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02/02/2024 | FRANCE | N°23NT03030

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 02 février 2024, 23NT03030


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2310125 du 10 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une re

quête, enregistrée le 17 octobre 2023, M. B... C..., représenté par Me Lavenant, demande à la cour :



1°) d'annule...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2310125 du 10 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2023, M. B... C..., représenté par Me Lavenant, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 août 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler l'arrêté du 21 juin 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le même délai sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur les fondements des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision contestée méconnaît les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle et est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît le 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du même règlement ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2024, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... C... ne sont pas fondés.

M. B... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet ;

- et les observations Me Lavenant, avocate représentant M. B... C....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant soudanais, né le 1er janvier 1970, au Darfour (Soudan), a déclaré être entré irrégulièrement en France le 5 mai 2023. Il a déposé auprès des services de la préfecture de Loire-Atlantique une demande d'asile qui a été enregistrée le 17 mai 2023. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait été identifié en Croatie le 21 avril 2023 à l'occasion du dépôt d'une demande d'asile. Saisies par les autorités françaises le 25 mai 2023, les autorités croates ont accepté leur responsabilité par décision explicite du 8 juin 2023. M. B... C... relève appel du jugement du 10 août 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. (...) Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... C... s'est vu remettre, le 17 mai 2023, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressé le 17 mai 2023, sont rédigés en arabe, langue officielle du Soudan qu'il a déclaré comprendre, ainsi que cela ressort des termes du recueil de ses données. Leur contenu lui a également été communiqué oralement lors de l'entretien du même jour où il était assisté d'un interprète en soudanais, via les services de l'association ISM, agréée par le ministère de l'intérieur, qui a assuré l'interprétariat par téléphone, ainsi qu'en témoignent les cases cochées sur le compte-rendu d'entretien individuel par M. B... C..., qui a ainsi déclaré avoir compris les informations communiquées et qui établit qu'il a pu répondre aux questions qui lui étaient posées. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a bénéficié de l'entretien individuel mentionné à l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui s'est déroulé le 17 mai 2023 à la préfecture de la Loire-Atlantique, mené avec le concours d'un interprète en soudanais. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant la confidentialité ou par une personne qualifiée en vertu du droit national. Par ailleurs, il ressort du compte rendu d'entretien, signé par l'intéressé, que M. B... C... a été interrogé de manière approfondie sur sa situation personnelle, notamment familiale, ainsi que sur son parcours migratoire et son état de santé. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

7. En troisième lieu, l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert en Croatie de M. B... C... comporte les éléments de droit et de fait qui le fondent, notamment au sujet de son état de santé et de sa situation familiale et, par suite, de sa vulnérabilité éventuelle. Il ne ressort pas de la motivation de cet arrêté, ni des autres pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et du défaut d'examen de la situation de M. B... C... doivent être écartés.

8. En dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

9. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

10. M. B... C... fait tout d'abord état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Croatie. Toutefois, les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations tenant à des considérations d'ordre général sur la situation de demandeurs d'asile en Croatie ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Croatie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Par ailleurs, si M. B... C... invoque sa situation de vulnérabilité compte-tenu de son parcours migratoire, cet élément ne suffit pas à démontrer qu'il se trouverait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Le requérant ne démontre pas davantage qu'il serait exposé au risque de subir en Croatie des traitements contraires aux dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en se bornant à de simples affirmations concernant sa prise en charge et l'absence de conditions matérielles d'accueil lors de son premier passage dans ce pays. Au surplus, il ne peut utilement invoquer les risques encourus dans son pays d'origine ou lors de son parcours d'exil hors de l'Europe à l'encontre d'une décision de transfert.

12. Dans ces conditions, le requérant n'est fondé à soutenir ni que la décision de transfert contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni que le préfet de Maine-et-Loire, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du même règlement, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... C..., à Me Lavenant et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Derlange, président,

- Mme Picquet, première conseillère,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

S. DERLANGE

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03030


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03030
Date de la décision : 02/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DERLANGE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : LAVENANT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-02;23nt03030 ?
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