Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... et Mme A... C... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur leurs recours formés contre les décisions du 8 mars 2022 de l'autorité consulaire française à Tunis refusant de leur délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendants non à charge de ressortissant français.
Par un jugement n°s 2211169 et 2211172 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé ces décisions et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juin 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 avril 2023 ;
2°) de rejeter les demandes de M. et Mme B... présentées devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur soutient que :
- M. et Mme B... ne justifient pas des ressources leur permettant de financer leur séjour de 6 mois en France ;
- le motif tiré de ce que M. et Mme B... ne justifient pas de la nécessité d'un séjour permanent en France, substitué au motif retenu par la décision contestée, est de nature à la fonder légalement.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 juillet et 15 septembre 2023, M. D... B... et Mme A... C... épouse B... représentés par Me Hervet, concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés ;
- la décision en litige méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B... et Mme A... C..., ressortissants tunisiens nés respectivement en 1950 et 1955, ont déposé une demande de visa de long séjour en qualité d'ascendants non à charge d'une ressortissante française auprès de l'autorité consulaire française à Tunis, laquelle a rejeté ces demandes par deux décisions du 8 mars 2022. Le recours formé contre ces refus consulaires devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par des décisions implicites nées du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. Le ministre de l'intérieur relève appel des jugements du tribunal administratif de Nantes du 27 avril 2023 annulant les décisions de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et lui enjoignant de délivrer les visas de long séjour sollicités. Par un arrêt n° 28NT01860 du 1er septembre 2023, le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a sursis à l'exécution de ce jugement.
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter les recours formés à l'encontre des décisions des autorités consulaires françaises à Tunis, sur la circonstance que les informations communiquées, pour justifier des conditions du séjour de M. et Mme B..., sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables et que les revenus sont insuffisants pour faire face, de manière autonome, aux frais de toute nature liés à un séjour en France de plus de trois mois.
3. En premier lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif aux points 3 à 6 du jugement attaqué, il y a lieu de retenir que les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
4. En deuxième lieu, toutefois, pour établir que la décision attaquée était légale, le ministre fait valoir, pour la première fois en appel, un nouveau motif, selon lequel M. et Mme B... ne justifient pas de la nécessité pour eux d'un séjour permanent en France.
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. L'étranger désirant se rendre en France et qui sollicite un visa de long séjour en qualité de visiteur doit justifier de la nécessité dans laquelle il se trouve de résider en France pour un séjour de plus de trois mois. En l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas où ce visa peut être refusé, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises, saisies d'une telle demande, disposent, sous le contrôle par le juge de l'excès de pouvoir, d'un large pouvoir d'appréciation et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, tel que le détournement de l'objet du visa, mais aussi sur toute considération d'intérêt général.
7. M. et Mme B... souhaitent se voir délivrer un visa de long séjour afin de rendre visite plus aisément en France à leur fille, ressortissante française, et à leurs petits-enfants. Selon leurs explications, cette demande est justifiée par leur souhait d'éviter les contraintes procédurales liées à la délivrance de visas de court séjour, eu égard notamment à la longueur de celles-ci et à leur âge. Toutefois, alors que les intéressés ont régulièrement bénéficié de visas de court séjour depuis plusieurs années pour rendre visite à leur fille, un tel motif n'établit pas que leur présence sur le territoire français plus de trois mois consécutifs soit nécessaire. A cet égard, les certificats médicaux qu'ils produisent concernant l'état de santé de leur fille ne permettent pas d'établir que leur présence à ses côtés serait nécessaire de manière durable au quotidien. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris les mêmes décisions en ne se fondant que sur ce seul motif. Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive M. et Mme B... d'aucune garantie.
8. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler les décisions contestées, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme B... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
10. En premier lieu, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".
11. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". L'article D 312-8-1 du même code, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours ".
12. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.
13. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
14. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.
15. Il ressort de l'accusé de réception du recours formé par M. et Mme B... devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France que ceux-ci-ont été informés de ce qu'en l'absence de réponse expresse sur celui-ci, le recours est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. En l'espèce, les décisions consulaires comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait et doit être écarté.
16. En deuxième lieu, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que les demandes de visa de M. et Mme B... n'auraient pas fait l'objet d'un examen particulier par l'administration.
17. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
18. Comme il a été dit au point 7 du présent arrêt, M. et Mme B... ne justifient pas de la nécessité dans laquelle ils se trouveraient de résider en France de manière permanente, ou durable ni de l'impossibilité de visiter leur famille en France pour de courts séjours. En outre, M. et Mme B... nés en 1950 et 1955 ont passé toute leur vie dans leur pays d'origine et ne démontrent ni même n'allèguent que leur fille ne pourrait également leur rendre visite en Tunisie. Par suite, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions en litige porteraient une atteinte disproportionnée à leur droit à mener une vie privée et familiale normale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. et Mme B..., les décisions implicites de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°s 2211169 et 2211172 du tribunal administratif de Nantes du 27 avril 2023 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. et Mme D... et A... B....
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01859