait exposé au risque de subir des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

6. Par ailleurs, si M. B... invoque sa situation de vulnérabilité compte-tenu de son parcours migratoire, sa fragilité psychologique ainsi que des douleurs à la poitrine, le certificat de présence à un centre médico-psychologique dans le cadre d'un suivi daté 6 juillet 2023 ainsi qu'un courrier d'un médecin généraliste du 17 octobre 2023, ne suffisent pas à démontrer qu'il se trouverait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. En tout état de cause, il n'est aucunement établi que M. B... n'aurait pas accès en Lituanie aux traitements requis par son état de santé, alors surtout que les autorités lituaniennes ont expressément accepté de le reprendre en charge. En outre, si M. B... fait état d'un concubinage avec une compatriote dont il a reconnu l'enfant à naître, il ressort des pièces du dossier que cette dernière se trouve en situation irrégulière en France et fait aussi l'objet d'une décision de transfert vers la Lituanie dont la légalité est confirmée par un arrêt de la cour n° 23NT03080 du même jour.

7. Enfin, M. B... ne peut utilement invoquer les risques encourus dans son pays d'origine ou lors de son parcours d'exil hors de l'Europe à l'encontre d'une décision de transfert.

8. Dans ces conditions, et en l'absence de tout autre élément de vulnérabilité, le requérant n'est fondé à soutenir ni que la décision de transfert contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou du 2 de l'article 3 du règlement UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni que le préfet de Maine-et-Loire, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du même règlement aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

9. En troisième et dernier lieu, s'il résulte du 1 de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant, M. B... ne peut utilement se prévaloir de ces stipulations à l'encontre de la mesure de transfert litigieuse prise avant la naissance de son enfant.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 juillet 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités lituaniennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Neraudau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Derlange, président,

- Mme Picquet, première conseillère,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

S. DERLANGE

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03081


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03081
Date de la décision : 02/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DERLANGE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-02;23nt03081 ?
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