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03/11/2023 | FRANCE | N°23NT02026

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 03 novembre 2023, 23NT02026


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 23 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°2305296 du 10 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Thoumine,

demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 mai 2023 du magistrat désigné par le préside...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 23 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°2305296 du 10 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Thoumine, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 23 mars 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;

2°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les conditions de son entretien individuel méconnaissent les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

* il n'a pas été mené par une personne qualifiée en droit national ;

- la décision de transfert méconnait l'article 3-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en raison des défaillances systémiques que connaît l'Italie qui n'est plus en capacité matérielle de reprendre en charge des demandeurs d'asile ;

- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, elle méconnait l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, notamment en raison de sa situation particulière ;

- la décision de transfert méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

* dès lors que son mari est présent en France, qu'il la soutient et qu'il est le père de son enfant à naître ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2023, et une production de pièce enregistrée le 9 octobre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête à la suite de l'abrogation de la décision de transfert en cause.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante de Sierra Leone, a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 15 octobre 2022. Le 28 décembre 2022, elle a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de Loire-Atlantique. Par un arrêté du 23 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert vers l'Italie, Etat responsable de sa demande d'asile. Mme A... relève appel du jugement du 10 mai 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur l'exception de non- lieu à statuer opposée par le préfet de Maine-et-Loire :

2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. Dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le pourvoi formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.

3. Le préfet de Maine-et-Loire se prévaut d'un arrêté du 6 octobre 2023 abrogeant l'arrêté contesté portant transfert de Mme A... vers l'Italie, sans préciser notamment si l'intéressée se serait vue délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale. Par ailleurs, l'arrêté litigieux a été exécuté en ce qu'il a fait obstacle à tout dépôt de demande d'asile tant qu'il était en vigueur. En outre, l'arrêté du 6 octobre 2023, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été notifié à l'intéressée, ne présente pas de caractère définitif. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de Maine-et-Loire doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ".

5. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment son article 4, et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 3.

6. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

7. La requérante soutient que le préfet a refusé à tort de reconnaitre l'existence de défaillances systémiques en Italie et invoque la méconnaissance des dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Dans son arrêté contesté du 23 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire a relevé que les autorités italiennes, saisies le 5 janvier 2023 d'une demande de prise en charge de Mme A... en application du règlement précité, avaient implicitement accepté leur responsabilité, qu'elles devaient donc être regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile et que l'intéressée n'établissait pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile.

8. Toutefois, indépendamment des considérations liées à la situation sanitaire du pays, la requérante produit une lettre circulaire du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. En application des dispositions précitées de l'article 3-2 du règlement n° 604/2013, il appartient à l'autorité préfectorale, lorsqu'elle détermine l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, d'apprécier s'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs. En produisant devant les premiers juges la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l'Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l'indisponibilité des installations d'accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022, la requérante apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées, alors que le préfet de Maine-et-Loire n'établit ni même n'allègue que l'indisponibilité des installations d'accueil invoquée par l'Italie avait cessé à la date du 23 mars 2023 à laquelle il a décidé le transfert de Mme A... vers ce pays. Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen tiré par la requérante de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de la république italienne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

11. L'annulation de la décision de transfert vers l'Italie de Mme A... est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2. de l'article 3 du règlement n°604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'il existait en Italie, à la date de l'arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d'annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à Mme A..., dans le délai d'un mois, ainsi qu'elle le demande, une attestation de demande d'asile en procédure normale, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 précité du règlement.

Sur les frais liés au litige :

12. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Aussi, et dans la mesure où l'Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de mille (1 000) euros, à verser à Me Thoumine avocat de la requérante. Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu'il perçoive la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle dont bénéficie l'intéressé.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2305296 du 10 mai 2023 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 23 mars 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de Mme A... aux autorités italiennes sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer, dans le délai d'un mois, la demande d'asile de Mme A... en procédure normale, sous réserves d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera la somme de mille (1 000) euros à Me Thoumine en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Thoumine et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 27 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- Mme Gélard, première conseillère

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 novembre 2023.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT02026


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02026
Date de la décision : 03/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : THOUMINE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-11-03;23nt02026 ?
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