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24/10/2023 | FRANCE | N°23NT01075

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 24 octobre 2023, 23NT01075


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2021 par lequel le préfet de la Sarthe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2202033 du 15 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejet

é sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 avril 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2021 par lequel le préfet de la Sarthe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2202033 du 15 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 avril 2023, le préfet de la Sarthe demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a reconnu l'authenticité des actes d'état civil présentés par M. B... compte tenu notamment du fichier Visabio et du message de l'ambassade de France à Dacca.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Geffray a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la Sarthe relève appel du jugement du 15 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 20 décembre 2021 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., ressortissant bangladais, entré irrégulièrement en France au mois de novembre 2018 selon ses déclarations et confié à l'aide sociale à l'enfance dans ce département par une ordonnance de placement provisoire du tribunal de grande instance de Paris du 4 décembre 2018, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

2. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".

3. Lorsqu'elles sont amenées à vérifier si l'étranger justifie de son état-civil et de sa nationalité conformément aux prescriptions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, les autorités administratives françaises ne peuvent mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère que dans le cas où le jugement produit a un caractère frauduleux.

4. Pour annuler l'arrêté contesté du préfet de la Sarthe, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur le certificat d'enregistrement de naissance produit par M. B... établi le 15 octobre 2018, qui mentionne une date de naissance au 2 décembre 2003, comporte un numéro d'enregistrement de naissance identique au registre " Birth and Death Registration " tenu par l'Office of the registrar general, accessible en ligne et mentionne également une naissance de l'intéressé le 2 décembre 2003. Il a considéré que l'absence de légalisation, qui se borne à attester de la régularité formelle d'un acte, n'est pas à elle seule de nature à renverser la présomption d'authenticité découlant des dispositions de l'article 47 du code civil et que M. B... a produit pendant l'instance son certificat d'enregistrement de naissance légalisé le 6 septembre 2021 par un fonctionnaire du ministre bangladais de la justice à Dakha et le 21 octobre 2021 par un fonctionnaire de l'ambassade du Bangladesh à Paris. En outre, il a constaté que le préfet ne produit aucunement l'avis négatif émis par l'ambassade de France à Dacca le 20 septembre 2021. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la consultation du fichier Visabio, prévu à l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a permis au préfet de constater, en se fondant sur la correspondance des empreintes digitales, que l'intéressé avait précédemment sollicité un visa sous une autre identité et en mentionnant une autre date de naissance. En application de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et de l'article 47 du code civil auquel il renvoie, le préfet en a déduit que l'acte d'état civil produit à l'appui de la demande de titre de séjour était entaché de fraude, et ne pouvait par suite être regardé comme faisant foi. Au vu de cet élément, c'est à bon droit et sans commettre d'erreur d'appréciation que le préfet a opposé le refus de titre de séjour contesté. Dès lors, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur le moyen tiré de ce que le préfet a apprécié de façon manifestement erronée l'identité et l'âge de M. B....

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Sur la légalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :

6. En premier lieu, par un arrêté du 4 novembre 2020, publié le même jour au recueil des actes administratifs du département, le préfet de la Sarthe a donné délégation à M. Eric Zabouareff, secrétaire général de la préfecture de la Sarthe, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figurent les décisions refusant la délivrance des titres de séjour. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté manque en fait et doit être écarté.

7. En deuxième lieu, la décision contestée, qui vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les textes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application, est fondée sur le caractère frauduleux des documents d'état civil ne permettant pas d'établir en particulier la minorité du requérant à la date de cette décision et sur l'absence de centre de ses attaches personnelles et familiales en France. Dès lors, elle est suffisamment motivée et fait et en droit.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que ces articles s'adressent non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union.

9. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de cette même Cour que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, qui implique notamment que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, doit mettre l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permettre, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

10. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ait sollicité, sans réponse, un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il ait été empêché de présenter ses observations avant que ne soit prise la décision litigieuse. M. B... n'est donc pas fondé à soutenir qu'il n'a pas eu, avant l'édiction de la décision en litige, la possibilité de faire valoir son droit d'être entendu et représenté par un conseil. Par suite, le moyen tiré du droit à être entendu garanti par le droit européen doit être écarté.

11. Enfin, M. B..., célibataire et sans enfant à charge, est récemment entré en France, en novembre 2018 selon ses déclarations, soit à peine vingt-cinq mois avant la date de l'arrêté contesté. Il n'établit pas le centre de ses attaches personnelles et familiales en France. Ses parents et sa sœur aînée résident au Bangladesh. Compte tenu de ces éléments, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi par cette mesure, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la légalité portant obligation de quitter le territoire français :

12. La décision refusant la délivrance d'un titre de séjour n'étant pas annulée, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français dot être annulée par voie de conséquence.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire pendant une durée d'un an :

13. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

14. Le préfet de la Sarthe, en indiquant que " compte tenu des éléments du dossier, la durée de l'interdiction de retour est fixée à un an ; la durée de cette interdiction de retour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au regard de sa vie privée et familiale ", et en explicitant préalablement les caractéristiques de la situation de M. B... au regard notamment de l'usage de faux et de l'usurpation d'identité, a suffisamment motivé sa décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an au regard des critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

15. Compte tenu des éléments rappelés au point 14, le préfet de la Sarthe n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

16. La décision refusant la délivrance d'un titre de séjour et celle portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulées, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français dot être annulée par voie de conséquence.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

17. La décision fixant le pays de destination mentionne la nationalité de M. B..., qui vise notamment l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui précise qu'elle ne contrevient pas à des stipulations, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Une telle motivation, alors que l'intéressé n'établit ni même n'allègue avoir communiqué à l'administration des éléments particuliers de sa situation qui n'auraient pas été pris en considération ou qui auraient pu conduire le préfet de la Sarthe à en faire état dans la décision, est suffisante. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision contestée n'est pas suffisamment motivée doit être écarté

18. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination dot être annulée par voie de conséquence.

19. Il résulte de ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 20 décembre 2021.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 mars 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de la Sarthe.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.

Le rapporteur

J.E. Geffray

Le président de chambre

G. Quillévéré

La greffière

A. Marchais

La République mande et ordonne au ministre l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT0107502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01075
Date de la décision : 24/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLEVERE
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: M. BRASNU

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-24;23nt01075 ?
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