Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Heude Bâtiment à lui verser la somme de 62 856 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation des désordres affectant la salle de sport et la dalle portée en béton avec quartz pour véhicules lourds du centre d'incendie et de secours de Fougères, de mettre à la charge de cette société la somme de 5 471,63 euros au titre des frais d'expertise judiciaire et de prononcer ces condamnations avec intérêt au taux légal à compter de l'enregistrement de la demande de première instance, capitalisation des intérêts et actualisation sur la base de l'indice BT 01 du coût de la construction le plus récent au jour du jugement.
Par un jugement no 1903772 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné la société Heude Bâtiment à verser au département d'Ille-et-Vilaine la somme de 62 856 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019 et capitalisation des intérêts échus à la date du 22 juillet 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date et a mis les frais d'expertise, d'un montant de 5 471,63 euros, à la charge de la société Heude Bâtiment.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 décembre 2022 et 19 avril 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Heude Bâtiment, représentée par Me Peltier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 10 novembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande du département d'Ille-et-Vilaine ;
3°) de mettre à la charge de ce dernier une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa responsabilité contractuelle ne saurait être engagée en l'absence d'une obligation de résultat s'agissant des désordres allégués et dès lors qu'elle a respecté son obligation de moyens ;
- la garantie de parfait achèvement ne saurait être mise en œuvre en l'absence de manquement contractuel de sa part ;
- à cet égard, les désordres n'ont qu'un caractère esthétique et n'affectent pas la solidité de l'ouvrage ;
- le département a accepté l'aléa d'apparition des fissures esthétiques ;
- les fissures apparaissent aléatoirement sur les ouvrages en béton alors même que les règles de l'art ont été respectées ;
- c'est à tort que le tribunal a prononcé sa condamnation à supporter financièrement des travaux qui ne sont pas de nature à remédier à un désordre esthétique ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre l'exécution de l'ouvrage par ses soins et les désordres, de sorte que ceux-ci ne lui sont pas imputables ;
- elle n'a en tout état de cause commis aucune faute au regard des conditions météorologiques du coulage et de la réalisation de joints de dilatation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2023, et un mémoire enregistré le 19 mai 2023 qui n'a pas été communiqué, le département d'Ille-et-Vilaine conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la SAS Heude Bâtiment une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les travaux du lot n°5 ont été partiellement réceptionnés par décision du 19 juin 2017, avec la date du 28 mars 2017 comme date retenue pour l'achèvement des travaux, sous réserve de la réalisation de différentes prestations avant le 24 juillet 2017 et notamment la reprise des fissures de la dalle portée quartz véhicules lourds et de celles constatées sur les voiles béton de la salle de sport et ces réserves n'ont jamais été levées ;
- il résulte des règles de l'art que la société Heude Bâtiment était tenue, à tout le moins, à l'obligation de maitrise du risque et de limitation des différentes fissures ;
- au regard de leur nombre important, ces différentes fissures rendent l'aspect esthétique du centre d'incendie et de secours inacceptable ;
- la responsabilité contractuelle de la société Heude bâtiment peut donc être engagée sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ;
- certaines des fissures affectant l'ouvrage, et notamment la salle de sport, sont évolutives et dès lors, elles sont susceptibles de porter atteinte à la durabilité de l'ouvrage ;
- les désordres sont imputables à cette société dès lors que les fissures proviennent des conditions de coulage du béton.
Vu :
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Geffroy pour le département d'Ille-et-Vilaine.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 6 novembre 2014, le département d'Ille-et-Vilaine a confié à la société par actions simplifiée (SAS) Heude Bâtiment le lot n°5 " Gros-œuvre - Maçonnerie " des travaux de reconstruction du centre d'incendie et de secours de Fougères. Le 9 décembre 2015, le département a accepté l'entreprise déclarée comme sous-traitante par la SAS Heude Bâtiment, pour le coulage de dallages et planchers. Les travaux du lot " Gros-œuvre - Maçonnerie " ont été réceptionnés le 19 juin 2017 avec des réserves tenant, notamment, à la présence de fissures dans les murs en béton de la salle de sport et sur la dalle portée en béton avec quartz pour véhicules lourds. Par courrier du 23 février 2018, le département a notifié à la SAS Heude Bâtiment la prolongation du délai de garantie de parfait achèvement pour ces désordres, jusqu'à la levée des réserves. Par ordonnance du 21 juin 2018 du président du tribunal administratif de Rennes, un expert a été nommé à la demande du département d'Ille-et-Vilaine avec mission, notamment, de rechercher les causes des désordres, de déterminer les personnes responsables et d'indiquer la nature et le coût des travaux propres à y remédier. Le département d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la SAS Heude Bâtiment à lui verser la somme de 62 856 euros TTC en réparation de ces désordres, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou de la garantie de parfait achèvement ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de la garantie décennale. Par un jugement du 10 novembre 2022, le tribunal, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, a condamné la SAS Heude Bâtiment à verser au département d'Ille-et-Vilaine la somme de 62 856 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019 avec capitalisation des intérêts échus à la date du 22 juillet 2020 à chaque échéance annuelle à compter de cette date et a mis les frais d'expertise, d'un montant de 5 471,63 euros, à la charge de la SAS Heude Bâtiment. La SAS Heude Bâtiment fait appel de ce jugement.
Sur la responsabilité de la SAS Heude Bâtiment :
2. Aux termes de l'article 41.6 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché : " Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44.1. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, le maître de l'ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse. ". Aux termes de l'article 44.1 : " (...) Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44.2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. / Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41.4, le titulaire est tenu à une obligation dite " obligation de parfait achèvement " au titre de laquelle il doit : / a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41.5 et 41.6 ; / b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celles-ci ; / c) Procéder, le cas échéant, aux travaux confortatifs ou modificatifs dont la nécessité serait apparue à l'issue des épreuves effectuées conformément aux stipulations prévues par les documents particuliers du marché (...) / Les dépenses correspondant aux travaux complémentaires prescrits par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre ayant pour objet de remédier aux déficiences énoncées aux b et c ci-dessus ne sont à la charge de l'entrepreneur que si la cause de ces déficiences lui est imputable. L'obligation de parfait achèvement ne s'étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l'usage ou de l'usure normale. (...) ".
3. D'une part, en vertu des principes dont s'inspire l'article 1792-6 du code civil, la garantie de parfait achèvement due par l'entreprise s'étend à la reprise des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception comme à ceux qui apparaissent et sont signalés dans l'année suivant la date de réception. D'autre part, en l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception de l'ouvrage est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs se poursuivent au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves. Les relations contractuelles entre le responsable du marché et l'entrepreneur se poursuivent non seulement pendant le délai de garantie, mais encore jusqu'à ce qu'aient été expressément levées les réserves exprimées lors de la réception.
4. Il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise du 18 mars 2019 que les fissures, qui ont fait l'objet de réserves non levées, sur le dallage porté quartz du garage des véhicules lourds et sur les voiles en béton de la salle de sport sont d'ordre esthétique et sont dues à des phénomènes de retrait du béton liés à la conjonction d'une longueur importante, près de 47 mètres sans joint de dilatation, et de la période de coulage du béton, en été avec séchage du béton plus rapide. Le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) stipule à l'article 05.2.2.8 que " les voiles doivent être coulés toute hauteur en une seule fois afin d'éviter les fissures ultérieures au droit des dalles ". Il stipule également, à l'article 05.2.2.7.3.5 que, s'agissant du dallage porté quartz surcharge véhicules lourds, son aspect sera lissé et que " toutes dégradations de revêtement quartz (taches, épaufrures, etc.) relèvent de la responsabilité du présent lot. ". En outre la norme européenne NF EN 1992-1-1, mentionnée dans le CCTP, indique que la fissuration doit être limitée, ne rendant pas l'aspect de la structure inacceptable. Il résulte de l'instruction que 27 fissures ont été constatées sur le dallage porté quartz surcharge du garage des véhicules lourds et 13 fissures sur les voiles en béton de la salle de sport. Ainsi, au vu de ce nombre important de fissures, dont une a d'ailleurs été regardée comme évolutive par l'expert dans son rapport du 18 mars 2019, la SAS Heude Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que ces fissures étaient contractuellement conformes, alors même qu'il ne s'agit que de fissures de retrait, d'une faible ouverture et d'ordre esthétique, pouvant survenir de manière aléatoire. Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que ces désordres sont directement liés aux travaux relatifs au coulage du béton et qu'il s'agit donc exclusivement d'un manquement contractuel d'exécution imputable, pour les voilages en béton de la salle de sport, au titulaire du lot n° 5, la SAS Heude Bâtiment, et, pour le dallage quartz porté véhicules lourds, au titulaire et à son sous-traitant dont il doit répondre.
Sur les travaux de nature à remédier aux désordres :
5. Contrairement à ce que soutient la SAS Heude Bâtiment, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux consistant à ouvrir les fissures, les nettoyer et les garnir de résine, tels que préconisés par l'expert judiciaire dans son rapport et retenus par le tribunal administratif de Rennes dans le jugement attaqué, ne seraient pas de nature à remédier aux désordres et auraient pour conséquence de rendre les fissures plus apparentes et visibles qu'elles ne le sont actuellement.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Heude Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser au département d'Ille-et-Vilaine la somme de 62 856 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019 et capitalisation des intérêts échus à la date du 22 juillet 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date et a mis à sa charge les frais d'expertise.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département d'Ille-et-Vilaine qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par la SAS Heude Bâtiment. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département d'Ille-et-Vilaine en appel et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Heude Bâtiment est rejetée.
Article 2 : La SAS Heude Bâtiment versera au département d'Ille-et-Vilaine la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Heude Bâtiment et au département d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2023.
La rapporteure
P. Picquet
Le président
L. LainéLe greffier
La rapporteure
P. Picquet
Le président
L. LainéLe greffier
C. Wolf
La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT04101