Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 9 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Tunis (République tunisienne) refusant de délivrer à M. B..., son époux, un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.
Par un jugement n° 2111615 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 9 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juin 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... épouse B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le mariage de M. B... avec une ressortissante française est frauduleux ;
- la décision de la commission de recours n'est pas entachée d'illégalité en ce que la présence en France de M. B... constitue une menace pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2022, Mme A... épouse B..., représentée par Me Berradia, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi sur l'aide juridique.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu à Mme A... épouse B..., par une décision du 26 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme C... A... épouse B..., la décision du 9 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre la décision par laquelle l'autorité consulaire française à Tunis (République tunisienne) a refusé de délivrer à M. B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. (...) ". Aux termes de l'article L. 312-3 du même code : " Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de ressortissant français. / Il ne peut être refusé qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. ".
3. Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, de l'établir, la seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée n'y faisant pas obstacle.
4. Il ressort des motifs de la décision du 9 juin 2021 que, pour refuser le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré du caractère complaisant du mariage, conclu à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, dans le seul but de faciliter l'établissement en France du demandeur.
5. Le ministre de l'intérieur fait valoir que Mme A... épouse B... et M. B... se sont rencontrés 4 mois seulement avant la célébration de leur mariage, le 31 octobre 2020, qu'à cette date, la requérante, âgée de 51 ans et divorcée deux fois, était suivie médicalement pour le traitement d'une dépression sévère, que M. B... âgé, quant à lui, de 38 ans était en situation irrégulière et qu'entre leur mariage et le retour en Tunisie de M. B... pour y solliciter un visa, les époux n'ont pas vécu ensemble. La production par la requérante de l'attestation d'un restaurateur, rédigée postérieurement à la décision de la commission de recours et qui, d'ailleurs, ne mentionne pas le nom de son auteur, selon laquelle le couple a fréquenté l'établissement une fois par mois jusqu'en 2020, n'est pas de nature à remettre en cause la matérialité des éléments de fait énoncés ci-dessus par le ministre. Dans ces circonstances et quand bien même Mme A... épouse B... a rendu visite à son époux, au mois de mai 2021, le ministre doit être regardé comme établissant que le mariage litigieux a été contracté à des fins étrangères à l'union matrimoniale dans le but d'obtenir un visa d'entrée en France.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision du 9 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, sur le motif tiré de ce qu'en estimant que le mariage était frauduleux la commission a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par Mme A... épouse B... devant le tribunal administratif de Nantes.
8. La décision du 9 juin 2021 de la commission de recours vise les articles L. 311-1 et L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique que la commission a rejeté le recours au motif qu'il n'y avait pas de preuves convaincantes du maintien d'échanges réguliers et constants entre les époux depuis le mariage, qu'il n'était pas établi que le couple aurait un projet de vie commune ni que l'époux de la requérante participerait aux charges du mariage selon ses facultés propres, que ces éléments constituent un faisceau d'indices précis et concordants attestant du caractère complaisant du mariage, contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, dans le seul but de faciliter l'établissement du demandeur en France où il a séjourné irrégulièrement pendant 10 ans. Cette décision énonce ainsi avec suffisamment de précision les motifs de droit et de fait qui constituent son fondement. Le moyen tiré de ce que la décision du 9 juin 2021 serait insuffisamment motivée manque en fait et doit donc être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de procéder à la substitution de motifs sollicitée par le ministre de l'intérieur, que ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme C... A... épouse B..., la décision du 9 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme C... A... épouse B... :
9. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions présentées à fin d'injonction et d'astreinte par Mme C... A... épouse B... ne peuvent être que rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme C... A... épouse B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... épouse B... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions à fin d'injonction présentées en appel par Mme A... épouse B... ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme C... A... épouse B....
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLe greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01876