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17/10/2023 | FRANCE | N°23NT00602

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 octobre 2023, 23NT00602


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 21 février 2023 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a, d'une part, décidé de son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'a, d'autre part, assigné à résidence pour une durée maximale de quarante-cinq jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre à cette autorité de l'autoriser à saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatride

s d'une demande d'asile dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 21 février 2023 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a, d'une part, décidé de son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'a, d'autre part, assigné à résidence pour une durée maximale de quarante-cinq jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre à cette autorité de l'autoriser à saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides d'une demande d'asile dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2400 euros au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement no 2301038 du 28 février 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés du 21 février 2023, a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de délivrer à Mme A... dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, une attestation de demande d'asile sans mention de la procédure Dublin et de lui remettre le formulaire mentionné à l'article R. 531-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a mis la somme de 1000 euros à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 mars 2023, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 février 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par Mme A....

Il soutient que :

- c'est à tort que la magistrate désignée a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme B... A... aux autorités allemandes était entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- les autres moyens présentés en première instance ne sont pas fondés ;

- il renvoie expressément aux éléments contenus dans son mémoire présenté le 24 février 2023 devant le tribunal administratif.

La requête a été communiquée le 31 mars 2023 à Mme A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme A... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.

Une note en délibéré, enregistrée le 4 octobre 2023, a été produite pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante bangladaise née le 3 janvier 1998 à Moulvibazar (Bangladesh), est entrée en France le 20 octobre 2022. Elle a présenté une demande d'asile enregistrée par les services préfectoraux d'Ille-et-Vilaine le 8 novembre 2022. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'elle était en possession d'un visa en cours de validité délivré par les autorités allemandes. Saisies le 2 janvier 2023, les autorités allemandes ont, sur le fondement de l'article 12-2 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fait connaître leur accord par un courrier du 4 janvier 2023. Par des arrêtés du 21 février 2023, le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités allemandes et l'a assignée à résidence pour une durée de 45 jours dans le département de la Loire-Atlantique. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de ces arrêtés. Par un jugement du 28 février 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a fait droit aux demandes de l'intéressé. Elle a annulé l'arrêté du 21 février 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine décidant le transfert aux autorités allemandes de Mme A..., aux motifs que la décision était, dans les circonstances particulières de l'espèce, entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle. Le premier juge a également annulé, par voie de conséquence, la décision du même jour l'assignant à résidence. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté de transfert :

2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet d'Ille-et-Vilaine pour procéder à l'exécution du transfert de Mme A... vers l'Allemagne a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 28 février 2023 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme A... sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet de Maine-et-Loire tendant à l'annulation du jugement du 28 février 2023, en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 21 février 2023 décidant le transfert de Mme A... aux autorités allemandes.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté portant assignation à résidence :

5. L'arrêté portant assignation à résidence de Mme A... ayant été exécuté et ayant produit des effets, il y a lieu de se prononcer sur sa légalité.

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert :

S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal :

6. Pour annuler l'arrêté portant transfert aux autorités allemandes de Mme A..., le magistrate déléguée a retenu que l'intéressée était inscrite pour l'année scolaire 2022/2023 au lycée professionnel d'Auray dans lequel elle suit une formation, de huit heures par jour " selon ses déclarations ", dans le cadre du dispositif de lutte contre le décrochage scolaire, l'équipe enseignante attestant de son très grand investissement dans cette formation, de son sérieux, de ses progrès rapides dans son apprentissage, son comportement étant qualifié d'exemplaire, et qu'un transfert en Allemagne provoquerait l'interruption en cours d'année scolaire de sa formation. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme A... ne suivait la scolarité en classe de remise à niveau pour personnes étrangères au sein de l'établissement d'enseignement que depuis quelques semaines à la date de l'arrêté contesté et il est constant que des dispositifs équivalents sont également susceptibles d'être proposés en Allemagne. Si le premier juge a également relevé que l'enseignante coordonnatrice du dispositif de lutte contre le décrochage scolaire certifiait " que Mme A... sera à nouveau prise en charge dans ce cadre pour l'année scolaire 2023/2024 ", cette circonstance postérieure à l'arrêté contesté ne peut être utilement invoquée. Enfin, Mme A... ne justifie d'aucune attache personnelle ou familiale en France. Dans ces conditions, le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que l'arrêté contesté portant transfert de Mme A... aux autorités allemandes était entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

S'agissant des autres moyens invoqués :

7. En premier lieu, l'arrêté contesté du 21 février 2023 a été signé par M. C.... Il ressort des pièces versées au dossier que, par un arrêté du 19 octobre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 35-2022-231 du même jour, le préfet d'Ille-et-Vilaine a donné délégation à M. C..., chef du l'unité régionale Dublin à la préfecture d'Ille-et-Vilaine, à l'effet de signer les actes mentionnés aux c et d de l'article 1er de l'arrêté en question, au nombre desquelles figurent les décisions d'application du règlement " Dublin III " prises à l'égard des ressortissants étrangers. Dès lors, le moyen tiré de l'absence de délégation de signature régulière de l'auteur de la décision contestée manque en fait et doit être écarté.

8. En deuxième lieu, la décision prononçant le transfert de Mme A... aux autorités allemandes vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle relève, en outre, le caractère irrégulier de l'entrée en France de l'intéressée le 20 octobre 2022 et rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque celle-ci s'est présentée devant les services de la préfecture en précisant que la consultation du système Eurodac a fait apparaître que l'intéressée était en possession d'un visa en cours de validité délivré par les autorités allemandes et que les autorités de ce pays, saisies le 2 janvier 2023 d'une demande de reprise en charge de l'intéressée sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont le 4 janvier 2023 donné expressément leur accord à cette reprise en charge. La décision de transfert contestée, dont il est rappelé qu'elle n'a ni pour objet ni pour effet de renvoyer le demandeur dans son pays d'origine, indique également que l'intéressée, qui a déclaré être mariée et ne pas avoir de membres de sa famille résidant en France, ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France. L'arrêté contesté rappelle que Mme A... a déclaré ne pas avoir de problèmes de santé et qu'après examen attentif de sa situation, elle ne présente pas de vulnérabilité particulière. Enfin, l'arrêté énonce que Mme A... n'établissait pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de sa demande d'asile. Il en résulte que la décision portant transfert, qui comporte de façon précise et circonstanciée l'énoncé des considérations de fait et des motifs de droit qui la fondent, est suffisamment motivée. Le moyen sera écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin, selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) " ;

10. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

11. Au cas d'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vue remettre, le 8 novembre 2022, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, l'intégralité des brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. En effet, l'intéressée a attesté par sa signature sur le compte-rendu de l'entretien individuel ainsi que sur les pages de garde des brochures A et B, d'une part, avoir validé les termes du compte-rendu de son entretien individuel en préfecture du 8 novembre 2022, réalisé en Bengali, langue qu'elle a déclarée comprendre, d'autre part, avoir reçu communication, dans leur version en Somali, du " Guide du demandeur d'asile en France " et de l'information sur les règlements communautaires constituées de la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et de la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration l'aurait privé d'une garantie et que la décision de transfert aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

12. En quatrième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par l'intéressé ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles la France remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Il en va de même de l'invocation de la méconnaissance des dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. Dans ces conditions, la circonstance que Mme A... n'aurait pas reçu l'information prévue par ces dispositions avant le relevé de ses empreintes est sans incidence sur la légalité de la décision portant transfert auprès des autorités allemandes. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

14. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel mentionné par les dispositions précitées, qui s'est déroulé le 8 novembre 2022 à la préfecture d'Ille-et-Vilaine. Aucun élément du dossier ne démontre que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. En outre, il résulte des termes du compte-rendu de cet entretien, qui a été signé par l'agent habilité et conduit avec l'assistance d'un interprète en langue Bengali comprise par Mme A..., que l'intéressée a été interrogée sur son parcours migratoire, a indiqué quelle était sa situation privée et familiale et n'avoir aucun problème de santé. Enfin, Mme A... ne fait état d'aucun élément, ni d'aucune circonstance particulière tenant au déroulement de cet entretien de nature à démontrer que celui-ci aurait été mené en l'absence des garanties prévues par les dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

15. En sixième lieu, aux termes de l'article 20 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Début de la procédure - 1. Le processus de détermination de l'Etat membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un Etat membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès- verbal doit être aussi court que possible. (...) ". Aux termes de l'article 21 du même règlement : " Présentation d'une requête aux fins de prise en charge- 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / (...) / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. Il ressort des pièces versées en première instance que le préfet d'Ille-et-Vilaine, qui a respecté les délais de saisine des autorités allemandes, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 21 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013. Le moyen sera écarté.

16. En septième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose que : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

17. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

18. Mme A... fait état de sa crainte d'être éloignée vers le Bangladesh où, elle craint pour sa vie et son intégrité physique. Il convient, tout d'abord, de rappeler que la décision de transfert de l'intéressée aux autorités allemandes ne constitue pas une mesure d'éloignement vers le Bangladesh. Ensuite, aucun élément produit au débat ne permet de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités allemandes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Allemagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait méconnu les dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que les décisions de transfert contestées méconnaîtraient ainsi l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

19. En huitième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

20. Mme A... qui avait déclaré n'avoir aucun problème de santé fait état désormais d'un rendez-vous pris dans un centre de santé sexuelle et invoque sa vulnérabilité liée à son parcours migratoire. Toutefois, elle n'apporte à l'appui de ses affirmations aucun élément d'ordre médical permettant de démontrer que son état de santé la placerait dans une situation de vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France alors que les structures sanitaires en Allemagne permettent d'apporter la prise en charge médicale et médicamenteuse que son état de santé nécessiterait. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert contesté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

21. Il résulte de l'ensemble de ce qui a été dit aux points 7 à 20 que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision du 21 février 2023 de transfert en Allemagne de Mme A... dirigé contre la décision du même jour du préfet d'Ille-et-Vilaine l'assignant à résidence doit être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés des vices propres de la décision d'assignation à résidence du 21 février 2023 :

22. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision d'assignation à résidence du 21 février 2023 doit être écarté.

23. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 28 avril 2021 du préfet d'Ille-et-Vilaine assignant à résidence Mme A..., vise tout d'abord les règlements n°603/2013 et n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du conseil, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment les articles L.561-2 1°bis, L.742-1 et L.742-5 et l'arrêté du 28 avril 2021 portant transfert de l'intéressée aux autorités allemandes, ensuite, indique précisément que l'intéressée répond aux conditions pour qu'une mesure d'assignation intervienne, notamment que son éloignement demeure une perspective raisonnable, et, enfin, rappelle son lieu de domiciliation. La décision assignant à résidence Mme A..., qui comporte de façon précise et circonstanciée l'énoncé des considérations de fait et des motifs de droit qui la fondent, est dès lors suffisamment motivée. Le moyen sera écarté.

24. En troisième et dernier lieu, Mme A... invoquait devant le premier juge " l'absence de perspective raisonnable de son éloignement du fait de l'illégalité de l'arrêté de transfert ". Ce moyen dirigé contre la décision d'assignation à résidence du 21 février 2023 qui doit être nécessairement regardé comme soulevant l'exception d'illégalité de la décision de transfert de Mme A... aux autorités allemandes du même jour doit être écarté ainsi qu'il a été dit au point 21.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 21 février 2023 l'assignant à résidence.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 février 2023 prononçant l'annulation de l'arrêté du 21 février 2023 décidant du transfert de Mme A... aux autorités allemandes.

Article 2 : Le jugement n° 2301038 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes du 28 février 2023 est annulé en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 21 février 2023 assignant à résidence Mme A....

Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée en tant qu'elle tend à l'annulation de l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 21 février 2023 l'assignant à résidence.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....

Une copie en sera adressée pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

Le magistrat le plus ancien dans l'ordre du tableau,

V. GELARDLe président-rapporteur

O. COIFFET La greffière,

I. PETTON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT00602 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00602
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : DELILAJ

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-17;23nt00602 ?
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