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23/01/2024 | FRANCE | N°23NT03133

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 23 janvier 2024, 23NT03133


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les deux arrêtés du 27 juin 2023 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé leur transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile.



Par un jugement nos 2303705, 2303708 du 24 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.



Procédure devant

la cour :



Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2023, M. D... et Mme C..., représentés par Me L...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les deux arrêtés du 27 juin 2023 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé leur transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile.

Par un jugement nos 2303705, 2303708 du 24 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2023, M. D... et Mme C..., représentés par Me Le Strat, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 juillet 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler les deux arrêtés du 27 juin 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de leur délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation administrative et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur les fondements des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les décisions contestées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et méconnaissent les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le 2 de l'article 3 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet ;

- et les observations de Me Niguès, substituant Me Le Strat, avocat représentant M. D... et Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... et Mme C..., ressortissants russes, nés respectivement le 4 février 1984 et 28 août 1984, à Staro-Chedrinskaya et (Russie) déclarent être entrés en France le 20 mars 2023. Ils ont déposé auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine une demande d'asile qui a été enregistrée le 3 avril 2023. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de leurs empreintes digitales a révélé qu'ils avaient sollicité préalablement l'asile en Croatie. Saisies par les autorités françaises le 9 mai 2023, les autorités croates ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 23 mai 2023. M. D... et Mme C... relèvent appel du jugement du 24 juillet 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 27 juin 2023 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé leur transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de leur demande d'asile.

2. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. Les requérants font tout d'abord état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Croatie et évoquent un risque de renvoi par ricochet dans leur pays d'origine en cas de transfert. Toutefois, les documents qu'ils produisent à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que leurs propres demandes d'asile seraient exposées à un risque sérieux de ne pas être traitées par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Croatie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, les éléments au dossier ne permettent pas de caractériser des raisons sérieuses de croire qu'il existe en Croatie des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, qui imposaient au préfet de s'assurer auprès des autorités croates des conditions de traitement des demandes d'asile des intéressés, ni qu'ils y seraient exposés au risque de subir des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

5. En outre, les requérants ne peuvent utilement soutenir qu'ils sont d'origine tchéchène et faire état de menaces graves dans leur pays du fait de la mobilisation russe actée dans le cadre de la guerre contre l'Ukraine pour tous les ressortissants russes, en particulier du risque d'enrôlement de M. D..., dès lors que les arrêtés contestés ne constituent pas des mesures d'éloignement vers leur pays.

6. Par ailleurs, si les requérants invoquent leur situation de vulnérabilité en ce qu'ils auraient été maltraités en Croatie, retenus pendant trois heures par des policiers puis emmenés dans un container pendant deux heures de trajet pour être transférés dans un centre rétention, sans accès à la nourriture et à l'eau, la production de rapports d'organisations internationales et d'articles de presse qui font état de considérations d'ordre général sur la Croatie, ne permettent pas de justifier leurs allégations. Les requérants ne démontrent ainsi pas que leurs conditions de vie en Croatie les auraient placés dans une situation de vulnérabilité telle que le préfet d'Ille-et-Vilaine a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'instruire leurs demandes d'asile en France.

7. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir ni que les décisions de transfert contestées méconnaîtraient les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni qu'elles méconnaissent le 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni que le préfet d'Ille-et-Vilaine, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du même règlement aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ses décisions sur leurs situations personnelles.

8. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".

9. M. D... et Mme C... font état de la présence en France de cousins, titulaires de cartes de résident ou de nationalité française et les aidant dans leurs démarches administratives. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas à démontrer que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale, eu égard à leur entrée récente en France, alors que ces personnes ne constituent au demeurant pas des membres de la famille du demandeur d'asile au sens des dispositions de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... et Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Mme A... C..., à Me Le Strat et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Derlange, président,

- Mme Picquet, première conseillère,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

S. DERLANGE

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03133


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03133
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DERLANGE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CABINET GAELLE LE STRAT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;23nt03133 ?
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