Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 17 février 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours, dirigé contre la décision du 2 novembre 2021 de l'autorité consulaire française à Rabat (Maroc) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.
Par un jugement n° 2205405 du 13 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 17 février 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. B... le visa demandé.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le mariage de M. B... avec une ressortissante française est entaché d'une fraude au sens de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- un autre motif tiré de la menace que la présence en France de l'intéressé fait peser sur l'ordre public est également de nature à fonder légalement le refus de délivrance du visa demandé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2023, M. A... B..., représenté par Me Mascaras, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain, a épousé Mme C..., de nationalité française, le 13 juin 2020. Il a sollicité un visa d'entrée en France auprès de l'autorité consulaire française à Rabat (Maroc) en qualité de conjoint de française. Par une décision du 2 novembre 2021, cette dernière autorité a rejeté sa demande. Par une décision du 17 février 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision consulaire. Par un jugement du 13 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 17 février 2022 de la commission de recours refusant de délivrer à M. B... le visa de long séjour demandé. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
2. La décision du 17 février 2022 est fondée sur le caractère complaisant du mariage de M. B..., contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, dans le seul but de faciliter l'établissement en France du demandeur.
3. L'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de ressortissant français. Il ne peut être refusé qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires ou diplomatiques de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir, sur la base d'éléments précis et concordants, que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa. La seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle à ce qu'une telle fraude soit établie.
4. Pour établir que le mariage est entaché de fraude, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait état de ce qu'il n'existe ni preuve de communauté de vie ou d'une relation affective entre les époux avant le mariage et après le mariage, ni maintien d'échanges réguliers et constants entre les époux depuis leur union. Il ressort des pièces du dossier, notamment des attestations précises et circonstanciées établies par les anciens conjoints de Mme C... et pères de ses deux enfants que M. B... vivait en 2020 au domicile de Mme C... et s'occupait de la fille de cette dernière, née en 2012. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... est déclaré comme vivant au foyer de Mme C... au titre de l'assurance de responsabilité civile depuis au plus tard février 2020 et que les intéressés sont titulaires d'un compte bancaire commun. Malgré le peu d'éléments présentés par M. B... et Mme C... pour préciser leur relation, il demeure que l'administration, à qui incombe la charge de la preuve, n'établit pas au cas d'espèce l'existence d'une situation frauduleuse. Dans ces conditions, en se fondant sur le caractère complaisant du mariage contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Toutefois, l'administration peut, notamment en première instance, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir dans sa requête d'appel que la présence en France de M. B... ferait peser une menace sur l'ordre public. Il ressort des pièces du dossier, notamment des extraits du casier judiciaire de M. B... transmis à l'administration par le ministre de la justice italien, que l'intéressé a été condamné en décembre 2019 et septembre 2020 à une peine d'emprisonnement de deux ans et à une amende de 4 000 euros pour des faits commis en 2017 d'acquisition, détention et vente de stupéfiants. Si les extraits de casier judiciaire produits par le ministre de l'intérieur et des outre-mer sont en langue italienne, aucun texte ni aucune règle générale de procédure n'interdit au juge de tenir compte d'une pièce produite au cours de l'instruction alors même qu'elle est rédigée dans une langue autre que le français. En se bornant à soutenir que la caractérisation de la menace à l'ordre public sur la seule base des informations contenues dans le traitement d'antécédents judiciaires revient à nier la présomption d'innocence, M. B... ne conteste pas avoir commis les faits graves pour lesquels il a été condamné, lesquels sont récents à la date de la décision contestée. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce motif, qui ne prive le demandeur d'aucune garantie procédurale, et qui pouvait fonder légalement la décision de refus de visa contestée. Il y a lieu dès lors de faire droit à la demande de substitution de motifs sollicitée.
7. Il appartient de ce fait à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
8. Compte tenu de la menace pour l'ordre public qui résulterait de la présence de M. B... en France et alors qu'il n'est pas établi ni même allégué que son épouse serait dans l'impossibilité de lui rendre visite au Maroc, la décision contestée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du requérant à mener une vie privée et familiale normale, tel qu'il est garanti par les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B..., la décision du 17 février 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer à l'intéressé un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. B... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2205405 du 13 janvier 2013 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
J. FRANCFORT Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00308