Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 7 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2306520 du 6 juin 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Lietavova, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 avril 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle et familiale ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3.2 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les observations de Me Lietavova, pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne, relève appel du jugement du 6 juin 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités italiennes :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3. Lors de son entretien individuel, Mme B..., qui a quitté son pays d'origine le 5 septembre 2022, a déclaré que son concubin, M. C... B..., résidait en France. S'il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile présentée par l'intéressé, qui est également né en Guinée, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la cour nationale du droit d'asile respectivement les 11 octobre 2021 et 16 décembre 2021, et si une obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre le 25 mai 2022, il n'est pas contesté qu'il n'a cependant pas vocation à retourner en Italie. Par ailleurs, la requérante, qui est âgée de 25 ans seulement, atteste par les documents médicaux qu'elle produit, qu'elle était enceinte depuis le 6 décembre 2022. Ainsi qu'elle le soutient, la décision contestée aurait donc pour effet de la séparer du père de son enfant. En outre, le compte-rendu de l'examen gynécologique réalisé le 21 février 2023 mentionne une perte de poids de 7 kg depuis le début de sa grossesse et la sage-femme du centre hospitalier de Laval où elle est suivie a certifié le 28 février 2023 que son état nécessitait une prise en charge au titre des " soins urgents et vitaux ". Enfin, si les empreintes digitales de Mme B... ont été enregistrées le 10 novembre 2022 par les autorités italiennes dans le fichier Eurodac, sous le N° IT 2 AG06Y3Z, ce qui atteste qu'elle n'a pas déposé de demande d'asile dans ce pays, l'intéressée précise qu'elle est entrée en France le 20 novembre 2022, de sorte que son séjour en Italie a été particulièrement bref. Au vu de l'ensemble de ces éléments, Mme B... est fondée à soutenir qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités italiennes, lesquelles n'ont accepté qu'implicitement sa prise en charge, le préfet de Maine-et-Loire a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, l'arrêté litigieux doit être annulé pour ce motif.
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Compte tenu du motif d'annulation retenu, l'exécution de l'arrêt implique qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à un mois, de délivrer à Mme B... une attestation de demander d'asile en procédure normale.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la condition de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lietavova, avocate de la requérante, d'une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2306520 du tribunal administratif de Nantes en date du 6 juin 2023, ainsi que l'arrêté du 7 avril 2023 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert de Mme B... auprès des autorités italiennes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à Mme B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Lietavova, conseil de Mme B..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 27 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- Mme Gélard, première conseillère,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 novembre 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02335