La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/02/2024 | FRANCE | N°23NT02566

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 02 février 2024, 23NT02566


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... A... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 16 août 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel la même autorité l'a assigné à résidence.



Par un jugement n° 2304488 du 23 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a admis M. A

... D..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1er), a annulé l'arrêté du 16 ...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 16 août 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel la même autorité l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2304488 du 23 août 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a admis M. A... D..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1er), a annulé l'arrêté du 16 août 2023 portant transfert aux autorités suédoises (article 2) ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence pour un délai de quarante-cinq jours (article 3) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4).

Procédures devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 août 2023 et le 4 janvier 2024 sous le n° 23NT02566, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour d'annuler les articles 2 à 4 de ce jugement du 23 août 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes et de rejeter la demande présentée par M. A... D... devant ce tribunal.

Il soutient que :

- il n'a pas méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2016 et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il reprend l'ensemble de ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2023, M. E... A... D..., représenté par Me Thebault, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 25 août 2023 sous le n° 23NT02567, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 23 août 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que :

- il n'a pas entaché ses arrêtés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés par le requérant en première instance ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. E... A... D... qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 modifié du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Chollet, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes enregistrées sous les numéros 23NT02566 et 23NT02567, présentées par le préfet d'Ille-et-Vilaine sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. A... D..., ressortissant afghan né le 3 février 1998 à Juguri (Afghanistan), a déclaré être entré irrégulièrement en France le 12 mai 2023. Il a déposé auprès des services de la préfecture du Val d'Oise une demande d'asile qui a été enregistrée le 23 mai 2023. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait auparavant sollicité l'asile auprès des autorités suédoises. Saisies par les autorités françaises le 7 juillet 2023, les autorités suédoises ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 12 juillet 2023 sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 23 août 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 16 août 2023 portant transfert aux autorités suédoises de M. A... D... ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence pour un délai de quarante-cinq jours.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

4. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

5. Pour annuler les arrêtés contestés, pour méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la magistrate désignée a estimé que la remise de M. A... D... aux autorités suédoises l'exposerait, par ricochet, à un risque de renvoi en Afghanistan où il serait particulièrement exposé au risque de subir des traitements contraires à ces stipulations, compte-tenu de son appartenance à la communauté des Hazaras, à sa conversion au christianisme et à son profil " occidentalisé ". Toutefois, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Suède des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et alors que l'intéressé ne faisait état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait soumis en Suède à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 16 août 2023 portant transfert de M. A... D... aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté portant assignation à résidence, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a considéré qu'il avait entaché sa décision de transfert aux autorités suédoises d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement et avait méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... D....

7. En premier lieu, les arrêtés du 16 août 2023 portant transfert aux autorités suédoises et assignation à résidence ont été signés par Mme C... B..., cheffe du bureau de l'asile de la préfecture d'Ille-et-Vilaine, laquelle bénéficiait d'une délégation accordée par un arrêté du 18 juillet 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture d'Ille-et-Vilaine du même jour, à l'effet de les signer. Cette publication, qui rend la délégation consultable sur le site internet de la préfecture a, en raison de l'objet d'une telle décision, été suffisante pour lui conférer date certaine et la rendre opposable aux tiers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés contestés doit être écarté.

8. En second lieu, aux termes du 1 de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 modifié du 2 septembre 2003 : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Enfin, aux termes de l'article 19 de ce même règlement : " 1. Chaque État membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. / 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. / 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé de réception pour toute transmission entrante. (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national font foi de la transmission de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

9. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la copie de l'accusé de réception " DubliNet " produite par le préfet d'Ille-et-Vilaine, qui comporte le numéro de référence du dossier de M. A... D..., que la demande de reprise en charge de l'intéressé a été formée le 7 juillet 2023 par le réseau de communication " DubliNet " sur le fondement des dispositions de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que les autorités suédoises ont accusé réception de cette demande le 7 juillet 2023. Elles ont accepté explicitement de reprendre en charge M. A... D... le 12 juillet 2023. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'articles 21 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 16 août 2023 par lequel il a décidé le transfert de M. A... D... aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel il l'a assigné à résidence.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :

11. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel du préfet d'Ille-et-Vilaine contre le jugement du 23 août 2023. Par suite, les conclusions de la requête n° 23NT02567 aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A... D... au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23NT02567.

Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes du 23 août 2023 sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par M. A... D... devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... D..., à Me Thebault et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Derlange, président,

- Mme Picquet, première conseillère,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

S. DERLANGE

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23NT02566,23NT02567


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02566
Date de la décision : 02/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DERLANGE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : THEBAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-02;23nt02566 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award